Les salles aseptisées ne t'avaient pas manqué. Après le noir et les néons de la chambre de Duke, le blanc de l’hôpital en devient aveuglant. Même paupières closes, tu ne trouves pas de repos. Le bip des machines t’agresse. On t'a dit que tu en avais pour une semaine. Tu es furieux.

Tu entends le battement de son cœur avant qu'elle ne passe la porte. Il t'a attiré, il était hâtif, trop en comparaison du reste du personnel. Tu tournes la tête vers la porte pour la découvrir, elle. À la voir aussi droite, postée là, la main sur la poignée comme prête à se dérober tu songes :

Ah, elle s'est inquiétée.

— Je pensais ne pas y revenir, oui.

Tu détournes le regard pour revenir à ta contemplation du plafond. Tu laisses ta tête reposer sur l'oreiller. Libres, mais pourtant plaquées contre ton corps comme-ci ils étaient attachés, la tension dans les muscles de tes bras trahissent ta frustration. Tu serres les poings.

— C'est une catastrophe.

Lazare était là. Ton frère en danger. Blue qui se sacrifie, Stian blessé. Tu repasses les événements et graves à fer rouge la moindre information qu'on te donne. Froid, la gorge serrée, tu craches, aussi coupable qu'énervé.

— La fille d'Hécate qui m'a secouru m'a dit ma vie ne valait pas plus que celle du fils d'Hadès à qui je dois ma fuite. Pourtant, j'aurai forcé l'échange.

Sauf que tu n'as rien demandé et tu le lui fais comprendre en la regardant.

— C'était une folie, comment le conseil a-t-il pu valider une décision aussi stupide ?

Tu aurais dû y rester. Et tu sais qu'elle comprend. Diane et toi, vous partagiez plus qu'un cœur. Vous partagiez aussi vos idées.

Tu connais le bilan. Mais béni soit-elle de l'énoncer de nouveau. Bénie soit-elle de soulever le nombre de blessés, le potentiel mort, l'absolue absurdité de toute cette opération. Un mort et cinq blessés graves pour un seul homme. Tu l'as encore au travers de la gorge, surtout car quelque part, au fond, tu ne peux t'empêcher d'être touché. Tout ça pour toi. Recevoir un présent qu'on ne mérite pas vous rend toujours coupable. Et tu n'as jamais été aussi d'accord avec Diane qu'en cet instant.

— Alors pourquoi l'avoir fait ?

Tu ne peux pas croire David assez fou pour avoir si mal joué. Tu ne pensais pas tes collègues assez bêtes pour se mettre autant en difficulté. Pourtant, c'est ce que Diane explique. Le vote a été unanime. Tu baisses les yeux porte tes doigts à ton front.

— Je ne comprends pas.

Tu secoues la tête.

— Je ne comprends pas la décision de notre parti. Rien ni personne ne justifiait un tel dispositif. Tu le sais, je le sais, David le sais.

Pourtant il avait voté pour venir te sauver. Était-ce une folie due à l'affection ? N'avait-il pas réfléchit ? Terrible, l'estime que tu lui portes t'empêche de lui concéder le droit à la bêtise. Tu soupires. Dans ta tête tournent déjà les prémisses de plan, de guerre à mener. Vous deviez renforcer votre position, garder votre pouvoir sous contrôle. Il allait falloir rassurer, se refaire une crédibilité. Maudit David ! Maudit Nate ! Maudit Olympiens ! Trop de travail, tu as déjà trop de travail. Puis Diane parle. Tu te stop. Tes doigts qui tapotaient nerveusement ton front se figent. Tu relèves la tête, relève les yeux sur elle, l'expression interdite.

— Tu es stupide.

Tu pinces tes lèvres, laisses ta main retomber sur le lit.

— Non, je suis stupide.

Tu lui en veux. Dieu que tu lui en veux.

— Je regrette tout ce que je t'ai fait.

Ah, ton père. Évidemment. Tu ne caches pas une grimace amère. Tu as horreur de voir ton parent divin s’immiscer dans vos affaires humaines.

— Tss, il n'a pas le droit d'influencer le conseil. Il devrait être un simple observateur. Je lui parlerais.

Nausikaa est ton œuvre, ta responsabilité, ton combat. Tu ne veux pas de traitement de faveur. Tu ne veux pas des dieux chez vous. Vous avez déjà suffisamment à faire des caprices du père de David. Tu marques néanmoins l'ombre d'un sourire lorsqu'elle sous-entend la bêtise des autres. Tu es d'accord. Elle le sait. Tu lui laisseras juste la responsabilité d'être la seule à proférer l'insulte. Mais ton sourire disparaît dès que la conversation prend une tournure plus intime. Tu es fatigué. Excédé. L'impasse de votre relation te tue. Tu es responsable, mais tu en a marre de devoir payer. On a jamais dit que tu étais bon joueur.

— Très bien, alors va-t-en.

Tu le regardes, désigne la porte.

— La sortie est par-là. Prends là. Libère-toi.

Tu lui en veux. Pour cet entre deux. Tu lui en veux. De ne jamais sortir de ta vie, de ne pas y rester non plus. Tu es fatigué. Tu ne sais plus si tu l'aimes. Toi aussi, tu veux te libérer. Tu la regardes avec un sourire désabusé.

— Quoi ? Qu'est-ce que tu veux que je te dise d'autres ? Que veux-tu de moi ? De la compassion ? Des regrets ? Tu les as déjà. Un adieu ? Très bien. Je te libère Diane, vas, vole ! Tu ne veux pas ? Je ne peux rien y faire, c'est au-delà de mes compétences.

Tu secoues la tête, excédé. Tu ne veux comprend plus. Tu ne vous comprends pas. Tu lui en veux. Tu t'en veux. Qu'elle se décide.

— Je t'ai blessé, je regrette. Tu n'en as rien à faire ? Très bien, mais c'est ta responsabilité. Tu veux que je souffre seul ? Je ne demande que ça ! Alors je te donne la solution, Diane. Va-t-en. Personne ne te retient, surtout pas moi. Sois heureuse ! Mais non, tu restes, tu t'entêtes et tu me fais payer le fait de n'être pas capable de quitter une bonne fois pour toutes le type qui t'as brisé le cœur.

Tu fulmines. Tu es fatigué de t'énerver, mais elle t'y pousse.

— Je paye ce que j'ai à payer, mais je ne prendrais pas la responsabilité de ta propre lâcheté. Ça suffit Diane, tu veux être libre ? Aie le courage de partir. Dit moi adieu, maintenant.

Elle ne te dit pas adieu. Si elle part vers la porte et se saisit de la poignée, elle ne la franchit pas. C'est qu'elle ne peut pas. De ton lit tu l'observes s'acharner à vouloir sortir sans pouvoir réussir. Tu l'observes s'écrouler et pleurer. Tu l'as fait pleurer. Encore. Seulement, ton cœur est mort. C'est effrayant, tu te sens comme hors de ton corps, comme totalement anesthésié à son chagrin. Tu te demandes si tu es un monstre. Peut-être que Duke ne t'a pas seulement coupé un doigt.

Tu pousses sur ton poing valide pour t'aider à sortir de ton lit. Tu grimaces et serres les dents. Ta jambe te fait mal. Tu as pris l'habitude de te soulager en usant de lévitation. C'est un don que tu vas devoir travailler rapidement, tu le sais. Tu t'élèves à un peine quelques millimètres du sol pour combler l'espace entre vous.

— Parce que c'est à toi de prendre la décision finale, Diane. Moi je n'ai rien à exiger, pas en étant celui qui a blessé.

Tu t'appuies sur la porte pour t'accroupir en face d'elle. Tes articulations te font mal, tu retiens un gémissement douloureux lorsque tu poses genou au sol.

— Je t'aimais encore quand j'ai passé la porte ce jour-là.

Tu hausses les épaules.

— Crois-le ou pas, je ne chercherai pas à te convaincre, mais te quitter a été la chose la plus difficile et stupide que j'ai faite, d'autant plus que rien ne m'y forçait.

C'est marrant, c'est comme-ci tu pouvais te voir de loin. Toi à genoux là en face d'elle. Ton regard s'échoue sur la bague qu'elle tient fermement entre ses doigts. Tu sembles éteint. C'est bon, tu es fatigué. S'en ai presque si Duke te manquait. Tu penses, un peu tristement que tu n'aurais pas été triste de mourir hier.

— Il ne s'est pas passé un jour sans que je ne regrette d'être parti. Mais je ne me voyais pas revenir te demander pardon alors que je t'avais trahie. Je me suis convaincu qu'il fallait mieux que tu m'oublies et que tu fasses ta vie. J'ai tenté de faire la mienne avec le succès qu'on me connaît.

Des femmes qu'on baise dans des lits qui ne sont pas les tiens et qu'on laisse un peu mélancolique d'à quel point le shoot d'euphorie avait été court. Tu souffles du nez. Ouais, tu es fatigué.

— Personne n'a réussi à te remplacer et je pense que personne ne le pourra. Cependant quelque chose est mort entre nous, Diane. Je ne sais pas si je t'aime encore. Mais je sais que j'en ai assez de nous voir déchirés comme ça. J'en ai assez de te voir mal. Il faut que ça cesse.

Tu te lèves, lévite jusqu'à la table de chevet pour sortir du tiroir les rares effets personnels qu'on t'a ramenés à la vas vite. Tu prends un paquet de mouchoirs que tu viens déposer à ses pieds.

— Je vais appeler pour qu'on ouvre.

Alors c'est comme ça. Face à elle, toute dressée de sa hauteur le visage mouillé de pleurs. Pourtant, les dieux seuls savent à quel point elle te parait petite soudain. Alors c'est comme ça. Tu ne sais pas ce qui perce. Une forme de soulagement, peut-être. Une forme d'amertume, aussi. Vous ne pouvez vous libérer. Et tu te demandes, Bell, quel dieu vous a maudit. Est-ce Aphrodite ? Nemesis ? Pourtant, si tu es atrophié, tu ne parviens pas à la détester. Plus tu la regardes, plus tu te rappelles que tu ne pourras jamais.

— Je ne sais pas si je t'aime encore.

Non, ce n'est pas la bonne formulation. Tu avales ta salive, te corriges.

— Ou plutôt, je pense t'aimer encore mais j'ai de la pitié et de la culpabilité également.

Vous êtes si pathétiques. Vous êtes si tristes. Mais elle te demande de ne pas l'abandonner. Tu as envie de lui dire qu'elle folle, stupide. Elle ferait mieux de passer cette fichue porte et de refaire sa vie. Puis tu te rappelles que tu es bien le prince des hypocrites. Tu as cédé à sa chaleur dès que tu en as eu l'occasion et tu lui en voulus de te prouver que malgré les années tu étais toujours aussi mordu et condamné. Tu laisses tes yeux choir au sol. Rien de tout ceci n'est sain. Duke avait peut-être raison dans sa folie. Pourtant, tu as le devoir d'obéir et essayer. Diane, tu ne peux pas l'abandonner.

— On en est donc à un point où toi sans moi est inconcevable.

Tu soupires. Tu ne sais pas si sa conclusion te satisfait ou t'accable. C'est trop tôt, tu n'y vois pas clair. Tu te tiens au mur pour te glisser jusqu'au lit où tu t'assois.

— Très bien, je ne t'abandonnerai plus.

Tu lèves les yeux vers elle. Tu te condamnes. Tu es sûr qu'Aphrodite adore, de là où elle est.

— Je le jure sur le Styx.

C'est ce qu'elle veut entendre. C'est ce qui lui fera sécher ses larmes. La promesse sacrée que tu ne partiras plus. C'est bizarre comment ton propre cœur balance. Tu te sens triste, tu vois à quel point tu l'as meurtrie. Alors tu te dis, du fond de ton esprit malade que tu peux œuvrer à faire les choses bien. Que tu peux devenir cet homme digne d'elle et de ce "vous" que vous aviez tant chérit. Tu la regardes. Tu ne te vois pas sans elle non plus. Peut-être que oui, cette fois, tu pourras faire les choses bien.

— Alors ne parle plus de périr pour qui que ce soit.

Tu observes l'anneau dans le creux de tes mains. La vision de cette relique du passé te fait souffler du nez. Tu as promis, qu'elle te dit. Sauf que ce n'est pas tout à fait exact.

— Non, j'ai juré.

Sur le Styx, parce que tu aimes trop te condamner et t'enfermer. Tu prends l'anneau pour le passer à ton annulaire, comme autrefois. Le travail des forgerons d’Héphaïstos est magnifique, il s'adapte à ton doigt comme par magie. Tu relèves les yeux vers elle. Montre ta main, comme un chien qui explose le collier que le maître lui a glissé autour du cou.

— Voilà.

Pourtant, vous êtes toujours aussi triste. Tu soutiens son regard une poignée de secondes avant de soupirer.

— Oui, tu me fais pitié. Mais je me fais pitié aussi. Nous sommes pathétiques, Diane.

Tu t'appuies sur le lit, il grince sous ton poids. Le confort de ton appartement te manque, l'épurée de l’hôpital ne te vas pas.

— Et maintenant ? Qu'est-ce que tu attends ? Qu'est-ce que tu veux de moi ?

Tu es né pour la servir, en vérité. Alors qu'elle ordonne.