Le soleil levant caresse le derme lisse de Pavel, qui lève un bras pour se protéger de la pointe des rayons, en amont des immeubles délabrés de l'Atè District. Il a passé la nuit chez Vivienne, a pris en otage sa salle de bain pour se laver et partir au petit matin, comme un voleur. Il n'a pas envie de l'affronter à son réveil. Il n'a pas envie de l'affronter tout court. Pavel est un lâche bienheureux qui a parfois des élans de courage malheureux.

Ce matin là, l'Atè a du mal à émerger de sa nuit agitée. Les rues sont désertes et Pavel gagne rapidement les celles de l'Agôn. Sous la peau d'un homme, il se sent encore instable, gagné par un malaise qui porte les fragrances d'une femme. Dans l'ombre d'un carrefour, il se change en animal - l'instinct guidé par ses pulsions primitives. C'est un lâche, c'est un lâche ! Qui voudrait de lui, autrement qu'à quatre pattes ?

Le museau est attiré par les flaques d'eau croupie, par les relents de pisse qui stagnent entre les pavés. Pavel est dégouté, c'est l'oeuvre des hommes.

Alors qu'il remonte une allée, il croise la silhouette élancée d'un ange. Attiré par son aura (et parce qu'il le connait, de loin) ; Pavel le chien s'arrête, et se retourne de sorte à le fixer, d'en bas. Un fils d'Hécate, sûrement le plus beau qu'il ait jamais connu. Benedict est le petit frère de Vivienne.

Pavel le suit à distance raisonnable, s'autorise un détour. Il rentrera plus tard dans son appartement - il veut s'assurer que le prophète regagne bien le sien.

Trop tard, misère ! Attiré par un oiseau, le labrador l'a perdu. Tant pis, Pavel fait demi-tour, renifle l'air et manque d'heurter des longues jamais.

Te voici.
Pavel est dérouté. Ses pensées se sont matérialisées. Il n'aboie pas, se laisse attacher comme un animal de compagnie et suit, dérouté, Benedict jusqu'à chez lui. Le prend-il pour son chien ? Quel idiot ce Pavel, bien sûr ! C'est un chien !

Une fois dans l'habitat, Pavel attend, l'oeil vide et humide, qu'il se passe quelque chose. Qu'il réalise son erreur et lui ouvre la porte avec une caresse sur la tête ; qu'il se sente bête, autant que lui en est une, de bête.

Merde.

Pavel tourne en rond dans l'entrée, affolé par sa propre stupidité, puis décide de jouer le jeu. Il s'enfuira plus tard - pour ne pas se trahir. On pardonne davantage le gentil chien que l'imposture humaine.

Assis sur le canapé, Pavel jette des regards curieux autour de lui. Un autre labrador, semblable à sa race, sort de la cuisine pour venir le reniffler. Pavel grogne mais l'animal, à l'esprit vide de sens, se détourne de lui sans chercher à défendre son territoire. Les labradors ne sont pas méchants.

Alors Benedict ne l'a pas confondu.
Si Baudelaire est bien là ; à qui sont destinées les rimes de sa poésie ?

Sous forme animale, Pavel est béni de la parole. Alors il répond, en se grattant derrière l'oreille avec une de ses pattes arrière.

Si tu savais que ce n'était pas lui, pourquoi m'as-tu ramené ici ?

Pavel se couche, la tête sur ses pattes avant, et délivre un regard noir mais implorant ; typique des chiens de son espèce. La tristesse est surjouée. Pavel ne veut pas admettre qu'il est un homme qui a accepté de se soumettre. Il préfère alimenter le mystère encore quelques tesmps pour se racheter une dignité.

Ton chien ne me chasse pas. Hécate t'avait prévenu ?

Hécate guide. Hécate guide et Pavel se questionne ; l'a t-elle guidé jusqu'à son fils, alors même qu'il s'est détourné de son chemin habituel pour arpenter les ruelles ? Pavel serait bête de ne pas y voir des signes, lui qui a grandi parmi ses adorateurs - il est un fidèle qui ne laisse pas ses incertitudes effriter sa foi. Sa loyauté est à l'image de sa soumission.

Benedict se perd dans la confusion de ses mots et Pavel tente de raccorder les morceaux. Il joue à la perfection l'animal ingénu, trop innocent pour afficher de la culpabilité - trop coupable pour être crédible dans son rôle.

Je ne suis pas un chien.

Pavel réaliste avec du retard à quel point sa déclaration est idiote - parce qu'il a pourtant le regard vide des bêtes mal éduquées et la fourrure luisante, d'un noir à faire pâlir les éclairs.

Je suis Pavel, fils d'Hestia. Il suffirait que je redevienne homme pour que tu me chasses de ton canapé.

Mais étrangement, Pavel se sent plus en sécurité sous ses traits de fauve. Il a la certitude que le fils d'Hécate ne s'en prendrait pas à lui dans cet état. Même dans l'idolâtrie aveugle, Pavel perçoit un malaise qui remet en question son adoration. Après tout, Benedict n'est pas une femme - il n'a pas la propension à régner. Ça le fait douter de son excès de générosité.

Quel nom tu m'aurais donné ?

Il ne saurait expliquer pourquoi il joue ainsi avec le feu.

Mien. Le coeur de Pavel s'emballe jusqu'à complètement s'arrêter. Sous ses traits d'animal, il intériorise ses émotions car il est incapable de les montrer. Le chien ne cille pas, fixe l'homme de ses yeux sombres et profonds. Il est incapable de rire. Incapable de pleurer. Incapable de hurler. Il jappe son mécontentement et grogne, les babines retroussées sur des crocs entartrés.

Il se fout de sa gueule. Pavel en est certain. Il se croit supérieur, avec sa chemise bien repassée et ses boucles blondes, son visage de poupon que Pavel convoite - il est si beau qu'on a envie de le protéger. Même s'il empoisonne juste avec des mots ; ce n'est pas un homme qui a besoin d'être défendu. Il le ferait très (trop) bien tout seul ; à cheval entre immoralité et perversion déguisée.

Peut-être qu'Hécate sait comment il fonctionne.
Mais lui ne sait pas.
Il ne peut qu'imaginer et fantasmer ce qui va lui arriver.

Le verre d'eau se pose sur la table basse et Pavel se sentirait ridicule de rester dans cette apparence. Il saute donc du canapé et avance à quatre pattes dans le living room.

Par magie, le corps s'élance pour redevenir le sien. Comme après chaque métamorphose, il plaque une main à son coeur car le sentir grossir lui donne le tournis. Il frictionne sa poitrine et se retourne, la main glissant déjà à ses cheveux pour discipliner ses boucles brunes. Il fixe Benedict, les traits tirés.

Merci pour ton hospitalité.

Il se penche et attrape le verre d'eau, qu'il serre entre ses doigts. Le porte à ses lèvres et boit, non sans quitter Benedict des yeux. Il prolonge un contact qu'il sait awkward mais nécessaire pour l'aider à se détendre.

Tu es le petit frère de Vivienne.

Déclare-t-il sobrement. Le mien de toute à l'heure semble tout à coup irréel ; malgré qu'il résonne encore dans sa tête.

Et tu es le prophète des égarés. Un Oracle. C'est bien ça ?

Il demande innocemment alors qu'il sait très bien.
Les enfants d'Hécate... ils les connait par coeur ; lit en eux comme dans un livre ouvert. Benedict a tout du vieux grimoire, scellé depuis des siècles.

Il y a dans le regard de Benedict une lueur malsaine, intensifiée par une absence de volonté de la cacher. Il l'expose au monde entier - et ce monde, dans son entièreté se trouve être juste : Pavel. Droit comme un piquet, à l'allure maladroite et incertaine. Pavel ne sait pas s'il a le droit de se trouver là. Est-ce une énième trahison de sa part ? Envers Vivienne ou Johann ? La seule vérité à laquelle il se raccroche - et ce même si elle lui fait peur - c'est qu'il n'a pas envie de partir. Il ne sent pas spécialement chez lui, mais suffisamment accueilli. Ça lui suffit pour raviver son coeur, en cette matinée gelée, en plein automne. Le froid n'a jamais fait de bien aux chiens errants, mais le feu de cheminée dore la fourrure et réchauffe les pattes.

J'accepte tes excuses.

Mais le confort rend Pavel insolent. Il étire un demi-sourire, décidé à ne pas se laisser impressionner par un fils, alors même qu'il ploie le genoux face aux filles.

Tu vas pouvoir te rattraper.

Pavel aurait bien voulu avoir l'impulsion de s'assoir dans le canapé. Il troque son coup de maitre en coup timide. Il prend place dans l'un des fauteuils entourant la table basse.

Il écoute Ben parler de Vivienne. Ses paupières se plissent un instant ; tente de découvrir les vérités sous-entendues qu'il ne comprendrait pas dans tous les cas. Il a ce don insensé et insupportable pour taper dans le mille à chaque fois.

Viv... Tu ne l'aimes pas beaucoup pas vrai ?

Il laisse flotter sa question, de sorte à faire planer l'ombre d'une menace.

J'ai grandi avec elle. Nous venons du même village.

Il ne s'étend pas plus que ça sur le sujet. Qu'il aime Vivienne ou pas, ça ne le regarde pas. Et vice versa ! Il ne veut pas qu'elle revienne hanter son monde dès qu'il essaie de s'en affranchir. Il a été stupide de l'utiliser comme banal sujet de conversation. Pourtant, il cherche à se lier à Ben d'une manière ou d'une autre, pour justifier sa présence ici. Il aurait dû s'en aller depuis longtemps ! Qu'est-ce qui le fait rester ?

Et si ça ne concernait que.. Quoi ?

Il redresse le visage vers Ben, les pommettes froissées de rougeurs.

Est-ce que tu te moques de moi ? Je ne te saisis pas.

L'aveu est juvénile, vulnérable. Pavel se sent idiot et parce qu'il l'est assurément, se croit moqué.

Je t'ai vu et j'ai...

Il fronce les sourcils, agite la main, désabusé.

J'ai juste été curieux, c'est tout !

Ne me fais pas dire des choses que je n'ai même pas encore pensé. pense-t-il, essoufflé.

À peine Vivienne est mentionnée qu'elle ne l'est plus. Benedict a l'air fasciné par ce que Pavel est ; quand Pavel, lui, est fasciné par ce que Ben représente. Il a tout de la figure mystique, préféré ou maudit des Dieux ; l'incarnation du choisi résonne différemment selon ce qu'on en fait. Les prophéties de Benedict peuvent à la fois s'avérer être des bénédictions comme des tragédies. Et ça, Pavel en devient exalté. Il se demande ce qu'il serait capable de lui prédire dans le futur : une vie oisive ou une mort subite.

De faire ? Qu'est-ce qu'on fait ensemble ?

Ça l'énerve d'être autant en haleine. Il a la gorge sèche et les yeux humides, avide d'une validation existentielle d'un homme qu'il côtoie pour la première fois.
Il entrouvre les lèvres pour accueillir le fruit acide dans sa bouche. Sans rien dire, il soutient le regard de Ben en broyant timidement les zestes de la clémentine entre ses molaires.

Non, Viv ne me parle pas vraiment de toi.

Comment lui dire qu'elle et lui ne parlent plus vraiment de grand chose. Mû d'une impulsion de folie provoquée par la décoration impersonnelle du salon, les meubles bien alignés, le visage de Ben bien dessiné ; Pavel joue des épaules et demande d'une voix claire :

Tu aimerais qu'elle parle de toi ? Qu'on parle de toi ? C'est ça qui te fait du bien, Ben ? C'est étrange, pour un fils d'Hécate, tu passes inaperçu.

Il ne sait pas si ça va l'énerver mais il l'espère secrètement ; au moins deviner qu'il puisse refouler sa frustration devant lui, au profit d'un sourire crispé et félicité.

Ben. Pavel s'en serait voulu à mort d'être repris ainsi sur sa familiarité. C'est que le clan Torchwood a toujours valorisé le respect dans l'extrême loyauté. Et si Vivienne a dû insister des années pour qu'il l'appelle enfin "viv" et pas "madame" c'est parce que l'esprit de Pavel était conditionné par ces règles de vie qu'on lui a inculqué. Règles desquelles il s'est libéré et pourtant, ça ne l'empêche pas de s'excuser platement, sur un ton plus défensif que réellement coupable.

Désolé, i guess.

Benedict, de son nom complet (dans la bouche de Pavel, cela donne l'impression de souiller un ange tombé du ciel) ne s'attarde pas sur ce débat futile. Il se confie un peu, sur lui, de comment il aime être perçu, et de ses hobbies aussi. Pavel l'écoute religieusement, fronce les sourcils quand les sous-entendus se font trop pernicieux. Il a l'impression d'entendre Johann. Avec Orion dans la liste, ça fait un paquet de monde duquel il a appris à se méfier du sens des mots. Les gens essaient généralement de se cacher derrière leur exagération, qu'ils font passer pour un trait d'humour. Mais c'est le plus souvent une vérité qu'il est difficile à assumer. Alors Pavel le croit sur parole.

Définis particuliers. Je parie que tu ne pourras pas m'impressionner.

Il prend plaisir malgré lui dans ce petit jeu du chat et de la souris. Il ne sait pas à quoi s'attendre mais veut le découvrir, et pas forcément pour le dénoncer ou pour le punir. Non, il ne jugera jamais un enfant d'Hécate. Ils sont parfaits en tout point, même dans leurs péchés, même dans leur amoralité, même dans leurs excentricités.

Je-

Ah. Est-ce un jeu ça aussi ?
Pavel ne sait plus sur quel pied danser. Benedict affirme l'avoir vu mourir. Ça lui fait peur à Pavel, mais en effet. Il n'est pas surpris. Est-ce Johann qu'il a vu, ou Orion peut-être ? Ça ne l'étonnerait pas que ça soit un des deux. Il espère secrètement que ça soit plutôt Seraph. Il n'aura pas de regrets à présenter devant Hestia, il pourra dire qu'il a bêtement suivi sa loyauté.

Les Oracles sont censés dire leur prédiction aux principaux intéressés ? Ça ne risque pas de changer le cours des choses ?

Il hausse les épaules.

Je n'ai jamais dit que j'étais un chien bien élevé.

Il l'est, assurément. Il lui tendrait la patte s'il lui demandait.

Il ne s'attendait pas à frissonner de cette manière. Vous savez, ce genre de sueurs froides qui glissent le long de la colonne vertébrale... Qui coupe le souffle. Pavel a la tête qui tourne. Il ne sait pas jauger si Benedict se moque gentiment de lui (à sa manière, c'est à dire bizarrement) ou s'il cherche à l'avertir d'un mal qui plane au-dessus de sa tête.

Pavel s'est toujours imaginé mourir jeune, tragiquement - mais ces dernières années, il a eu l'audace d'espérer vieillir, et retrouver ses amis et sa famille sur le parvis d'une véranda, à trinquer en l'honneur d'une vie héroïque et bien remplie, mais toujours sereine. Mais depuis le meurtre d'Orion, et depuis le sien - tout s'est emmêlé dans une spirale infernale qui a fini par le conduire ici, dans les bras d'un Oracle disposé à lui prédire sa mort. C'est tragique. Pathétique.

Mais aussi un peu grisant.

Tu m'as l'air sur de toi.

Et c'est un peu ce qui l'attire, sur le moment.

Es-ce que tu obtiens toujours ce que tu veux des autres de cette manière, ou je suis le seul idiot à me laisser happer ?

Il aimerait être le seul ! Il aimerait avoir cet honneur... mais il aimerait aussi faire parti d'une liste d'autres naïfs, pour ne pas hésiter face à l'horreur. Il se mettrait une laisse et lui accorderait le diable sans confession mais Pavel est un chien errant, pas de salon.

Il s'approche de Benedict, réduit la distance glaciale qui les sépare et le domine de toute sa hauteur. Ses yeux verts se noient dans son océan bleu.

Est-ce que tu avais prédit ça ?

Il l'embrasse.
Sans savoir pourquoi.

On ne peut pas deviner ce qui sort de nul part.

Aux lèvres charnues qui goûte les siennes, Pavel n'en tire aucun plaisir - il culpabilise, comme à chaque fois qu'il désire. Ils se séparent et Pavel bat des cils, toise l'oracle d'un regard audacieux ; mais ne trompe personne. Si ça se savait ! Ce serait scandaleux. Il pense à Vivienne, il pense à Johann, à Orion - à Seraph et à tout ceux dont il parasite la vie de sa présence indigne. Il a envie de sentir son corps brûler contre celui du fils d'Hécate et se déteste pour ça. Il ne le connait même pas.

Et lui non plus.
Sûrement que c'est ça qui l'arrange.

Tu es plus entreprenant que je l'aurai pensé.

Il s'essuie la bouche du pouce et le fixe, le regard encore voilé par l'excitation, montée d'un seul coup.
La question de Benedict le fait rougir.

Si tu es un idiot, alors je suis un imbécile. Je ne me pends pas au cou d'inconnus, si tu veux tout savoir.

Il darde une oiellade plus incisive.

Mais je croyais que tu savais déjà tout.

Il lève une main pour replacer une boucle blonde, rebelle, derrière l'oreille du serpent - il est le pêcheur originel.

Tu me regardes avec désir.

C'est ce qu'il a dit.

Tu désires le reste ?

Il défait déjà sa chemise.

Pavel laisse échapper une expiration lubrique ; il porte une main hésitante à son front, qu'il éponge ; plaque ses cheveux en arrière et replonge - à ses lèvres qui l'attirent et le soumettent. Du chien, Pavel n'a gardé que l'attitude chevaleresque envers son maitre. Il suffit qu'il choisisse, aujourd'hui ; de troquer sa liberté pour péchér avec lui.

C'est la première fois que Pavel a l'impression qu'on le veut pour ce qu'il est vraiment ; pas juste pour le posséder. Il s'était offert à Vivienne plus d'une fois, croyant qu'elle le méritait de par sa simple existence. Il s'était sagement vendu comme une offrande, toujours dans l'attente. Cette fois c'est lui qui prend.

Non. Ne parle pas de droit.

Il ne supporte plus d'entendre les grands dire qu'ils se permettent ; juste parce qu'ils sont. Ils se permettent car Pavel leur en donne l'autorisation.

Benedict a l'air suffisamment à l'aise, pour quelqu'un qui dit n'avoir aucune expérience avec les hommes. Pavel réalise que c'est un peu son cas aussi. Il a aimé Vivienne, il a aimé Imogen. Il a aimé les femmes qui semblaient avoir besoin de son aide. Pour Ben, il n'a répondu à aucun appel.

C'était juste comme ça.
Un cadeau des dieux (non) ; un cadeau mutuel.

Je vais te guider, qu'il souffle à ses lèvres, chevalier. Pavel glisse une main à l'arrière de sa nuque pour le ramener un peu plus à lui. Il frissonne et soupire d'aise sous la pulpe de ses doigts, qui caressent son torse comme une oeuvre d'art.

Je- Merde alors, c'est exaltant de se sentir vivant. Que tu me touches, Benedict ! Touche-moi et tais-toi, sauf si tu as des questions... Il fait chahuter sa bouche au creux de son cou, y laisse des sillons moites sous les bisous.

Il se rend compte qu'il ne sait même pas où il est.

Où est ta chambre ?

Tant mieux. Il a besoin de se perdre.

Pavel se laisse guider dans les méandres de l'appartement - un seul couloir devient un dédale. Il pourrait s'y perdre facilement, à peine rentré dans la chambre. Il remarque les hésitations de Benedict, se surprend à les trouver craquantes. Pavel a toujours eu le chic de s'enticher des mêmes profils : des personnes complexes et sinueuses qui ne dégagent que des vérités auquel tout le monde voudrait croire sincèrement. Benedict a le port altier, des belles boucles blondes qui lui font penser à un autre... mais il a cette franchise frauduleuse qui le fait devenir faux.

Qu'est-ce que tu aimes ? qu'il lui demande, déjà armé de ses lèvres. Pavel ricane, un peu gêné - c'est qu'il a l'embarras du choix - Benedict s'affaire déjà à le lui démontrer.

Et bien...

Il déglutit, les joues échauffées.

J'aime quand l'autre est inspiré.

C'est une réponse tellement bateau que Pavel aurait pu céder face à l'impulsion de lever les yeux au ciel. Il attrape les épaules de Benedict pour le forcer à rester droit et immobile devant lui ; approche sa bouche de la sienne pour lui voler un baiser furtif (et faire cesser ceux qu'il lui gratifie) avant de se reculer vers le lit. Il s'y assoit, inspire un grand coup.

Se demande ce qu'il fait là.
À bout.

Et tu m'inspires beaucoup.

Dans l'obscurité feutrée de la chambre de Ben, Pavel rouvre les yeux. Sa poitrine se soulève. Il est allongé, le dos droit, avec la couverture tirée jusqu'à la taille pour cacher l'intimité fébrile. ll lui faut puiser dans ses forces pour dépasser sa condition d'affamé, passer un bras derrière son cou pour redresser la tête. Du coin de l'oeil, il scrute le fils d'Hécate et l'écoute, l'esprit encore enivré de son parfum et de ses geignements pudiques.

Aucun, pas même celui que tu vénères ?

Il avait pourtant cru à une prophétie ;
sinon, pourquoi l'aurait-il ramassé dans la rue avant midi ?

Je ne sais pas.

Il aimerait bien. Revenir chanter à son oreille, dans le plus grand des secets.

J'ai peur d'en faire le serment, parce que le destin s'arrange toujours pour me les faire briser.

Sa voix rauque, secouée par l'exercice passionné, se mue en toussotements gras et caverneux.

À Vivienne ?! Il pousse ses mains sur le matelas déjà affaissé par leurs poids respectifs, pour se redresser à hauteur du blond. Non, jamais de la vie. Sa loyauté s'égare déjà. Tu vois... je ne suis pas fiable.

Il attrape le haut - comprend que ça signifie peut-être là une demande silencieuse pour son départ. Pavel enfile la chemise, remarque que certains boutons sont cassés. Merde. Tant pis.

On se reverra, j'en suis sûr.

Il n'a pas oublié qu'il a aboyé pour lui ;
et que Benedict s'est approprié sa laisse -
il fait beau dehors, cet après-midi.