déjà du temps de la genèse, seraph détenait la connaissance; le jardin d'eden, il n'y a jamais posé les pieds, alors toujours, il a su ce qu'il devrait faire pour toucher les cieux.
et surtout ce qu'il ne devrait pas faire.
puisqu'il faudra se tenir au sommet d'un monument de cadavres, il ne s'attachera qu'avec parcimonie, sans perdre de vue son véritable amour (lui-même, assis sur un trône, coiffé d'une auréole, il frémit à la pensée de ce tableau comme il n'a jamais frémi pour un autre).
mais pour l'instant, il n'a pas de couronne, alors il demeure indubitablement humain, ne fait pas exception aux passions du corps et de l'esprit - et quelle terrible faiblesse !

emon souffle son nom, et la beauté régulière de son visage, froissée par la trahison à venir, lui évoque la noyade. ne demande pas. dis-moi juste. à sa caresse, il répond par un sourire sibyllin; mais reste formidablement dur, méchamment immobile. viens-en aux faits. il aime penser qu'il n'a aucun remords.

dans les yeux noirs d'emon, il y a comme un appel à l'aide; si seraph était moins vain, moins fier, un peu plus équilibré, il y décèlerait le reflet de la culpabilité. latente, diffuse, pincement sourd d'une douleur à retardement. il commence à parler, et il l'entend de loin, comme si déjà ils ne partageaient plus le même monde. il ne pense pas à s'en apitoyer, lui qui n'y voit qu'un mal nécessaire. incessante litanie : la fin justifiera les moyens.
tu sais quelque chose ? et la voilà, la question, celle qui trahit la faiblesse d'emon. dans son ignorance, il est splendide, les traits délicats redessinés aux couleurs de l'amour. c'est dans un élan masochiste d'absolution que seraph se fait violence pour le soutenir, ce regard qu'il a déjà souillé. oui, je sais. mais je ne te dirai pas leurs noms. il pourrait lâcher sa main, lui révéler d'un signe le gouffre qui désormais les sépare. mais il n'en fait rien; au contraire, il le retient, presque cruellement. tu m'as en face de toi, ce n'est pas suffisant ? ils font tout ce que je leur demande, et jamais rien sans mon accord. dans la cage thoracique, presque imperceptiblement, le coeur tressaille, les nerfs s'agitent. il n'attend pas le châtiment, encore moins le pardon : en visant les hauteurs de l'olympe, il a accepté la solitude des sommets, de celle que l'on ne connait qu'en observant les mortels des milliers de kilomètres plus bas.

évidemment qu'emon ne le connait pas vraiment, qu'il n'a pas idée de sa monstrueuse arrogance, alors évidemment qu'il est déçu, meurtri, cet égaré auquel il n'a laissé voir que son visage triste. mais tant pis : entre leurs doigts, une chaleur qu'il ne connaitra bientôt plus. il réprime la violence futile de cette pensée, chasse sa voix de toute tonalité qui pourrait la traduire :
parce que je le juge nécessaire. et non, emon, il n'y aura pas de raison transcendante ou de justifications embarrassées, rien qu'une vérité d'une bêtise assassine. il pourrait te dire qu'il veut secouer le monde et s'élever comme un feu de forêt; ou encore qu'il donne de la chair à midas faute de quoi ce dernier lui sauterait à la gorge. mais la fierté l'empêchera, toujours, de chercher ton pardon. tu crois quoi ? je suis chef des spartes, tu penses qu'on joue à la dinette ou quoi ? il est tranchant, ce ton désinvolte. comme par mimétisme, il fait écho au souffle incrédule d'emon, d'un amusement offusqué.
la perplexité d'emon est d'une pureté cruelle; et sa confiance, d'une simplicité écoeurante. c'est avec un semblant de désarroi que seraph lutte contre la nausée qui l'envahit. arrête de me regarder comme ça. et c'est lui, finalement, qui délie leurs mains et les sépare à jamais - dans l'espace temps s'imprime définitivement l'abyme de la rancune.

l'ombre de la culpabilité s'étend de tout son poids par-dessus son épaule et il refuse de lui faire face, alors il se referme, se durcit encore, barricade le coeur derrière un rempart que personne n'aura plus jamais le droit de franchir. (il se trompe.) s'il se laisse aller à la faiblesse des émois maintenant, qu'en sera-t-il de la suite, lorsqu'il devra sacrifier plus encore; que les dommages collatéraux deviendront ses dommages à lui ?
qu'emon le déteste, donc.
commence pas à me souler avec tes histoires de justice sociale, elle est épouvantable, sa désinvolture, qu'il brandit comme un bouclier. ce rictus, il lui renvoie. c'est la vie, ça n'a rien de personnel, mais je ne m'attends pas à ce que tu comprennes.
oui, voilà, il ne peut pas saisir l'ampleur de sa destinée, lui qui est étranger à la brutalité sparte, aux charognards qui n'attendent de leur chef qu'un signe de faiblesse, qu'une vague lueur d'ennui pour le dépecer sans remords - puisqu'il joue à un jeu dont personne ne respecte les règles, pourquoi devrait-il s'y plier ?
la caresse le prend d'assaut, lui fait l'effet d'un dernier coup porté par celui qu'il a lui-même mis à terre. il voudrait lui dire ne me touche pas, mais ce serait trahir les penchants du corps : statufié, les pieds ancrés dans le sol, le port fier du menton levé, il tue dans l'oeuf toute nuance de sensibilité. cette carcasse secouée par la chaleur de l'amant déchu, il la dompte, apprivoise la nausée jusqu'à la trouver délicieuse.  

c'est ça ta question ? tu penses que t'es le centre du monde ? il n'y répondra que par cette agression - il ne soufflera pas bien sûr que non, et pourtant ce ne serait pas un mensonge. les spartes n'oseraient pas meurtrir une peau qu'il a lui-même repeuplée de ses baisers. (ou peut-être bien que si ?) mais ne serait-ce pas pire de lui dévoiler cette vérité d'un égoïsme abrutissant ? réveille-toi, emon.
de toute façon, ça n'a plus d'importance. car plus jamais il n'entourera emon de ses bras. la distance qui les sépare, actée dès les mains arrachées l'une à l'autre, ne laissera de leur histoire qu'un goût amer; déjà, ils sont inexorablement étrangers.

dire qu'il a failli l'aimer. dans le puit sans fond de ce regard meurtri, il ne voit plus que son propre reflet; y présage sa noyade dans le styx. tu as peur de faire mieux, et ce reproche est peut-être ce qui le blesse le plus. plus insupportable encore que d'être dépossédé de sa tendresse, il est amputé de son respect, réduit à une méprisable imitation de lui-même. il se sait responsable. pour ce dommage collatéral de son ego, il se contentera de dire tant pis. le sourire désincarné qui redessine le désarroi d'emon lui est difficile, indigeste.
je t'ai dit d'arrêter ! arrête de me regarder comme ça, putain. et ne me touche pas, ne me touche plus. il gronde, immobile, les muscles bandés, les nerfs sur le point de sauter.
en temps réel, il est témoin de la transformation du fils d'hadès : de la peine à la rancoeur, de l'amour à l'ennemi, inoffensif mortel bientôt mué en un monstre de rancune. alors il se cabre, de ce terrible orgueil, se fait victime de son incompréhension, l'invente coupable. tu n'avais qu'à m'aimer pour ce que je ne suis pas, emon ! tu n'avais qu'à accepter la splendeur de mon ambition, et alors tu aurais pu briller à mes côtés !
donc cette fois, c'est par pure volonté de blesser qu'il est mesquin, cruel : tes petits protégés, je les piétine, et midas n'en fera qu'une bouchée. j'aimerais bien vous voir essayer de me faire regretter. (il ne croit pas si bien dire.) par la provocation sulfureuse digne de son ascendance, il triomphe du vertige; s'abime dans cette violence, se dit qu'il devrait moins souvent la refouler. maintenant, dégage.
les voici, ses adieux. au fond, il sait déjà qu'ils se reverront.