Le sablier s'égrène comme se ôtent les feuilles roses des cerisiers lorsque le vent se lève. Accoudé à sa fenêtre, la dryade rêve, se perd dans des songes éphémères, attendant que l'horloge sonne l'heure.
Et lorsque l'heure vient, c'est à la porte qu'on sonne. Doucement se relevant, effleurant du pan de sa chemise entrouverte les plantes qu'il dépasse, il vient ouvrir, sourire doucement, hocher la tête et l'inciter à entrer.

Viens, Jacinthe. Je t'ai tout préparé.

La maladie, voilà ce qui amène les gens chez lui. Personne ne vient jamais quémander des conseils sur les plantes, demander s'il a passé une bonne journée - et il n'en demande pas tant. D'un doux sourire, d'un tendre effleurement, il l'incite à s'installer face à une tasse de tisane fumante qu'il lui a d'avance préparée.

Cette fois-ci j'ai un peu alterné la recette. Tu m'avais dit que ça n'allait pas mieux - et aussi bien que tu puisses être renseigné, je crains que je devrais le voir si je voudrais mieux attribuer les herbes. Mais... Voilà. C'est à appliquer en cataplasme, s'il peut encore le faire.

Un sourire navré alors qu'il s'installe face à lui, si immense dans cet espace restreint d'un petit appartement envahi par la verdure, où le soleil s'immisce et se reflète sur de nombreux miroirs brillants.

Je suis désolé de ne pas pouvoir t'aider davantage, Jacinthe.

Oeillade attentive à cette paume tendue, à cette chair qu'il abîme, Pepsi ne sait que trop bien reconnaître les tensions qui parcourent son corps, qui parcourent les corps des humains quand ces derniers sont en proie à des peines que la médecine qu'il s'évertue à étudier ne savent soulager.
Pourtant, pourtant, les lèvres de la dryade se plient d'un sourire et il hoche la tête doucement.

Cela n'est peut-être pas pour te plaire, mais au moins quelqu'un prend soin de lui.

Pas tout le monde ne pouvait affirmer que ses proches étaient entre de bonnes mains-et parfois, même des paumes avec de mauvaises intentions valaient mieux qu'une lancinante solitude des hommes que les dieux ont aimés.
L'amour des hommes, lui, est bien différent. Et sous la paume de Jacinthe, la dryade rit légèrement, saisit ses doigts et les parcours des siens.

Je ne saurais concocter de filtre d'amour, ou son opposé. Je ne saurais pas non plus répondre à ta question, je n'ai jamais eu de père.

Les doigts qu'il saisis entre les siens finissent contre ses lèvres lorsqu'il dépose un baiser dessus.

Désires tu ton père comme tu désires la chair d'un autre homme, Jacinthe ?

La dryade semble peser le pour et le contre, semble hésiter quelques instants, observant ces ongles qui se font mordiller, observant cette bouche mutine qui profère tant d'étranges paroles.

Je suppose que oui, c'est mal.

Mais le bien et le mal ne sont pas des fruits de la nature, mais des fruits de la réflexion humaine, et il penche la tête, lui offre un sourire presque amusé, accompagné d'une voix qui se fait complice.

Mais si tu le veux tant jalousement pour lui, pourquoi ne pas l'avoir fait tien ? Ne pourrais-tu pas l'amener ici ?

Il se passe une main sur la moustache, étirant les poils qui entourent ses lèvres.

Ou alors ôte sa vie, et tu auras été le seul et le dernier qui l'aura réellement possédé.

Oui, la dryade est un beau reflet. Le mirage, la paréidolie, des arbres qui dansent dans les plaines secoués par le vent, et dans les branchages desquels on croit apercevoir des silhouettes endiablées.

C'est un sacré conflit interne, alors.

Les hommes dans son regard d'or, sont tous si limpides et si complexes à la fois - il pense voir le ciel se refléter dans leurs iris alors qu'en vérité ils ne sont que fond d'un abîme miroitant.

Je le prends comme un compliment. Après tout, je suis ce que l'on cherche à voir en moi, n'est-ce pas là le rôle des médecins ?

Sauveur, tueur, ange gardien ou diable, tous les rôles lui ont été attribués.
Alors il tend la main, la pose sur la sienne, mortellement sincère et ne dissimulant pas la confusion de ses traits.

Mais il va mourir, Jacinthe. Alors dis moi, qui va se trouver sur ton chemin si ce n'est toi-même ?