tes jours

midi sonnait et annonçait le creux de la journée. winnie, réveillé depuis longtemps, courrait d'un endroit à l'autre sans jamais s'arrêter. illustration même de ce que c'est, d'avoir de l'énergie (cette ressource étrange portée presque disparue chez la plupart des gens), winnie continuait à vaquer à son quotidien -parfois à new york, souvent à nausikaa, entre nomos et olympus, jamais en retard (ou alors de si peu !), toujours trop heureux. le soleil n'en était qu'à la moitié du jour et il n'avait pas hâte de se coucher avec son comparse étoilé.
ce midi-là était lui aussi planifié, comme winnie organise les choses : un peu, pas trop, juste assez pour ne pas oublier et au final préparer des choses à inventer. il avait une heure et un endroit, c'était bien suffisant ; il marchait, en gardant précieusement dans son sac (nike en coton biodégradable) le fruit de sa plus récente quête : un petit plat de curry au quinoa, accompagné de tofu fumé grillé à la poêle. un délice, à n'en point douter (peut-être moins pour celleux plein d'appréhensions). c'est qu'il fallait faire manger jacinthe ; parfois il ressemblait plus à un fantôme qu'à un artiste, mais winnie n'y connaissait rien : peut-être était-ce la même chose.
winnie ne savait pas trop quoi dire pour qu'il fasse plus attention. fallait-il louer les effets anti-âge de la vitamine E ? les merveilles cheveux doux 100% garantis par la vitamine B ? ou bien, tout simplement, la nécessité des oligoéléments pour rester en vie ?
ah, il n'était pas très certain que cela ait un tout autre effet que celui de l'énerver.
alors winnie se contentait d'amener à manger, s'il le pouvait au moins une fois par semaine ; il lui arrivait de laisser un paquet devant la porte, de commander pour ici, et il se demandait à chaque fois si jacinthe y touchait. s'il en avait le temps. si cela ne le dérangeait pas trop.
c'est qu'il est un artiste. winnie vient de rentrer dans son antre, et tout crie cela : les couleurs, les toiles, les murs, la silhouette se méprenant pour une statue (peut-être était-ce là l'apanage des enfants d'apollon).
il referme la porte, s'annonce, regarde sa montre. salut jass ! ah, ouf, je suis pas trop en retard, c'était serré ce matin. le géant s'avance comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. comme promis, j'ai à manger, tu m'en dira des nouvelles. c'est encore tout chaud, il ne faut pas trop tarder. le sac est abandonné sur la table, et il va chercher des couverts comme s'il connaissait déjà l'endroit par cœur. comment tu vas aujourd'hui ? le ciel est bleu, et l'orage gronde de menaces.

tes discours de secours

c'était un de ces jours-là.
le ton était glaçant et les menaces n'étaient sous-jacentes ; il n'avait besoin de voir ton visage grimaçant et les rictus déplaisants -il en devinait toute la splendeur, la profondeur. jacinthe n'était sans cœur que quand il se l'enlevait pour le mettre ailleurs.
il n'était pas encore revenu, voilà tout.
le reste est assassin, winnie croit qu'il feint ; il y a volonté de nuire mais winnie n'ira pas fuir ; et si les mots écœurent, winnie ne répondra qu'armé dedouceur. il savait (croyait) que jacinthe n'était pas comme ça. pas vraiment. pas souvent.
les bruits résonnent, rebondissent, reviennent à l'assaut. le mur saigne d'une plaie nouvelle (violette, et bleue, et verte), métaphore de sa jumelle (celle qu'on ne verra jamais, caché ailleurs, tout près du cœur, là où jacinthe vient de placer un leurre).
les échos s'étouffent autant que les poumons. l'atmosphère est lourde. aucun n'a bougé depuis quelques secondes, et le monde semble presque nature morte. était-ce le tableau qu'il voulait ? (les garder dans l'immortalité)
le soleil brille dans toutes les toiles, derrière tous les nuages, qu'importe les brouillards. winnie avance, évite consciencieusement les obstacles. il sait déjà que tout ce qu'il dira ne servira à rien.
de son pouce, il vient doucement enlever une tâche de peinture sur le front de son ami. le geste est délicat, comme s'il manipulait une fleur qui se meurt. tu as raison, jacinthe. il sait déjà que tout ce qu'il dira ne servira à rien ; il le fera quand même. pardonne moi, si tu le veux bien.
et winnie alors se disait : apollon n'est soigneur que de ce qu'il y a à l'extérieur.
il est midi trois.
il n'a jamais fait aussi froid.

tes contours de vautour

il ouvre ses paumes vers le ciel, lui plus grand que jacinthe et de toutes les autres fleurs qui poussent si près du sol. winnie, qui prie un dieu qui n'est pas dans les noblesses dans lesquelles il le voit, a toujours fait attention à ne pas écraser les pétales. il les sait délicates, éphémères, destinées à des choses plus grandes que ça ; et quand il voit son ami (ose-t-il le dire ?!) faner à ses pieds, il n'a envie que de le cueillir pour lui donner une nouvelle vie.
mais c'était injuste. jacinthe n'était pas une fleur, et si ses racines avaient bien l'air d'étouffer dans les pots qu'il se créait (ceux de peinture), winnie était certain qu'il pourrait s'en défaire. oui, il avait la rage, c'est juste qu'il ne savait plus quoi en faire. le vase était plein d'eau, et il peignait du rien sans couleur.
ne me pardonne pas, alors. ça m'est égal. c'était peut-être là ce qui agaçait tant jacinthe : cette faculté à s'oublier, lui qui ne respirait qu'à travers les œuvres qu'il ne pouvait pas créer. winnie n'avait que faire des mots, il savait bien moins en souffrir que celui qui les disait. et, alors, il enlèverait délicatement toutes les tâches qui pouvaient bien cacher ce visage oublié derrière les toiles.
la main est loin, chassée comme elle l'a été, mais la voilà qui revient, tout déjà oublié. l'index glisse sur les cheveux de soleil, dévale le côté du visage, s'arrête sur le coupant de la mâchoire. de qui en veux-tu ?
il avait un air de roi adoubant un chevalier.

et les recours sourds

jacinthe lui fait grâce d'un regard, d'une attention honnête, d'une hésitation réelle. il n'y a dans son geste qu'une douceur, un peu de peine peut-être, mais surtout bien des envies d'alléger toutes les misères ; winnie, celui qui jusqu'ici n'avait pas de nom, avait fait le choix de vouloir l'aider. jacinthe sur ses genoux, on l'imaginait une prière aux bords des lèvres, et si les fenêtres étaient bien placées alors il n'y aurait plus rien pour nier la sainteté de celui qui regardait en bas, les yeux peinés et le cœur serré de malheurs qui n'étaient jamais trop les siens, jusqu'à ce qu'ils les deviennent.
winnie n'était pas homme saint ; à vrai dire il n'était même pas homme, et n'avait presque rien d'un saint, et c'était là qu'il se complaisait dans son âme et conscience : à choisir plutôt qu'à en être obligé. il était des personnes qui avaient encore plusieurs options.
la réponse est dite si simplement. elle est si commune, ici, dans ces murs et sur cette île, qu'on pourrait croire à rien de plus que la normalité de la vie d'un.e sang-mêlé.e, d'une des épreuves qu'il faut passer, si commune qu'aucune prophétie n'en fera jamais l'annonce. oui, c'était bien là le triste sort des enfants de déités qui n'avaient pas vraiment le temps pour l'humanité, et de celleux coincé.es entre les deux, échoué.es sur les plages d'une île où la lumière ne sera jamais celle d'apollon. winnie ne faisait pas partie de ces enfants-là, croyait-il, mais c'était faux. sa mère était une amie. et c'était bien là tout le soucis.
et alors qu'il serait si facile d'hausser les épaules, de présenter ses condoléances ou de souhaiter bon courage, winnie s'abaisse, s'assoit, rejoint l'implorant dans sa supplique. sur le visage de jacinthe, il préférait la peinture des tableaux à celle-ci, trop liquide et transparente, insaisissable, venant d'ailleurs. venant de bien loin. c'était la première fois qu'il le voyait pleurer ainsi.
et, comme avant, il passe un pouce tendre sur ces joues remplies de ratures et d'erreurs. il y pense ainsi parce qu'il croit que c'est comme ça que jacinthe les voit, ces bijoux éphémères qui n'allaient même pas à sa beauté parfaite. peut-être les larmes sont trop humaines pour le marbre froid qu'il garde à hauteur du cœur même une fois cassé de tous côtés.
winnie ne se fait pas d'illusions : cela ne durera pas longtemps. pardon pour quoi, jacinthe ? alors il faut agir, vite, et s'il le dit alors peut-être saura-t-il après le peindre, et s'il le peint alors peut-être y pensera-t-il moins, et s'il y pense moins alors peut-être un jour en sera-t-il libéré.
ah ! les espoirs de winnie sont bien simples mais trop grandioses : ce n'est pas grave. il le sait. et il sera là aussi pour la fois d'après.

tes tours qui s'écroulent

le naufrage était annoncé. ce ne serait pas un tsunami, ni même un déluge -winnie s'imaginait que les pleurs allaient finir comme ils avaient commencé : d'un coup, sans prévenir, juste assez pour le punir puis le chasser, lui l'étranger qui ne donne que ce que l'on désire, ah ! comment osait-il ?! d'être doux envers celui qui ne s'avouait monstre que face à un ange, et qui pourtant ne l'était pas ; c'était bien là le cœur de la situation : winnie n'y voyait qu'un homme.
lorsqu'il s'échoue sur sa berge, winnie attrape jacinthe, l'enveloppe de ses bras, le frictionne comme s'il sortait d'une eau glacée qui pourrait lui geler le cœur -il le réchauffe, le ramène à la surface, lui rapprend à respirer. des mots qui sortent, winnie n'en comprend rien, et s'il aurait aimé attrapé ces bouées, ces pansements, ces remèdes, ils lui glissent entre les doigts, et il se retrouve seul face à la carcasse -au bateau endommagé, la cale trouée, le mas brisé, les canons dirigés vers l'intérieur ; un bateau qui n'est plus fait pour voguer, ou une barque à peine désormais, pour un capitaine qui visait inlassablement le ciel, mais qui a rencontré la terre.
comment retourner au rivage quand on est trop habitué au roulement des vagues ? le mal de terre le rendrait malade. qu'est-ce qui te rendait humain, avant, jacinthe ? il tente, s'hasarde ; winnie lui est certain que jacinthe est bien de son espèce : les déités ne s'en voudrait pas de l'avoir frappé. dis-moi. dis-moi ce qui différencie maintenant et avant, qu'est-ce qui t'emprisonnes, qu'est-ce qui t'empêche de revenir en arrière ? et de son corps, winnie copiait la houle, le berçait comme la lune qui veillait sur tous les marins.