glissent, le drapé des robes, entre les doigts de benedict, tombants sur son lit alors qu’il s’efforce de choisir ce qui serait le lien entre leurs deux humeurs. un brin maussade, l’éclat d’un bonheur incertain, la complaisance de leur présence qui s’entrechoquent et ne se lâchent plus qu’au moment où c’est trop.

dans un sac il y range alors quelques tenues aux textures différentes, mais surtout la dentelle de deux gants d’un noir ebène, contraste divin qui laisse briller la paleur de sa peau, et c’est ainsi qu’elle rayonne le plus. dans le blême sublimé.

il quitte alors sa demeure, bien vêtu pour les hommes, standard pour les femmes, mais ne plaira à aucun œil car il s’épuise à voyager dans les ombres, pour économiser le temps précieux.

tape tape, les phalanges de l’oracle à la porte ; et il entre en passant par les ombres de la maison car ils savent que ce ne peut être que lui, tous les matins, à l’aurore pour gâter sa précieuse alyss. vagabondant dans les lieux sans tergiverser, rejoindre la chambre de la presque éveillée.

les rayons encore timides du soleil se faufilaient ardemment pour lui offrir leur éclat, quand les mains de benedict, elles, traçaient comme des chemins de rivière le long des cheveux de son hôte. assit sur les draps, par sa tendresse, il voulait s’excuser.

j’ai dit que je viendrais dormir avec toi hier soir, et je n’ai pas pu. je suis désolé, alyss. mais je suis venu ce matin. tu veux t’habiller, ou te reposer plus longtemps ? j’ai toute la matinée à te consacrer.

et toute la vie, si elle accepte qu’elle soit entrecoupée.

scintillent d’une triste lueur, les yeux fatigués de la femme à peine reveillée. mais dans la terreur, benedict se délecte de chacune de ses ridules, de ses cheveux décoiffés par la nuit, de sa voix éteinte par le sommeil, et de son sang ayant peint la longueur de ses bras. elle est sublime, de toutes les façons.

ça ne me dérangerait pas de dormir un peu avec toi. je suis fatigué.

mais de quoi ? il coiffe en arrière les mèches qui tombent en rideau sur le visage de son amie, passe une main sur sa joue droite pour mieux l’admirer, sans pudeur. elle était vivante — mais pas de toutes les façons.

il fait plutôt beau à l'extérieur, si tu veux prendre un café au milieu des arbres..

mais sa main gauche tapote le matelas qui les loge.

ou bien on peut se recoucher une petite heure. j’ai d’ailleurs envie de m’allonger, viens.

sur ses frêles épaules, son emprise se fait tendre, pourtant autoritaire, alors qu’il allonge alyss comme il coucherait un mort. il la rejoint par la suite, s’installant à ses côtés tout en la regardant, presque fier.

veux tu que je te dises ton avenir, ce matin ?

serpent, son corps se rapproche de sa proie, tandis que ses bras se posent sur sa taille que ses jambes viennent frôler les siennes — qu’il la dévore simplement en existant pour elle.

je ferai ce que tu veux alyss.

entrelacés, serpent, lui se fait carnivore amoureux de sa proie, quand bien même tout le règne animal n’ignore pas qu’il ne saurait jamais étrangler personne. non, benedict a des passions perfides, mais, jamais elles n’ont été vénéneuses. même quand sous ses yeux elle a disparu dans la gorge d’un autre. il aurait aimé goûter — lui aussi. mais la raison le rattrape ; tant que la folie boite encore.

alors il aurait pu la contredire, affirmer tout le contraire de sa pensée, s’étendre jusqu’à l’écraser. il aurait pu. mais alyss aurait trouvé du confort dans l’étouffement. rien ne sert de vouloir la faire taire ; elle est trop perspicace pour se battre, après tout : elle venait bien de dire sans douter qu’il y avait eu un problème.

nous aurions pu en parler dans le jardin…

abandonner le confort des draps, de ses caresses, pour que le soleil frappe leur peau, pour que sa chaleur lui rappelle le doux prénom d’une autre blonde. en y pensant, il passe ses doigts dans la crinière sans fin de sa poupée, se demande si les cheveux de mielikki sont d’une texture semblable ?

j’ai passé la nuit à prier hécate. j’avais besoin d’une vision, d’un miracle. j’ai vu la femme que je veux se promener et j’étais colère de ne pas être à son bras. j’étais impatient, alyss. je suis impatient. alors j’ai prié ma mère qu’elle me donne des indices. mais tu sais ; quand ce n’est pas pour elle…

frêle sourire, aussi fragile qu’une fissure sur la porcelaine. il se délecte de sa blondeur, ne cesse de penser à elle.

je suis tombé amoureux. et je suis libre de ne plus aimer qu’elle.

et il se brise, vase à la coupe pleine. benedict a dans les yeux quelques larmes, mais il s’efforce de garder le torrent de sa peine.

mon ex-femme est morte, alyss.

enveloppée d’un voile de vérité, elle porte sa cape comme un habit de mort qui la dissocie des vivants. alyss pose d’une voix délicieuse des faits bien cruels, et benedict s’en accommode comme à l’écoute d’une chanson dont l’air est divin. elle dit qu’il n’est le fils que d’une entité qui ne se soucie guère de lui — et il acquiesce, car lui se souvient de cette hésitation qui aurait pu le rendre orphelin.

puis, toujours de ses vérités naturelles, elle fait mention d’hébé. benedict relève son visage blême, et les larmes effrayées par l’espoir qui s’embrase dans ses yeux, déguerpissent aussi vite que venues. était-elle revenue, ailleurs ? ou bien avait-elle déjà salué la mort une fois, sans qu’il ne le sache ? dans quelle réalité devait-il se placer ?

sans trop oser y penser, un détail pourtant — qu’il ne laisserait jamais se répandre dans sa voix — tentait sournoisement de s’installer dans son esprit. résonna alors l’idée que, si elle vivait ; mielikki quant à elle n’était plus qu’un rêve inachevé.

je.

silence. il observe. compare les traits d’alyss à ceux des femmes qu’il a aimé, qu’il aime, et qu’il aimera éternellement. ses mains viennent se poser contre les joues de sa poupée, savoure son contacte d’une peau qui n’est pas la sienne.

alyss, alyss, alyss. tu dis des choses si terribles, avec ta belle bouche. j’aurai préféré être revenu pour la nuit, que nous dormions, et qu’au petit matin tu ne me dises pas ces horreurs qui sont des vérités.

il grimace un sourire chagriné, car la douleur il la comprend enfin. par tous les dieux, qu’il est dur d’être un homme, pense-t-il.

ses doigts pressent un peu contre les joues qu’il tient. vivante, voilà ce qu’il détermine en la manipulant tendrement, malgré son regard un peu mort. qu’elle est vicieuse, alyss, d’être comme impossible à détester tout en demeurant détestable.

pour ma mère je ne suis pas l’ombre d’un tracas. pour ma defunte ex-femme je ne suis plus qu’un élément de son histoire. et pour toi, alyss ? que puis-je être, tant je peine à exister…

glisse alors son emprise, pour venir emmêler ses mains dans ses cheveux plus brillants que les siens. il voudrait la coiffer, aujourd’hui. déblayer son visage. qu’elle puisse illuminer, de par le ténèbre de son aura.

c’est toujours comme cela que tu me punis d’être fidèle… avec des mots aiguisés comme des couteaux. je saigne, alyss, et tu enfonces tes doigts dans mes plaies. me croirais-tu, si je t’avouais aimer ça ?

concentré sur les cheveux qu’il démêle de ses mains, il les regarde comme s’il y lisait toute leur histoire ensemble, tandis qu’elle conte elle, de par sa voix, des secrets d’entres les lignes. jusqu’à ce qu’ils glissent d’entre ses mains, quand alyss se lève pour s’installer telle une reine sur son trône.

il pourrait être amoureux de cet instant, tant il le fantasmait avec trop de femmes.

alyss... murmure-t-il comme une prière.

véritable adorateur il se tait finalement, laissant ses mains tendrement glisser sur les hanches de son amie avant de les agripper avec force. ses mots le bercent, le rassurent tant. il imagine sa vie liée à la sienne, comme deux entités qui pourraient bien se perdre, leur destin capricieux forcerait tout pour les faire se retrouver. alyss n'est pas un amour, ni même une amie — elle est plus intense que tout cela.

tentatrice, il pourrait succomber, capturer ses lèvres comme elle capture son attention. mais benedict souffre bien plus qu'il n'a de désir, et son visage se niche soudainement sous le cou de sa dame, pour s'y étouffer de tendresse. il serre, passant ses bras autour d'elle, la maintenant contre lui comme une bouée alors qu'il se noie en mer. chaque inspiration qu'il prend de sa peau l'enivre tel un alcool pur, et après ce shot de tendresse il se redresse à nouveau, enveloppant de ses paumes les joues d'alyss.

brise moi, oui, fais le. laisse ton sang couler dans mes veines. notre union serait divine, à en faire pâlir tous les dieux, j'en suis convaincu. j'ai beau chercher un avenir avec toi dans mes prophéties alyss je n'existe jamais à tes côtés et tu n'existes jamais aux miens — et pourtant ! je n'imagine pas une existence sans la tienne. tu es à la fois mon fardeau et mon plus beau cadeau.

une femme, serpent, qui se glisse dans sa vie sans qu'il ne l'ai vraiment voulu et maintenant, par son venin, elle l'a rendu addict.

tirant tendrement ses cheveux en arrière pour dégager son visage, il termine par la caresse de son index contre son oreille, sa seconde main effleurant ses lèvres de son pouce.

j'ai tant aimé mais je t'aime si différemment. toi et la vie, vous ignorez ce dont je suis capable pour te savoir sereine. j'ai envie d'être fou pour te surprendre. demande moi l'impensable alyss et peut être je n'hésiterai pas. tu comprends ? bien sûr que tu comprends…

victime de ses fantasmes, il écoute, benedict, les prières que prononce alyss sans vergogne. de quoi faire pâlir hécate de voir son fils (qu’elle regrette tant, il le sait) s’émouvoir pour une âme qui ne devrait pas tant impacter sa ligne de vie.

et quand elle lui commande, l’ordre ultime, d’abandonner l’essence même de son existence simplement pour toujours coexister avec la sienne, benedict ne réfléchit pas ;
il acquiesce.

quoi de plus naturel pour un homme épris ?

j’en deviendrai probablement fou, tu sais ? il s’autorise l’esquisse d’un sourire, qu’il cache soigneusement en embrassant délicatement la joue de sa poupée.

je commencerai à t’imaginer où tu n’es pas. tu apparaîtras sans raison, comme un coup de pinceau nouveau sur les toiles déjà établies par le destin. je finirai par me demander ; était-elle là avant ? sans plus savoir la réponse… tu seras de toute évidence, à ta place dans ma vie. un dernier baiser sur son front, comme s'il bénissait sa présence d'être eternelle.

et enfin, benedict se lève, gardant contre lui le corps épuisé par la vie de sa douce alyss. dans ses bras, il lui offre une dernière étreinte pleine de force, avant de la rendre à son lit avec toute la délicatesse du monde. quelques secondes de flottement où le silence valse avec le désir, où il la dévore, prédateur affamé d'amour. elle est divine, et pas qu'à moitié, dans sa vulnérabilité qui ne sert qu'à duper.

allons déjeuner, alyss. alors je ne penserai plus à ma femme disparue, à l’avenir sans toi, et à cette autre crinière blonde qui quand je ferme les yeux pourrait être à ta place.

d’une main tendue, il l'invite à suivre sa directive. la capturer par tous les moyens, par tous les contacts, car aimer c'est ainsi.

j’insiste pour que nous nous installions dans le jardin.

au soleil ses cheveux ont les reflets clairs,
comme mielikki.

sa main dans la sienne, frêle et pâle, il regarde ses doigts renfermer les siens. benedict aimait tant les oiseaux en cage. se rêvait-il d’en devenir un ?

quand il la fait danser près de lui pour que le trajet ne soit que joie à ses côtés, il s’imagine la briser pour qu’elle ne puisse jamais lui échapper. mais alyss n’a pas besoin d’être cassée pour rester à ses côtés. alyss a promis qu’elle le serait toujours. et elle peut bien se croire éternelle dans sa fougue à n'appartenir qu’à la mort qui se languit de la cueillir, elle ignore simplement que benedict, lui, est plus rapide que toutes les morts.

il est heureux d’enfin pouvoir s’installer dans le jardin. il guide sa dame jusqu’à sa chaise et s’absente quelques minutes pour lui apporter de quoi garnir son corps un peu vide. lui n’a pas faim, et se sustente simplement de la voir devant sa dinette. il pose alors ses coudes sur la table, joint ses mains devant son visage et pince sa lèvre inférieure avec ses pouces. elle lui parait délicieuse tout en étant deux femmes pour une.

j’ai préparé ton jus d’orange moi-même. tu aimes ?

il veut l’entendre.

ensuite je t’habillerai soigneusement. tu seras divine. et après une tendre bise je t’abandonnerai à nouveau, alyss. mais je reviendrai. tu m’auras manqué. tu me manques déjà.

et il aime ça. ce drame persistant qu’il cultive avec tendresse. cette dépendance respective qui parfois se retrouve dans les mots, d'autrefois dans les actes.

tu aimes ?

cette histoire sans queue ni tête.

alors qu’il s’imaginait déjà tourner le dos pour quitter une femme et en retrouver une autre, alyss, par de simples mots, se permet d’ériger un barrage assez conséquent pour bloquer son ego. benedict lui-même n’aurait pu le prédire, et pourtant, il ne se montre pas surpris.

un remplaçant. répète-t-il.

il inspire pour apaiser son excitation.

existerait-t-il un suppléant ? capable d’être à la fois son bourreau et son sauveur ? aussi aisé à manoeuvrer délicatesse et poigne ? d’une subtilité aussi fine et renversante que la sienne ? d’un amour aussi fort et détaché que le sien ? deux benedict pourraient-t-il se succéder sans qu’il l'ait lui-même décidé ?

il hausse les sourcils, le temps d’une fraction de seconde, et ses yeux se perdent à observer la table plutôt que le visage de son ingrate compagne.

quand tu l’auras trouvé, je serai heureux de le rencontrer.

il voudrait en rire mais se retient : un homme capable de le succéder sans difficulté, aucune ? jamais un avenir pareil ne s’était dévoilé à lui. il se redresse, pour se poster derrière alyss et glisser ses doigts dans sa chevelure dorée.

je serai là, puis-ce que tu me le demandes. tu sais, ma tendre, si d’avenir pour nous il n’en existe aucun, ce n’est peut-être pas parce que l’on nous tient à l’écart. ses mains un peu froides rampent, barbares, entre les mèches jusqu’à sa nuque pour mimer l’étranglement. j’aimerai profiter de chaque instant, de ce fait. mais si bien des âmes peuvent endosser le rôle que tu m’as donné ; alors, je ne trahirai ni ton coeur ni le destin. sans serrer son emprise, il transforme sa présence menaçante en caresses, et se penche pour embrasser le sommet de sa tête. je ne te manquerai pas longtemps, sinon toute une vie. tu aimes ?

il sait, tout le bien qu’elle ressentait à le voir s’agacer un tantinet. mais quelques fois benedict n’a plus la force d’étouffer ses émotions — et quelque fois alors, son souffle le trahit, tant il est impossible de ne pas remarquer quand il se contrôle ou pas.

il n’est pas presque jaloux, il est excédé.
c’est différent, moins pur comme émotion, salement désagréable et c’est bien ce détail qui l’aide à discerner son amour de ses obsessions.
pour mielikki ; il aurait été fou de rage.

pour alyss, il tuerait juste le premier venu s’il avait la prétention de pouvoir le remplacer.

il devra se contenter d’être là ; alors, pour ne plus laisser le mépris salir un peu plus son cœur.

quand il réfléchit à ce qu’il devait — ou pouvait, tout simplement répondre, un dernier chuchotement de la part de sa tendre blonde lui décroche le sourire d’un homme apaisé. ses lèvres toujours sur le sommet de son crâne, il y laisse se fondre son expression tendre et rassuré, avant de se tenir droit à nouveau.

je ne t'abandonne jamais vraiment alyss. et tu le sais. je reviens, toujours.

enfin il retourne à sa chaise, observant sa poupée sous les rayons du soleil il attend patiemment qu’elle se nourrisse, pour se rassurer et s’en aller écouler sa journée.

ce soir. tu seras là contre vents et marées. tu dois la rassurer, pérenniser votre relation particulière pour qu’il existe toujours dans vos bras l’affection intouchable de deux âmes qui ne crèveront jamais l’une sans l’autre. je t’apporterai des fleurs.

mais pour cela il doit partir.