Légitime rage ! J’aimerais la faire mienne et m’enflammer comme alors mais mes ongles grattent ma peau à en creuser la chair, cherchant à remplacer l’aiguille.
Il faudrait qu’elle y soit, juste le temps de me laisser respirer un peu, mais tu ne me l’apportes pas !
Tu ne m’apportes rien d’autre, ma soeur, qu’une légitime rage et des mots qui bourdonnent, bourdonnement sourd contre mes tympans comme les insectes sous le derme qui déjà, déjà, se remettent à grouiller, sentant mes humeurs agitées et l’égarement de mon esprit.

“J’ai su, pour l’hydre.”

Juste assez tôt pour te prévenir, ma sœur.
Savais-je pour nos frères ? J’aurais dû m’en douter.
Savais-je pour ce nouveau serment qu’ils te forcent à passer ? J’aurais dû le savoir, n’étais-je pas encore trop aveuglée par mon mépris pour ces imbéciles-là !
Ta voix puis ton corps, soudainement si proches de moi. Mes mains te cherchent déjà.
Tu es ma sœur, tu es mon sang, à l’heure où le monde s’écroule, il me reste encore ce croissant qui complètera l’ovale trop maigre de la Lune.

“Ce que je compte faire- “

Rien n’est assez clair.
J’ai besoin d’y voir clair.
J’ai besoin que tu me blesses, que tu secoues mon crâne pour resquiller mes yeux, que tu me plantes enfin, n’importe quoi, pour écarter les nuages.
Tu me parles de notre frère et je ne sais si de rage ou de désespoir que mes paupières se trempent. Mon frère, ma chair, notre chair, déception trop cruelle pour que je l’accepte encore !

“Tu ne resteras pas chez les Spartes.”

Parce que plus que tout, j’ai besoin de toi.

Pas d’autre audience que notre Mère là-haut. Je n’ai jamais pleuré que devant elle, je crois, ou alors je ne m’en souviens pas. Et j’aimerais renâcler à tes insultes, quand tu insinues que je pourrais leur ressembler, mais l’idée s’efface bien vite avec la brume dissipée par ce que tu m’offres. Juste de quoi respirer. Juste ça.
Assez pour remplir mes poumons et ordonner les voix qui se bousculent dans mon crâne.
Plus tard ! je vous laisserai parler.
Tu ne m’as jamais voulue fêlée, ma sœur ; ni toi ni moi n’avons eu notre mot à dire.
Tu me veux fière et indomptable. Je n’ai jamais été une femme forte.

“Que veux-tu faire, si tu ne me suis pas ? Quelle autre option existe ?”

Ton sang t’appelle, ma sœur, à suivre la Lune à travers moi.
Tu n’as pas le choix.

“Benedict est un traître. De faux prophètes, tous les deux. Ils ont renié notre Mère pour lécher les bottes de ses bourreaux.”

Et ma voix tremble à ces mots, de rage contenue, lorsque j’exhale enfin contre ton épaule un souffle qui écorche ma gorge.
Toutes ces années, à miner lentement leur pouvoir, renversées en un seul jour.
Pour une mascarade ! Remplacer un tyran par une armée d’empereurs fantôches, qui se sont nommés eux-mêmes par un nom que leurs pères ont usurpé.

“Les Grands !” J’en ris, aigre et amère. “Je suis l’idole d’un peuple, Leta, et même eux n’ont jamais eu l’ego de me nommer ainsi. Les Grands ! Ils croient nous sauver ? Je leur donnerai du sang, ma sœur. S’il faut que recommence la guerre des Dieux et des Titans, qu’il en soit ainsi. Et s’il nous faut arracher aux monstres leurs crocs et leur poison pour s’en servir contre eux, je n’hésiterai pas.”

“Nos frères ont vu quelque chose ? Oui, ils ont vu, ce que tous les hommes voient, une opportunité, un trône pour leur ego !”

Mais, à part ça, qu’ont-ils jamais vu d’autre ? La voix de Mère dans leur tête ne leur a jamais servi ; ils l’entendent peut-être mais ils ne l’écoutent pas.
Penses-tu que toutes ces années, je n’ai fait que semblant, ma sœur ? Me vois-tu comme ils me voient tous, une folle en plein délire ? Tu n’en as pas le droit. Toi, plus que quiconque, devrait me voir telle que je dois l’être.

“Ce n’est pas qu’un héritage, Leta. C’est notre sang ! Hécate est en moi, vibre sous ma peau, fait tenir ensemble tous les os de mon corps qui autrement n’aurait pas dû survivre… Nous lui devons d’être ce qu’elle était, uniques ! Et puissantes, défaites des chaînes de ces arrogants qui se pensent si grands !”

La magie entre tes doigts ne m’attaquera jamais. Elle ne fait que répondre à la mienne, que s’y entremêler, car c’est ce que nous sommes, n’est-ce pas ? Les deux visages de la divine Sorcière, les deux faces de la Lune.
Pour le rappeler, faut-il alors que je te force à me regarder, mes mains pressées contre tes joues, à planter tes yeux dans les miens, semblables, si semblables, soeurs donc jamais seules-

“Je sais. Cela fait déjà des années que j’y travaille. Des années de charme et de fascination et elles sont plus nombreuses que ce que tu crois, les femmes qui me suivront… Crois en moi, ma sœur. Sois mon bras et un écho de ma voix ; Benedict ne nous suivra jamais mais nous n’avons pas besoin de lui. Nous avons assez, nous sommes assez pour nous battre déjà.”