c’est de l’eh attends ! jamais entendu ni même jamais attendu qui résonne aujourd’hui, comme en-dedans un rêve. de l’eh attends ! d’ailleurs qu’il pense pour quelqu’un d’autre car les rues en sont pleines de ces vraiment quelqu’uns - des gens avec des noms de plus d’une syllabe et qu’on retient toujours, leurs noms grands - le sien maigre, alors, il discerne l’eh attends ! mais ne s’arrête pas. vu qu’il y aura sûrement un grand nom à la suite, ponctuant l’apostrophe peut-être affectueux - un grand nom dit des côtes ! - et la personne à qui ce grand nom appartient se tournera soudain, en souriant bien sûr, et quelque part derrière lui cette personne-là s’élancera vers celui qui l’a sommé si tendre ! ce sera joli, comme ça. ce sera joli, sans lui. il repense l’eh attends ! tandis qu’il s’en éloigne et songe à cet instant je devrais me tourner, et l’admirer un peu, et repartir ensuite avec l’image pastel de deux amis heureux d’être dans la même ville. dedans la même vie. c’est un petit miracle.

il ne fait pas pourtant, ni la halte ni le tour à demi - il avance, jusqu’à ce que l’eh attends ! se voit signé d’un Tau ! et c’est si drôle, à la fois ridicule, que d’écouter son nom en trois lettres scandées - minuscule comme nom - et lui, aussi, minuscule en la foule lorsqu’il fait volte-face tout le monde le dépasse et puis. et puis c’est toi. qui dépasses tout le monde et t’appelles en trois lettres - idem - soufflées, Raf- ! son exclame étouffée ; tu te tiens devant lui et lui caches le couchant, et cela feutre tout. la voix de Tau, surtout.

Tau qui n’en revient pas de t’avoir à faux-jour. qui s’effare quasiment de pouvoir te fixer, en fait ; oh c’est un ignorant des fautes invisibles, des froissements commis sans le faire exprès ; quand même il les ressent ! comme une pinçure fantôme à hauteur de son cœur. et du tien ? est-ce qu’au tien toi aussi tu souffres des épingles ? maintenant qu’il vit là, oui et toi ? et toi ? et toi tu ne toises plus et donc il te copie, comme souvent avant vous - vous là-bas, pas ici - il regarde où ton ombre dégouline. à vos pieds. moi pareil. il sent, ça fait longtemps. il a tant de questions. elles sont toutes absurdes. comme : tu l’as revue, la fille ? tu sais l’autre fois la lointaine t’as dit comment t’as dit ? plus que ne pas marcher t’as dit ça matchait pas. il a quelques questions moins grotesques, plus graves, comme : est-ce que tu vas bien ? ou : est-ce que tu es triste ? ou fâché, ou déçu. toutefois ces questions lui sont alambiquées, trop pour te les poser avec sa voix de Tau - si frugale - qui bafouille t’es grand. malgré ton nom très court, en trois lettres identiques. tu le dépasses tellement qu’il a l’impression - en plus des temps longs - que t’es plus grand qu’avant et ton ombre est plus dense et lui dilue son ombre mais peut-être, je me trompe. peut-être avait-il tort de s’adresser à toi comme s’il n’y avait que ça de différent ici.

à ton geste, il s’est miré le cœur comme s’il y avait à voir, quelque chose - un fil d’argent peut-être puisque tu paraissais tracer comme une droite entre le tien, le sien - mais non. rien.

Tau bat alors ses cils comme des palmes livides - deux ailes d’un papillon anémié, translucide - et c’est drôle tu as dit, et dès lors lui se cherche ce qu’il y a de drôle chez vous. ici. tout de suite. ce n’est pas drôle, il croit. à lui la scène ne tire pas un soupçon de rire, ni même l’esquisse réflexe d’un risette timorée. en fait à lui la scène tire juste sur les liens qui maintenaient son cœur au centre de sa cage, comme s’il avait les doigts d’une joueuse de harpe en train d’y faire des notes résonnant très peu justes - fa dièse, do bémol - quasi-des faux-accords s’empirant à mesure qu’il t’entend lui parler sur le même ton que lui, c’est-à-dire le paisible, celui d’avant. tu sais. toi tu sais d’avant quoi.

aussi toi tu possèdes du courage qu’il n’a pas, et le vocabulaire pour avouer tout haut : que oui, on aurait dit une blague son départ de l’Atè, sa montée vers l’Olympe. et ça te contrarie comme ça le contrarie d’apprendre que tu n’avais jamais aimé la fille. ah ! avec cela ça devrait lui faire honte, bien sûr ! bien sûr qu’il se devrait de piquer un beau fard, en double tache de sang sur ses joues crayon blanc ; et pourtant il est pâle, toujours. et encore il bredouille c’est allé vite… j’ai pas compris, non plus - comme s’il y avait ses mots éparpillés par terre il scrute les pavés, où ton ombre s’épand - j’ai pas pu dire au revoir. est-ce que ce sont ces mots ? leur absence qui te blesse - ses yeux te les ramassent pour te les présenter - c’est ça ? qui t’a fait de la peine. je t’ai pas dit au revoir. cinq secondes il te sonde. à la sixième il doute ou- ou c’est pas ça. il suppose car ton air s’est froissé d’une façon familière, qui confond ; Dante avait le même lorsqu’il l’admirait faire ses cartons de fortune, la veille de sa fuite - direction les grandeurs - malgré lui si petit ! ... tu les détestes ? toi, aussi. ces Grands qui règnent ici. mais c’est pour vous protéger qu’ils m’ont fait venir. vite, très vite, sans un temps pour l’adieu seulement tu constates : ici surplombe tout ! tellement qu’on toise loin ! si tu te tournes, Raf, tu pourras contempler le soleil en déclin, flamboyant l’horizon. ici je vois mieux. la preuve il t’a revu et trouvé plus grandiose ! et quand même tu m’en veux ? ce n’est pas drôle, donc.