Et maintenant quoi ? La question traine dans ta tête, te démange comme une irritation. Tu as attendu ce jour qui est enfin arrivé. Tu ne comptes plus les machinations, les manipulations en coulisse. Mais tu as atteint ton objectif. Le pouvoir est tiens.

Enfin pas totalement, tu le partages avec l’enfant de Zeus : David. Celui-là même qui s’immisce dans ton dos et t’extirpe de tes songes. Tu réalises aussi que l’un comme l’autre, devez apprendre à vous apprivoiser.

Tu ne te fais pas d’illusions, le dompter sera un défi qui relate presque de l’impossible ; l’inverse est tout aussi vrai. Néanmoins, quand il t’interroge, tu réponds avec un sourire amusé ; la voix calme, saupoudrée d’un filament d’insolence :

— Hm. Il reste encore une marche à gravir si tu me demandes.

Un rire discret, consciente que tu le provoques un peu, mais c’est de bonne guerre. Tu es une enfant d’Aphrodite, ton charme t’aide parfois à te sortir des situations délicates ; tu penses qu’il s’amusera de cette plaisanterie plutôt que s’en offusquer.

— Qu’est-ce que tu as dans les mai… oh. On célèbre quelque chose ?

De nouveau tu t’amuses de tes propres plaisanteries. Si aujourd’hui tu n’es pas de bonne humeur, quand le seras-tu ? Tu ne te caches pas, pas auprès de lui, ce n’est pas la peine. Mais ton petit jeu n’est pas terminé, il ne fait que commencer.

— À vrai dire… tu vas trouver ça bizarre, mais je ne me suis pas encore faite à l’idée. Enfin si, mais, je me pose la même question depuis quelques minutes. Et maintenant quoi ?
 

Tu n’objectes pas ; David n’évoque que des faits. L’enfant terrible d’Aphrodite n’a que faire d’être sous le feu des projecteurs ; c’est un rôle qui convient parfaitement à l’enfant de Zeus. Plus la lumière projetée est forte, plus son ombre se dilate. Son pouvoir est aussi le tien.

C’est ainsi que votre dynamique se crée et va se parfaire. Tu as agi en coulisse depuis le début, pendant qu’il occupe les devants de la scène. Et voilà où vous en êtes aujourd’hui. Il est l’acteur principal auquel tu donneras la réplique. Tu seras sa doublure et tu continueras de faire des ombres ton domaine de prédilection, comme toujours.

C’est là que tu es la meilleure. Là où tu t’épanouis réellement. Le verre de champagne dans la main, tu trinques avec ton leader, le sourire discret.

— À nous.

À vos succès qui naitront de cette nouvelle alliance. Ce chamboulement. Quelques mois t’ont suffi pour atteindre les sommets après avoir été intégré dans l’élite. Tu plaisantes en disant qu’il te reste encore une marche à gravir pour détenir le pouvoir absolu… mais même en étant un magnifique faciès ; celui de David est de bien meilleur augure pour les habitants de l’île… ainsi que pour votre petit groupe.

— Ah oui ? Ça signifierait que toi et moi sommes en bout de course ? Tu ricanes : je pense qu’être au plus haut n’est pas l’arrivée, mais une étape. Car une fois qu’on a atteint le sommet, il faut y rester.

Tu bois une gorgée de ta coupe ; un soupir gagne tes lèvres et s’échoue dans les airs.

— Nos semblables comptent sur nous pour les protéger du mal à l’extérieur de notre petit cocon. Mais les avis divergent sur la méthode à employer. Certains veulent éradiquer le mal, peu importe le prix, d’autres veulent rester à l’abri ici, profiter des bénédictions de nos parents et condamner tous les accès vers l’extérieur.

Pas de consensus unanime ; comme souvent. Vous êtes au sommet, les décisions vous reviennent. La méthode employée pour les adopter aussi. Mais avant même de faire ce pas en avant… tu es curieuse.

— Nous sommes seuls. J’aime à croire que dans cette intimité, à moins que tu me demandes expressément le contraire, ce qui se dit ici… reste ici. J’aime à croire que malgré mon ascension fulgurante et le mauvais présage que les autres voient en moi… tu seras différent.

Tu marques une pause, cherches son regard ; la vérité au bout des lippes :

— Car j’aime les nôtres.
 

Tu n’as de réaction à sa plaisanterie qu’un sourire en coin. Curieusement, pas un seul instant tu ne l’imagines te nuire. Le cas échéant, il n’aurait pas attendu de te voir atteindre les sommets ; à moins d’avoir ce plaisir de contempler une chute vertigineuse.

Plus la montagne est haute, plus la terre est basse. Nul doute que lorsque tu tomberas… tu le feras plus haut que n’importe qui. David a raison ; ce sont bien tes ambitions et tes talents qui t’ont fait gravir autant d’échelons en si peu de temps. Parmi l’élite, il ne reste réellement plus qu’une seule marche à gravir pour le pouvoir absolu.

Est-ce que tu es avide au point de ne rien partager… l’enfant de Zeus doit sans doute se poser la question. Mais peut-être qu’il est mieux de garder près de soi une ennemie potentielle ; probablement la plus dangereuse d’entre tous.

Pourtant ce n’est pas ainsi que tu le vois. Loin de là. Tu respectes votre leader autant qu’il te respecte… c’est une certitude qui s’ancre dans le présent et s’épanouira dans l’avenir. Pourvu qu’il soit comme il l’entrevoit : radieux. Pourvu qu’on ne te le confie pas, car qui sait ce que tu en feras.

C’est à vous de le façonner. Et déjà tu remarques les disparités entre lui et les membres du conseil. Tu te souviens d’une conversation avec l’ambassadeur de Dionysos qui voit ne voix la paix que sous la protection de l’île. Bellamy n’acceptera jamais des expéditions qui se succèdent pour abattre vos ennemis… parce qu’elles sont synonymes d’un massacre pour vos semblables.

— Il est à couteau tiré parce que chacun a sa vision de l’avenir. Je préfère te dire les choses comme elles le sont, sans édulcorer ; tous ne partagent pas tes… « ambitions » de chercher querelle aux monstres.

Il n’a d’autre choix que t’écouter. Passe encore tes pouvoirs, ton statut te donne cette légitimité de lui dire les choses ouvertement. Tu ne crains personne… le seul être qui te donne des cauchemars est mort et enterré. Il bouffe les pissenlits par la racine pendant que toi tu ne fais que t’élever.

— L’idée de rester à l’abri, retranché dans notre petit paradis est très séduisante pour bon nombre d’entre nous… dont je fais également partie. Nous jouissons ici d’une protection que nous ne trouvons nulle part ailleurs. Tous n’aspirent pas à jouer les héros ; certains n’en ont pas la volonté, encore moins le talent.

Mais ton rôle à toi n’est pas d’être catégorique ; tu n’es pas celle qui impose, mais plutôt celle qui suggère. Ton rôle à toi est d’arrondir les angles, manœuvrer discrètement pour faire passer les choses en douceur.

— À mon sens, il n’existe que deux choses qui motivent l’unité dans un groupe : une cause commune… ou un ennemi commun.

Un sourire, une gorgée de ton breuvage et une idée te vient alors en tête :

— Si l’on veut mettre tout le monde dans le bon sens du vent… autant savoir de quel côté il souffle le plus fort. Je peux me permettre une suggestion ?

Tu ne demandes pas vraiment la permission, mais, tu as au moins la courtoise de prétendre l’inverse.
 

Tu ne peux t’empêcher de sourire. Pas parce que ses propos sont insensés, mais parce qu’ils font écho aux tiens ; à ceux que tu as tenu à Bellamy. Lui qui milite activement pour vous enfermer dans ce petit simili de paradis. Les arguments que David avance se jumellent aux tiens.

Votre dilemme est tel qu’il semble insoluble. Mais tu pars d’un principe que les problèmes ont toujours une solution ; c’est l’ambition qui te motive à ne jamais lâcher prise ou abandonner. Et ce, même une situation désespérée.

─ Ça me rappelle des souvenirs tout ça.

C’est tout ce que tu diras à moins qu’il ne te demande développer. Pour l’heure, tu préfères t’amuser de ses dires ; de ce pouvoir qu’il reconnait en toi. Il redoute – à raison – tes dons. Dénué de crainte, il n’en serait pas courageux ni téméraire, mais stupide.

─ Je vais répéter des propos que j’ai tenus quelques mois auparavant. Si je dois défendre notre opinion en public, je le ferai ; même si ça implique de me mettre le monde entier à dos.

Un soupir.

─ Néanmoins, en privé, dans notre petit cercle, je serai impitoyable ; si je vois une faille, si je dois semer la discorde, je le ferai. Rien ne solidifie plus un argument qu’affronter son contraire. Le but est d’élever les débats, pas de tourner en rond.

Si dans l’ombre tu manœuvres ; dans la lumière tu affirmes :

─ David… mon rôle sera d’arrondir les angles, mais auprès des autres je soutiendrai tes décisions. Néanmoins, pour l’heure, il est sage de se mettre du côté de la majorité, puis l’on fera en sorte de mettre la minorité dans le même sens ; avec nos armes.

Et lorsque tout le monde sera au diapason…

─ Ensuite, je te suggère de prendre exemple sur moi : omettre n’est pas mentir. Ce qu’ils ignorent ne peut pas les outrer. Un ricanement. Dans la lumière tu affirmes, dans l’ombre j’agis. Ce que tu ne peux faire sur le devant de la scène ; nous le ferons en coulisses.

Un clin d’œil. Le message est clair.
Il faudra user de… Malice.  
 

Tu ne te fais pas d’illusions. Un groupe n’est jamais vraiment uni lorsque tant de personnalités disparates le peuplent. C’est ton défi que de mettre les récalcitrants de ton côté. Quitte à maintenir les apparences pour éviter de se faire dévorer par la foule.

Tu n’oublies pas que les Olympiens ne sont qu’une minorité d’individus malgré le fait qu’ils forment et côtoient l’élite. Si la majorité de l’île se ligue contre vous… vous ne valez plus rien. Cependant, il est bien plus délicat d’attaquer un groupe uni et inébranlable ; tant que le vôtre cultive les apparences, même si les débats internes sont houleux, vous pouvez survivre.

Tu conçois que plaire à tout le monde est une chimère ; mais tu prends le risque d’essayer, car c’est un défi qui convient parfaitement à une enfant d’Aphrodite. Tu ne ressens à cette pensée qu’une excitation que tu peines à contenir, tes joues se carminent et tu viens chercher une proximité inédite auprès du fils de Zeus.

— Emon, Cecil, les ambassadeurs, tous autant qu’ils sont… je me réjouis de faire face à un tel défi. Tu ne peux pas savoir à quel point je m’ennuyais avant de vous rejoindre.

Tu n’as connu que des bonheurs éphémères ; de courtes périodes où tes sens entrent en ébullition. Tu pensais que l’ennui finirait par émousser tes ambitions, tes pouvoirs ; rejoindre ce groupuscule est la meilleure chose qui te soit arrivée et tu profites de chaque seconde.

Tu sais ce qui t’attend, tu n’es pas dupe… tu vivras aussi intensément que tu mourras ; cela ne te fait pas douter un seul instant.

— Bellamy m’a dit un jour… qu’il me trouvait bien présomptueuse si je pensais avoir la solution à tous nos problèmes. Tu finis par en rire, aujourd’hui encore sa déclaration t’amuse toujours autant. Lorsque la confiance nait et croît de succès, elle est justifiée. L’ambassadeur a confondu la mienne avec de l’arrogance ; sans prendre tous les faits en considération.

Aujourd’hui encore, tes motivations restent floues ; ton propre adelphe, ambassadeur, ne sait pas où donner de la tête avec toi.

— Face à un tel festin, je n’ai qu’une envie, c’est de tout dévorer.

La tonalité de ta voix oscille entre calme et euphorie, alors que tu dévoiles petit à petit tes ambitions au fils de Zeus. Il sait alors que personne n’est à l’abri… et que ce que tu crains, personne ne le possède.