Ceux qui vivent à New York ne s’étonneraient guère d’apprendre que le mont Olympe leur flotte au-dessus de la tête. Les bizarreries du quotidien d’une mégalopole n’ont rien à envier au surnaturel, pense-t-on et même sans la Brume, ils doivent le sentir, comme une pensée idiote et fugace, à chaque coin de rue.
Comme la grandeur des bâtiments qui cherchent à gratter le ciel. La majesté intempestive et écoeurante des colonnes à l’antique à l’entrée des mairies et des commissariats. Les orgies d’aujourd’hui n’ont pas à pâlir devant celles d’hier, substituant méth’ et ambroisie sans y voir grande différence.
Là-bas, terrés sur leur petit lopin de terre au milieu de l’eau, ils pensent sauvegarder la grandeur de leurs divins aïeux ; mais ces ancêtres-là sont déjà foule dans la fange des rues. Nausikaa n’atteindra jamais l’Olympe comme New York le fait, en essence seulement, en grandeur et décadence.

Lorsqu’il s’y aventura pour la première fois, Satya s’y perdit. De jeune statue, de pucelle dédiée à l’En-Haut, il en devint humain. Sa mère, peut-être, avait guidé ses yeux jusqu’aux tentations qui devaient le ramener vers son héritage divin.
Pendant longtemps, il vécut la ville comme un échappatoire et un abîme. Un lieu où n’être personne, un lieu où devenir enfin ce que son sang voulait de lui. Seulement ici, pensait-il, jusqu’à ce que l’autre ne s’en mêle. Il avait été le premier mais ne serait pas le dernier, à faire valser ses secrets au-dessus de sa tête ; le premier insecte auquel il avait cédé, autant par nécessité que par honte, cédé son corps sur une erreur et cédé son or pour son honneur.
Un des rares qui l’avaient vu , qui avaient rencontré le fils d’Amour plutôt que le guerrier, un de ceux qui devraient l’oublier.
Altair, insistant comme la vermine qu’on ne chasse jamais, n’avait pas oublié. Ses visites, aussi imprévisibles qu’indésirables, lui laissaient à chaque fois un goût amer sous la langue.

Satya avait longtemps songé à l’oublier, lui, à ne le considérer plus que comme un désagrément occasionnel dont il fallait s’accommoder. Cela aurait sans doute fonctionné des années encore, si sa Mère, un soir d’hiver, ne l’avait pas récupéré.
Depuis quelques temps, tous semblaient s’accorder à constater que l’entraîneur Sparte avait changé ; on ne l’approchait plus qu’avec une appréhension mêlée à un bourdonnement involontaire du corps, tant chacun de ses regards semblait désormais attiser autant le désir que la peur.
Parce qu’il le voulait bien.
Alors, quand il laisse revenir à lui l’insecte de passage, c’est volontairement, s’assure-t-il et peut-être même semble-t-il trop accueillant quand, en lui ouvrant la porte, sa grimace dédaigneuse se teinte d’une allure carnassière.

“Des fleurs ? Tu ne saurais pas en choisir correctement même avec un couteau sous la gorge, Altair. Avoir un aussi mauvais goût, voilà un talent que j’admirerais presque.” rétorque-t-il en guise de salut, avant de lui faire signe d’entrer d’un geste sec de la tête. Il n’a même pas besoin d’ordonner ; il sait que l’autre s’exécutera sans broncher.

“Retire tes chaussures avant de tout me salir.” Et cette fois-ci, sa voix ne lui en laisse pas le choix quand elle vient s’enrouler autour de sa gorge. Le fils de Niké n’aura qu’à se déchausser avant de pénétrer dans l’impeccable penthouse où personne ne semble vivre, à force de ressembler à une couverture glacée de magazine.
Satya ne lui laisse que quelques instants  pour profiter d’un luxe qui lui doit être bien étranger avant de le pousser sur le premier fauteuil en vue d’un geste vif et peu amène.

“Oh oui, je vois tout à fait. Je m’attendais à ce que tu viennes plus tôt mais tu sais quoi ? Tu as bien fait de prendre ton temps.”