let's roll the dice and we'll both make our moves, playing like lovers doD'où vient cette manie de déranger ceux qui essaient de mourir en silence sans un bruit, de venir les chercher jusqu'à leur tombeau bien gardé de gargouilles violentes et avides de sang, sans se lasser du refus de rejoindre à nouveau d'une manière ou d'une autre, le monde des vivants, des éphémères - des héros.

D'où vient cette manie de forcer des âmes, coupables certes, à espérer encore, à faire ressentir, encore, à entraver la quiétude du rien, du silence, de l'inaction - de les soustraire à la folie qui ne fait pas de mal de la perdition et de l'effacement - pour les confronter à la possibilité d'aimer, encore et d'être aimées - encore.

Dionne aurait voulu être oubliée, enfoncée dans le coin d'un tiroir, le nom mis au silence comme une injure à l'île qui l'a trop vénérée - comme on censure les idoles pour être certains que jamais, plus jamais, personne ne les adore et les vénère. Mais Dionne ne connaît pas la paix, on la cherche et puis on la trouve - et personne pour se venger, personne pour la tuer, pour mettre un terme à cette mascarade ; on la force vivante, on la force repentante alors qu'elle veut mourir - coupable.

Vivienne en est la première exécutante. Peu importe à quel point Dionne la repousse, ne fait que le minimum pour ne plus qu'elle s'immisce dans la caverne des monstres, qu'elle soit sage ; elle continue. L'éprouve. La fait ressentir - mais sait-elle la conséquence de remuer un coeur qui s'interdit d'aimer ? Connaît-elle la frustration qui en résulte, assise sur le bateau qui partira dans cinq minutes, au coucher du soleil ? Là où Dionne lui a donnez rendez-vous, la dernière fois, pour la première fois. C'est une croisière d'une heure pour voir le soleil se coucher. Il fait froid. Sous son épais manteau, Dionne est toujours jolie et jeune bien que l'amertume traverse son visage. Elle reste dehors malgré le vent et l'hiver. Elle attend Vivienne, le regard rivé sur l'eau. Des pas s'approchent d'elle. Ce n'est pas elle. Dionne se détourne. Elle l'attend. De nouveaux pas et cette fois-ci, elle se tourne plus franchement pour lui faire face. Ca te plaît ? Si tu as froid, on peut entrer à l'intérieur. Elle lui saisit fermement le bras puis la main - la sienne est froide. Impose la rencontre de leurs doigts, joue pleinement son rôle, Mais je préférerais être dehors, la vue est plus jolie. Romantique. Il est encore tôt. Le soleil se couche en fin d'après-midi durant cette saison. Dionne ne sourit pas vraiment. Son intensité se trouve autre part. Dans la colère, peut-être. Elle dévisage Vivienne.

C’est qu’il faut toujours, toujours empêcher ; ce qu’on me refuse, je le prendrai de force, et sans le prendre même, car on ne prend pas ce qui nous appartient de droit. Le ciel sur ma tête m’a couronnée de la Lune, m’a donné en partage la nuit et ses oiseaux de malheur, ceux qui croassent sans qu’on les voit, qu’aucun épouvantail n’arrive jamais à vraiment chasser, parce qu’ils sont là, toujours là, leur nid sous les combles des toits ou les lattes du plancher, qui grattent et griffent de l’autre côté des murs, qu’on entend au beau milieu d’un sommeil trop agité, qui grattent et grattent et grattent, grattent jusqu’au sang, jusqu’aux os, à l’intérieur-même du cerveau.
Est-ce ce que je suis pour toi ? Une pensée trop intrusive, qui ronge tes nerfs comme un rat, comme un amas de mites creusant, s’immiscant là ou tu ne t’attendais pas que je sois, jusqu’à ce que tu te rendes compte que j’étais là, pourtant, que j’ai toujours été là, depuis le début, au dessus de ta tête la nuit quand la Lune pointait d’entre les nuages, dans la brume des hivers aux jours éteints, à t’enserrer de mes bras.

Comme une maladie, lente, chronique, fatale, j’avance. L’amour est une lèpre et l’aconit de mes baisers, si tu osais les cueillir, est horriblement sucré.
Tu m’as invitée, je crois, au crépuscule. Comme un tapis déroulé par obligeance tandis que le jour me cède la place ; tout s’assombrit à ma vue, sauf le soleil de tes cheveux. Tu savais, peut-être, que je prends plaisir à voir la nuit avaler le monde et tu n’aurais pas su mieux choisir pour me plaire.
Mais en as-tu besoin ?
Ma main n’est guère plus chaude que la tienne. Cela nous ressemble, sûrement.

“Romantique ? Je pensais que ces jours-là étaient derrière toi…” Je plaisante sans y penser parce que je sais bien qu’à force, c’est ainsi que tu me regarderas. Ta réputation te précède, Dionne, et tu n’as guère fait attention à la mienne.
Je ne t’en veux pas vraiment. Moi non plus, je ne fais pas attention à tout. Je ne vois pas ta colère ou du moins, je choisis de ne pas la voir ; si ta poigne fait bleuir mes doigts, c’est que l’amour nocturne est toujours froid.

“Restons dehors, oui ; à l’intérieur, nous ne verrions pas la nuit tomber et c’est toujours là que je suis la plus belle.”

let's roll the dice and we'll both make our moves, playing like lovers doJ'aimerais ça. Que l'amour et ses maladies ne se pavanent plus devant elle, drapé par la nuit, lui qui traîne des odeurs de parfum féminin. Elle aurait aimé qu'il soit mort, enterré dans une tombe, comme elle ; qu'il pourrisse et qu'elle pourrisse avec, mais n'est-ce pas là le propre de Dionne ? Ne fait-elle pas tout cela par amour, sans distinction de nature et de ferveur ?

C'est une maladie, oui c'est bien le terme, qui remue même les mort-vivants, qui les agite, qui les fait sursauter ; comment s'en soigner ? Comment ignorer le velours de ses lèvres, sa main froide mais pas lourde, pas à la manière des cadavres c'est certain. J'aimerais ça, mais une femme qui une fois a visité mon ombre, fait exprès de visiter mon esprit presque quotidiennement. L'amertume parle de l'obsession. Si elle finira par aimer Vivienne, c'est qu'elle ne peut pas l'oublier sans la connaître ; c'est vrai elle ne connaît ni son caractère ni ses appétences. Elle a négligé sa présence quand elles étaient encore intégrées dans le même cercle d'élites ; et maintenant Dionne ne sait rien sur elle.

Ses cheveux roses et délavés sont faux, elle ne veut les voir que dans les miroirs et pas sur ses épaules. Ceux de Vivienne ont une profondeur bien plus réelle que dans les souvenirs réguliers qu'elle se fait d'elle et c'est vrai, elle ne ment pas : la nuit lui sied bien si elle n'en est pas l'incarnation propre. Je te laisse imaginer ce que ça fait d'être profondément esseulée et en même temps, victime d'une femme qui fait en sorte d'être partout. Il n'y a plus que toi, tu es contente ? Que feras-tu de mes sentiments ? Inhumains, bannis, sauvages ? Retirés de la civilisation de ceux d'où elles viennent, car l'une est bannie et l'autre encore entre demi-dieux et dieux ; dans une position de reine parmi les rois. Il va falloir assumer ton insolence. Alors s'il n'y a pas d'amour, c'est le moment de s'en aller ; de lâcher sa main, de la repousser alors qu'elle se rapproche pour lui faire face, la mettre dos à la mer où Dionne pourrait la pousser. Le bateau vrombît quelques secondes et démarre, s'éloigne du bord du pont et les emmène là où la skyline est la plus belle. Dionne croit encore que Vivienne ne veut pas qu'elle l'aime, que la séduction s'arrêtera juste avant cet instant-ci ; où bien c'est qu'elle est cruelle et Dionne n'a jamais été de celle qui se font avoir par la manipulation des sentiments. Mais elle n'a jamais connu telle solitude. Cela fait longtemps que le jeu a changé de règles, pour elle. C'est ce qui la met en colère.

“Victime ?”

Le mot m’arrache un rire, un crissement sur la glace de ma figure. Comme les autres ! tu penses deviner ma toile aux endroits dans lesquels je ne l’ai qu’à peine tissée. Tu me penses veuve noire et dévoreuse, à l’image des monstres à côté desquels tu dors désormais. Mais je ne suis pas un monstre. Pas humaine non plus.
Quelque chose d’autre encore. Quelque chose de pire, peut-être.

“Tu es et as été beaucoup de choses dans ta longue vie, Dionne Zarachiou…” Je me prends à souffler, presque tendrement, tandis que mes doigts dessinent le contour de ton épaule sous ton épais manteau. “Mais une victime ? Tu n’y ressembles pas.”

Toi aussi, sans le vouloir ou sans y croire, tu répands ton venim plus profondément que les autres. Parce que les autres ne te ressemblent pas. Il était temps que tu me vois ! temps que tu ne penses qu’à moi, parce que les autres ne te méritent pas, ne sont pas à la hauteur, personne ne l’est vraiment, personne ne brille aussi haut dans le ciel que toi et moi.
La Lune rend fous, disent-ils, les poètes et les malades d’esprit ; elle transforme les honnêtes gens en bêtes sauvages. Nous les rendons fous, tous autant qu’ils sont.

“Parle-moi de ces sentiments. Je ne suis pas si fragile que je ne puisse les recevoir.”

Donne-moi ta colère. Pousse-moi par dessus bord. Livre-moi aux flots enragés de la mer qui fendra ma carcasse sur le béton des grèves.
Donne-moi ta solitude à emplir. Donne-moi tout ce que tu as abandonné. Donne-moi un amour que tu ne ressens pas.
Car déjà, le bateau atteint le large et le ciel orangé embrase la douceur de tes traits. Ta mère est plus jeune que le jour ; la mienne plus vieille que le monde.
J’ai toujours pensé que je règnerai seule.
Mais serait-ce si mal ? que d’avoir en partage ce royaume qui s’étend dans mon dos, devant toi, l’immensité de l’océan et les étincelles des buildings, au-dessus desquels seuls nos yeux peuvent deviner les contours de l’Olympe.

let's roll the dice and we'll both make our moves, playing like lovers doDionne n'a pas appris à redouter les insectes. Elle s'y connaît en femmes et en filles, en l'amour puissant qu'elle saurait écrire et disséquer - mais les araignées et leurs toiles élégantes, elle ne s'en est jamais approchée. Ou du moins, qu'en théorie, pour défaire les papillons des toiles par exemple, ou mépriser les fils de soie brillants - mais elle en découvre leur douceur. L'ingénierie derrière le tissage méticuleux et mathématique - ah, c'est vrai que c'est beau, ainsi. Surtout dans la bouche de Vivienne.

Dionne éprouve un sentiment lointain par rapport à son propre caractère de tisseuse. Elle n'est pas exempte d'un tel comportement, habituellement, en réalité elle le connaît bien mais d'un prisme du "je" égocentrique et si coriace, si personnel, qu'elle en vient à oublier la nature humaine des autres prédatrices - et qu'elle peut en être touchée, émue - sensible.

L'amour est une question de volonté, Vivienne. La main qui la tient se retirer mais c'est uniquement pour la glisser jusqu'à la rambarde et encadrer Vivienne d'un côté, l'accoler dans sa chaleur, dans cet amour qu'elle mime et qu'elle attend de déployer plus honnêtement. Je ne te demande mais si tu peux le recevoir, mais si tu le veux. Ses yeux fourmillent sur le visage de celle qui n'est pas son amante, s'arrêtent sur ses lèvres. Je n'aime pas les énigmes ni les poèmes. J'aime les mots clairs et les promesses. La magnificence de la nuit pour son caractère mélancolique, pour l'inspiration qui provient du ciel dont les étoiles ont été avalées par la lumière de la ville - elle n'en veut pas. Elle veut la ressentir, cette nuit, pour sa chaleur et ses promesses. Elle est belle car c'est là qu'elle aime le mieux. C'est là qu'elle l'aime le mieux.

Je n’ai jamais su ce que Je voulais.
Vivienne veut qu’on l’adore. Vivienne veut prendre la place du Soleil dans le ciel.
Je n’ai jamais voulu qu’on m’adore, pourtant.
C’est un état de fait. On ne choisit pas sa naissance, encore moins ses circonstances.
Je n’ai pas réclamé le poison mais si on me le tendait aujourd’hui, je le boirais à nouveau.
Je ne réclame pas qu’on m’aime et à vrai dire, je ne sais si je le veux.

La couronne sur ma tête ou tes yeux. C’est ce qu’il me faut. Un besoin viscéral au-delà de toute volonté, comme celui de l’affamé qui s’empiffre à en vomir.
Il ne voulait pas vomir. Il avait besoin de manger.
Et toi alors ? J’ai besoin de toi, c’est vrai. Tu me serais utile. Mais si tu me refusais ton aide, je saurais m’en passer. Je n’ai pas besoin de toi pour me couronner.
Ai-je envie de toi, plutôt ?
Envie comme j’ai envie de l’aiguille et de la fumée, une envie qui étouffe ?
Si Vivienne le sait, Je n’en sais rien. Je n’ai jamais été vraiment sûre de rien d’autre que de qui Vivienne doit être.

“Je ne suis ni claire pour toi, ni claire pour moi. Je suis une femme qui veut posséder le monde et le détruire tout à la fois.”

Tes yeux sur mes lèvres. Veux-tu de moi ? Il n’est pas question de besoin pour toi.
Je ne suis, après tout, qu’une épine dans ton flanc.
Alors, cette volonté dont tu parles, d'où te vient-elle ? Mon charme seul, l’envie sourde, peut-être, de te sortir de là, ou peut-être encore, un peu de tout ça ?

“Tu as décidé que tu voulais m’aimer et tu me demandes si je veux que tu m’aimes ? N’est-ce donc là qu’une question de volonté ?”

Sacrifierais-tu le monde pour moi ? Baiserais-tu mes pieds comme tous ceux avant toi ?
Je ne sais ce que je veux mais je sais ce qu’il me faut. Il me faut quelqu’un, tu sais, n’importe qui au fond, mais toi peut-être, si tu le veux, puisque tu le veux, il me faut quelqu’un pour m’amarrer au sol et m’aimer sans m’adorer, moi et pas elle, juste moi, me voir comme personne ne me voit, la face cachée de la Lune que seul le Soleil qui l’éclaire aperçoit.

let's roll the dice and we'll both make our moves, playing like lovers doQuelle fatalité ! Quelle fatalité face à une femme-énigme qui ne parle qu'à moitié, qui n'agit qu'à moitié, qui ne désire qu'à moitié ; quelle fatalité pour celle dont l'intellectualisation la tuera à deux reprises potentiellement -
Quelle fatalité pour celle qui a été jeune fille éprise de beaucoup de ses camarades,
Quelle fatalité pour celle dont l'amour a été un mythe qu'elle a voulu décortiqué encore et encore, que ce soit le sien ou celui des autres,
Quelle fatalité de se laisser avoir, encore, par le mystère nocturne de Vivienne.

Elle y plonge - en fait, non, elle a déjà plongé, depuis qu'elle regarde ses lèvres, depuis qu'elle l'a plaqué contre le mur, l'autre fois, à l'Archéron. L'amour est encore pire de son angle, l'amour est désespéré - désespéré d'aimer, et voilà c'est cela, quelle fatalité pour une femme comme elle dont les années la séparent très largement de l'âge de l'ingénuité romantique.
Quelle fatalité, de s'y retrouver.

Oui c'est ce que je te demande, Vivienne. Je veux savoir si tu veux m'aimer. Je veux des promesses, je te l'ai dit ; plus grand chose ne me retient ici maintenant à part les promesses. Alors donne-moi une raison de te considérer pour les prochains événements à venir.

Dionne est perdue maintenant, il n'y a que les promesses qu'elle écrit réécrit dans son journal, qu'elle arrache et qu'elle brûle - celles qu'elle n'a pas pu faire aussi, qui lui hantent - elle peut peut-être se rattraper avec Vivienne. Elle place en elle tout ce qu'elle n'a pas pu faire, les non-dits, les mensonges - les vies à deux inachevées.
Elle ne l'embrasse pas, immobile, en suspens, ne connaît pas le malaise de leur proximité mais il faut que Vivienne promette - il faut que les énigmes si elles demeurent soient mises sous la clef des mots, sous l'honneur de leur grandeur.

Tu me demandes ce que je veux.
C’est assez rare pour que je le retienne.
On ne m’accorde d’ordinaire mes vœux qu’au prix de mes ordres. On me les inscrit dans la chair, sous les yeux, puisque je suis née pour être Elle, pour ne vouloir être qu’Elle, au point où ce que je veux n’est qu’une question caduque.
La volonté des idoles est un Évangile dont chacun doit décrypter les pages. Il m’en a fallu, tu sais, des années, pour apprendre cette langue qu’on voulait être la mienne, pour savoir lire ma propre Parole.
Mais tu ne veux pas m’adorer, toi. Tu veux m’aimer.
Tu veux que je te rende cet amour que l'inaccessible divinité n’est pas sensée offrir.
Tu veux des promesses que seuls les croyants sont supposés prononcer.
Tu veux que je me fasse le miroir de cette foi que tous me doivent.

“Tu as déjà toutes les raisons du monde de me considérer comme ton alliée. J’aurais pu te trahir mille fois, tu aurais pu me livrer aux bêtes tout autant, mais aucune de nous deux n’a réussi à s’y résoudre. Ce ne sont pas des raisons que tu veux.”

Laisse-moi te dire alors, ce que tu veux.
Laisse-moi t’avouer ce que j’aimerais autant que toi.
Parce que nos souhaits, au fond, ne différent pas tant que ça.
J’aimerais n’être que femme et aimée et aimable. Avant d’être idole ou d’être traîtresse, matrone ou sainte, objet de désir ou de haine : n’être qu’une facette d’une pièce double. Avoir quelqu’un pour remplir le vide. Pour nous voir comme nous n’avons jamais été vues.
Assez folle pour accepter.

“C’est mon coeur qui parle et le tien qui écoute, quand je te dis aujourd’hui que je n’aimerais que t’aimer. La vérité est qu’on ne m’a jamais appris. Mais si je dois te promettre une chose, c’est que je serai la dernière femme que tu aimeras jamais, et si tu me laisses suivre ton exemple, il en sera de même pour toi.”

let's roll the dice and we'll both make our moves, playing like lovers doDes raisons c'est vrai il y en a à l'infini, c'est-à-dire qu'elles sont devenues quotidiennes pour toutes les fois où elle a ouvert sa bouche sans prononcer le prénom de Vivienne, pour toutes les fois où elle est venue seule - et à l'inverse pour tous les soirs où Vivienne est venue seule, sans l'ombre d'un frère ou d'une soeur - ou d'un allié, tout simplement.

Leur secret, à deux ; mais Dionne ne veut plus mentir. Elle a trop donné dans la dissimulation (Vivienne sait peut-être pour Althea - après tout elles s'attendaient l'une et l'autre après le conseil, quelques mois auparavant la trahison), dans le blasphème de la promesse éternelle. Elle n'en est plus capable. Je peux t'apprendre. Elle lui dit, elle en est capable, de cela ; mieux que personne souvent ses histoires d'amour ont commencé ainsi - elle qui s'introduit dans le coeur pour apprendre à battre - et qui s'en va, maintenant que le rythme cardiaque dépend d'elle. Mais je ne sais pas si je suis capable d'aimer que toi. Il y a des femmes que j'aime toujours et que je ne vais pas savoir arrêter d'aimer. Je peux pas aimer autrement. Et elle étouffera vite, très vite, autrement - ce serait dommage qu'après tout cela elle meurt d'amour. Mais il faut que tu me fasses confiance. Elle se redresse et amène à son menton son doigt pour la regarder, la toucher sans la prendre ; Moi je te fais confiance, tu as raison. C'est sûrement depuis plus longtemps que j'imaginais que les choses sont ainsi. Qu'elle veut croire en Vivienne. Qu'elle croit en Vivienne.

Tu peux mais y arriveras-tu ?
Je ne suis pas une énième de tes expériences, Dionne, pas une jeune fille ni une vieille femme, pas faite pour les émois ni pour les captures, on ne me prend pas sans me briser au passage et surtout, surtout, on ne me laisse pas.
Voilà pourquoi je ris sans m’en apercevoir vraiment, quand tu parles des autres. Elles ne comptent pas. Elles ne m’arriveront jamais à la cheville.

“Je n’ai pas dit que je voulais être la seule. Je connais déjà trop bien tes faiblesses. J’ai dit que je serai la dernière. Je te le promets, qu’après moi, il n’y en aura plus d’autres.”

Prends-le donc comme une menace ou une preuve de dévotion !
Dans ma bouche, l’un et l’autre se ressemblent trop.
Car m’embrasser, Dionne, c’est accepter de partager le poison qu’est devenue ma salive, dont on a fait mon sang. Mon amour est parasite, comme mon corps et mes yeux dans ta tête depuis des nuits déjà, parasite à défaut d’autre chose, car toutes les choses qui naissent pour la première fois ne ressentent qu’un appétit cruel et dévorant.
Elles veulent vivre, dès l’instant ou elles entrevoient le Soleil ! Et si on ne leur donne pas de corps, elles en prendront un de force.

“Tu parles des autres mais tu veux que je t’enchaîne, tu veux que quelqu’un te rende incapable de fuir. Alors cesse tes grands discours et décide-toi.”

let's roll the dice and we'll both make our moves, playing like lovers doEst-ce une malédiction ou une bénédiction ? Vivienne saura-t-elle être celle qui sait la rassasier ? Qui donne un sens à sa faim ? N'est-ce pas un premier pas vers la résolution de toutes ces amours abandonnées par angoisse d'étouffer que cette lucidité dans la nuit face-à-face ? Cela ressemble davantage à un pacte qu'à une promesse, cela ressemble davantage à des conventions établies entre elles sans nécessité, un arrangement car elles y tireraient toutes les deux quelque chose de bon - quelque chose de tendre -

quelque chose de juste.

Je veux que tu continues à me traquer, je veux pas que tu m'emprisonnes. En fait, je veux surtout n'avoir aucune raison de fuir. Et pour ça, j'ai besoin de la certitude que tu n'auras jamais besoin de moi. Que tu ne seras pas de ces amantes-là. Mais avec toi, je ne me suis jamais faite essentielle dans ce sens-là - alors - ça devrait aller. Elle l'embrasse, une fois. Cherche ses yeux, elle l'embrassera encore si elle la regarde après cela. J'ai hâte de voir si tu seras capable de tenir tes promesses. Elle sourit et c'est un jeu ; une provocation, de son côté. Elle sent la tension dans son ventre, elle la cherche - il n'y a qu'en amour qu'elle a pu s'amuser, c'est pourtant à travers elles qu'elle a été le plus souvent malheureuse - elle ne pense pas que les choses seront différentes Vivienne. Mais elle veut bien essayer d'y croire. Se laisser surprendre, au moins un peu, même si sa situation n'est pas évidente. Le bateau continue son chemin sur l'eau : Dionne ne regarde rien du paysage. Elle préfère détailler Vivienne. Je ne veux pas encore que nous soyons ensemble. Ca n'aurait aucun sens, dans les circonstances. Mais c'est un premier pas de pouvoir se prétendre amantes. Cela veut déjà dire quelque chose dans leur histoire. Elle la mange encore du regard, l'obscurité rend tout difficile.