La sueur qui noircit le haut de ton t-shirt témoigne de la difficulté des exercices que tu t’imposes. Chaque pause sur l’île est devenue une suite de rituels ancrés chez toi, une manière de te rappeler d'où tu viens et à qui tu appartiens.

Il y avait cependant une chose inéluctable sur cette île, et trempé de ta sueur, tu regrettais soudainement ta présence. Elle entraînait toujours l’apparition d’une autre personne, comme si les Dieux interdisaient une quelconque solitude.

Il était fort probable qu’une telle loi existe, juste pour ennuyer les semi-divinités amnésiques.

Par Hécate, depuis quand tu es là Alyss ? Vas-tu cesser de me coller la peur de ma vie ? J’ai la sensation de devoir constamment surveiller mes gardes, de peur que tu ne sortes de l’ombre pour me permettre de dire Es tu Alyss ? Tes prunelles noires qui balayent le visage de ta comparse, tu cherches la colère dans ses yeux ou un quelconque jugement.

Tu avais remarqué la tendance aux regards moribonds qu’Alyss te lançaient. Viens-tu reprocher quelque chose à l’ancien Onyx ou t’es tu décidée à t’adresser au nouveau ?

Non je - se fait avaler par la conscience qu’il fallait parfois ne pas couper l’élan de l’autre et que son latin et ses références cryptiques seraient compris plus tard. L’épée au bout de sa poigne, il se détourne de son mannequin avec la tranquillité d’esprit que celui-ci ne viendra pas perforer son corps.

Qui es-tu ?

Le sang qui monte jusqu’au pommette, l’enfant du soleil se trouve trop en son centre ; trop brûlant pour ne faire autre chose qu’ouvrir la bouche un instant avant de la refermer dans un claquement.

Euh… Onyx était stupide, que ce soit l’ancien ou le nouveau, il n’y avait rien au fond de son cerveau qui pouvait lui permettre de répondre avec justesse à des questions si difficiles. Je suppose que je suis toujours aussi bête et que je souffre encore de cette maladie. L’une des paroles les plus sensées qu’il n’avait jamais proféré depuis sa (re)naissance.

L’arme au point, il s’approche à pas légers d’elle, souriant à la question. La nuque inclinée, il s’étire comme un chat satisfait. Les monstres du dehors. Les monstres du dedans. Tu sais, je me suis toujours demandé, comment ai-je pu tomber ainsi dans cette eau ? Alors que j’ai quand même l’impression d’être adroit…bref ce n’est pas la question.

Je m’entraîne parce que j’en ai marre de me faire dégommer la gueule par les autres Spartes, et aussi parce que j’ai des commandes de fournitures à aller chercher sur New York. Avec ce qui s’est passé, flemme de me faire bouffer en tournant au mauvais endroit.

Je suis émoussé ?

La voix qui se brise peut-être de se savoir déjà vaincu ; pourtant il veut laisser Alyss lui voler ses mots et ses épées. Peut-être alors qu’elle continuera de le regarder,  et que ses prunelles vermeilles se teinteront d’une vie qui lui manque.

Quand elle lui vole l’épée, il ne fait rien, le bras retombe lourdement contre son flanc fatigué. Il se devait d’être un guerrier grand et fort, d’être un homme de droiture. N’était-ce pas ce qu’il était avant, ce chevalier servant ? On lui répétait sans cesse : oh onyx, avant tu étais si déterminé.

Il haussa les épaules et se mordit la lèvre. Moi j’ai peur et j’aime cette peur elle me fait sentir vivant.

Mais finalement, Onyx ne peut s’empêcher de retourner à Alyss et ses prunelles scrutent celle qui se veut sauveuse. Vraiment ? Tu es sûr ? Tu m’aurais sauvé ?

Il semble presque attristé.

Tu ressembles tant à une…poupée, que c’est perturbant, tu sais ? Tu sembles en vie mais tes yeux… tes yeux sont vides Alyss, est-ce que c’est normal ?

Il aurait détesté te voir comme ça.

Ce sont ses prunelles qui se baissent pour échapper au regard intrusif d’Alyss. Il se sent soudainement sale et bête à se tenir ainsi ici au milieu d’un lieu qui ne veut plus de lui. Il est une âme qui a volé un corps, et cette enveloppe porte déjà une histoire.

Il se déteste encore.

C’est presque naturel et évident, Onyx n’arrive même pas à retenir ces mots, pas même à se défendre.
La faute à ses prunelles rouges sangs qui lorgnent son cœur et ses cicatrices.
La faute à ses mots si tranchants.
La faute à d’autres.

Mais surtout sa faute à lui.
Faible et vaincu.

L’envie d’exister ailleurs que dans les iris des autres.

Le cœur qui se durcit, il se détourne d’elle se détourne du sang qui brûle. Il a soudainement la rage, une rage à trancher sa gorge et à se nourrir de ses entrailles.

Une rage à réveiller la bête qui séjourne toujours au fond du Sparte.
Parce que les deux Onyx portent cette honte ; d’avoir faim de guerre.

Mais tu te trompes aussi. Onyx ne subsiste plus. Il est mort. Je l’ai tué. Je l’ai tué en naissant, en prenant sa place. Onyx a disparu et maintenant je suis là, à sa place. Onyx est mort, parce que personne n’a pu l’empêcher. Même toi, même toi qui aurait pu le sauver, tu n’y es pas allée.

[ALYSS] - [AVRIL 2023]

Alyss est un enfer personnel, pavé de souvenir qu’il n’avait plus. Il n’y avait ici aucune bonne intention, aucune douceur, elle était juste là à distiller un poison. Elle n’était qu’un miroir brisé, dont le mercure s'échappait pour tuer à petit feu tout ceux l’entourant.

Onyx pourtant, avait perdu la peur de mourir, la peur du risque. Il ne vivait que dans l’instant présent.
Il se retourne finalement vers elle.

Qu’est-ce que tu essayes de faire Alyss ? Crois-tu vraiment qu’il y ait un assassin ici ? La nuque inclinée, il la toise de toute sa hauteur, se laissant attraper par le serpent qu’elle est. Alors seulement, oui seulement, sa main vient saisir son épaule fermement, la pression suffisante pour menacer de quelques fractures.

Onyx est mort et je suis le nouveau. Et tu dois contempler ce sang, parce que tu n’étais pas là, parce que tu te prétends victorieuse mais tu n’as pas pu empêcher ça, tu n’es rien toi non plus au final. Juste une autre victime.

Il relâche finalement la pression et , habilement , se détache d’elle.

Nous sommes tous deux des échecs, Alyss.

La lame dans sa main.
La lame.
Il ne voit que ça.

Le sang qui pulse contre ses tympans, il entend l’appel. C’est l’hallali qui sonne, le cor qui déraille. La guerre est là, elle est à leur porte. Déjà, Onyx se met en mouvement, les prunelles constamment aux aguets. Le pas chaloupé des porteurs de mort, il ne prend que le temps de récupérer sa propre épée et une poignée de sable en même temps, de serrer ses phalanges.

Est-ce que tu fais partie de ces monstres ?

Le jet de sable est lâché vers ses yeux, alors même que déjà il bondit pour fracasser son arme contre la sienne.

Dis moi Alyss, pourquoi j’ai l’impression que si tu m’avais accompagné, tu aurais laissé mon corps pourrir aux enfers ?

Elle a l’odeur de la mort, elle a l’odeur du mauvais.
Et lui, il restait juste un ancien paladin.

La force de ses coups se décuplent, le corps retrouvant ses aises et la vieille danse qu’Onyx maîtrisait à la perfection.

Qui sont les monstres dont tu parles ?

Nausikaa est censé être leur royaume de sûreté, la cité de la paix.

Mais Onyx, tu te souviens de cette question : et si on t’avait poussé ?

Nous sommes tous deux des échecs, Alyss.

Le vermeil qui coule, la ligne de vie ténue qui déchaîne la Bête en lui.
Le corps contracté, les muscles lourds, il danse et chaque pas alterne entre précision et difficulté.
Se battre contre Alyss revenait à se battre contre soi-même.

On en revenait toujours aux mêmes histoires : elle était le miroir du monde, brisé et sali mais fonctionnant encore. On avait beau le couvrir d’un torchon, le cacher dans l’angle d’un grenier, il résisterait au temps et finirait un jour pas renvoyer l’image d’un homme brisé.

Les coupures et les stries s’accumulent le long de ses bras et de ses jambes, le flan souffrant de l’oxygène manquant. Ça ne l’empêche pas de continuer son attaque et de serrer les dents.

Non malheureusement pour toi, tu n’es pas un monstre.

La réponse crachée fait lieu de parade, le souffle lourd, il commence déjà à faiblir.

Alors la prochaine fois, fait le Alyss, achève moi et porte mon corps, noie le et qu’on chante mon nom. Mais avant

Un arc de cercle métallique qui permet d’éloigner les corps, il reprend sa respiration.

Avant laisse moi faire en sorte qu’on chante ma gloire de mon vivant.

Au final, les deux Onyx sont similaires.
Ils veulent que le monde se plie à leurs visions.

Je mérite toutes tes promesses et tous tes serments. C’est craché avec rage et amertume et il tend sa lame vers elle, comme une défiance continuelle.

Regarde moi Alyss et reconnaît moi pour ce que je suis.
Qui es-tu Onyx ? Une arme.

Et c’est cette certitude en lui, qui le pousse, encore, à se jeter dans la bataille.

A ce moment-là, il pourrait avoir la rage sur le bout de la langue, la folie dans son regard sombre. C’est un coup de poing qu’il envoie, chargé de toute sa puissance, venant sans salvation briser deux de ses côtes et en miroir brisé deux des siennes.

Un glapissement de douleur, un merde articulé entre ses lèvres, il expire doucement pour gérer ses élans de colère.

Putain tu fais chier Alyss.

Onyx avait perdu le combat.

Rapproche toi, il faut que je te soignes.

La chair nue étalée devant lui ne fait qu’augmenter la tension. L’envie de strier encore la carnation de marques rouges ; finalement de faire d’alyss un portrait de son propre martyr. Il faut doucement et gentiment apaiser la bête, l’enjoindre de remettre sa muselière et finalement d’accepter les chaînes.

C’est une minute complète qu’il lui faut pour retrouver une respiration normale, le cœur au bord des lèvres face au sang perdu et la fatigue musculaire. Il se contentera d’une grimace. Non. Juste c’est chiant pour tout le monde lorsqu’un enfant d’Hécate brise des os.

La paume est brûlante sur le flanc, il ignore sagement la main d’Alyss pour se concentrer sur la sienne.
Les os se recollent, doucement, sagement, l’ensemble fragilisé.
Il devra attendre pour ses propres côtes, ira certainement quémander à ses adelphes un peu d’aide.

Tu es complètement cinglé Alyss, sache le.

Un autre regard.

Demain, même heure, même endroit.