à l’enterrement du jour, toujours, il entrouvrait sa porte au cas où tu viendrais. il le faisait comme on peut déclore sa fenêtre afin d’inviter les choses - les gentilles du dehors - un morceau de soleil, un soupçon d’alizé, des pétales et des plumes rapportées par le vent, peut-être même un oiseau ;

un sourire, pourquoi pas
pourquoi pas ton sourire

lorsqu’il te le discerne enfin dès lors où tu rentres ici, Tau se fige une seconde. à la suivante se relève. l’appartement ridicule te cernait d’un contraste monstre, semblait un confin du monde où ton air de prince s’empirait. David... fidèle à ton nom mais surtout à soi-même, la bienvenue qu’il te souhaite elle est toute à son image : anémiée délicate, d’une pâleur de fantôme.
il t’approche, alors, en trois pas éthérés paraissant frôler le parquet. tes excuses accordées il les décline en silence - en secouant la tête, comme on fait les bouquets ou les diadèmes en pâquerettes - signifie sans un mot ne sois pas désolé, avec lui, inutile. non, personne ne l’a malmené aujourd’hui c’est promis, viens, non ? l’invitation bredouille, il te la souffle avec les yeux, la voix, en fait tout chez lui tout bas ; viens plus loin, viens meilleur, viens t’asseoir en tailleur au semblant de salon. encore une fois c’est un trône de fortune qu’il te livre, juste ici, au-dessous des lumières coloris bleu cyan : à la table ras-du-sol entourée de coussins, il s’installe le premier et t’attend sagement.
ce n’est qu’après t’avoir vu l’imiter qu’il reprend :
les gens ils, ils chuchotent souvent ces temps-ci dans les rues de l’Até ... ils parlent beaucoup des Olympiens - ah, comment décrire la rumeur ? il y en a qui pensent que- qu’on devrait moins vous faire confiance, parce que, des monstres ont réussi à venir et puis à sortir d’ici... voilà les derniers murmures entendus ça et là. il ne te regarde plus, s’observe ses propres dix doigts emmêlés nerveusement.
les gens, ils ne sont pas contents, je crois.

un œil grandiose le surplombe, il sent - le sait bleu mais pas ciel - c’était ton œil mais pas seulement. c’était l’œil de tout l’Élysée qui régnait sur cette île, oubliée de Dieu. et tu parles, et il pleut, tes mots comme une ondée tiède qui pluviote doucement ; dessous celle-ci tu constates qu’il ne frissonne pas, demeure très immobile sans la moindre expression. la kyrielle de termes devrait l’épouvanter, pourtant, car certains sont terribles : il pleut les mots Cible Idéale, parce que le mot Différent, les mots Monstre et l’Aigle immense, et toujours Tau t’écoute et jamais il ne tremble. c’est qu’il est tu comprends un enfant de l’au-loin, de ces terres de feu où les pluies sont toutes autres : les tiennes lui paraissent abstraites, étrangères au possible, à tel point qu’il peine fort à saisir leur ampleur ;

à n’est-ce pas ? ne dit rien.

ç’aurait été te mentir que d’acquiescer sinon - comme s’il se concevait ton monde voire comme s’il en faisait partie - comme si ces doigts accusant le superbe Panthéon pouvaient être les mêmes qui moquaient les parias, les dalits dans son genre. après tout n’était-il qu’une oreille qui traînait, un voyeur avec ça ;
un avis, tu voudrais ? il ignore s’il en a.
dix secondes silencieuses il se sonde la pensée, s’éparpille son regard quelque part entre vous - il n’a pas d’opinion, il croit, uniquement des questions - et toi ?
tu as choisi les bonnes personnes ?

il ne sait pas, lui, à quoi peut bien ressembler une Cible Idéale, un Différent, un Monstre ou un Aigle immense - sait par cœur toutefois à quoi ressemble une Absence - d’ailleurs, je t’ai vu disparaître, il y a quelques nuits. à défaut d’un avis t’offre plutôt des visions, bredouillées, enfin… je me suis vu, ici. j’attendais que tu viennes - comme aujourd’hui - j’ai attendu longtemps.  
j’ai fini par sortir dans la rue, pour demander aux gens - s’ils t’avaient vu - et puis, j’ai vu les gens me répondre qu’on te voyait nulle part. t’avait-il vu ton enlèvement, ton régicide peut-être. peut-être que j’ai rêvé. c’est possible il suppose ;

mais donc, David ... tu as choisi les bonnes personnes ?

est-ce que tu concèderas lui apprendre un beau jour ? comment baptiser ça, cet état de son âme qu’il sentait avec toi : ressemblait à la crainte et le zèle mélangés en une sorte de foi quasiment lancinante. toujours lorsque tu t’adressais à lui Tau peinait à savoir ce qu’il devait en faire, de ça. ça n’avait pas de nom, ça le submergeait juste, ça lui rappelait presque les frissons à l’Église tant qu’il pensait un peu à Dieu en même temps. il pensait que si Dieu visitait sa demeure, il s’exprimerait ainsi, sans doute comme toi chez lui. Dieu, aussi, prêchait le Libre-arbitre - Tau connaissait d’ailleurs ce mot pour cette raison - et questionnait souvent la bonté des actions, toutes les actions. peut-être même les Siennes, qui sait.

à l’identique, peut-être qu’Il lui dirait quelques mots rassurants - en écho à ses rêves - ne le condamnerait pas d’avoir cauchemardé Sa fin et ferait la promesse de ne jamais la trouver ; après tout, était-Il le Seigneur et le Seigneur n’y reste pas.

et toi, David, tu t’en vas - bientôt ? il a manqué dire maintenant mais l’idée l’effraie trop - où tu vas ? te venger… de qui ? toi qui voulais ses peurs : en voilà un bouquet - fleuri discret à ses yeux qui t’observent tamisés, au travers des cheveux comme via des persiennes - peut-être, que j’ai rêvé mais peut-être pas. peut-être t’avait-il vu introuvable à l’avenir, vraiment. il faut pas que tu partes, je crois. et faillir d’ordonner le fait léger frémir, battre son millier de cils au même rythme que son cœur - presto agitato - ses prunelles se prosternent. il fixe ses propres doigts, emmêlés tous entre eux, moi je t’en veux pas pour la venue des Monstres, ou- pour l’Aigle mal gardé - je comprends, tout comme il comprend Dieu lorsqu’il cède les drames, des douleurs aberrantes mais utiles aux croyants, et d’autres comprennent, puisqu’il n’est pas le seul dévot de Nausikaa, mais pas tout le monde… tu sais sûrement, David, qu’il existe des gens si déçus par le Ciel qu’ils en viennent à maudire jusqu’à son Créateur ; et si Il descendait, sur terre ici chez Tau, peut-être que ces gens-là se presseraient pour le voir, le punir en revanche ;

tu ne sais pas mais écoute, il s’inquiète tu comprends
... j’ai déjà vu des gens souhaiter la mort de Dieu.
tu n’es pas Lui, il a conscience - c’était cela son souci -
Lui ne succomberait pas tandis que toi, tu pourrais bien.

il est doucement triste que son œil soit clos, qu’aujourd’hui Tau ne puisse pas admirer demain ; déjà demain louvoie comme une bête à tes reins, en deux mains invisibles enserrant une lame, déjà sa pointe brille quelques éclats affreux à la façon de crocs grands ouverts et tout près, trop près ; un claquement t’achèverait.

seulement il reste aveugle, aujourd’hui à nouveau ; ne peut se fier encore qu’à sa vision sote, ignorante au possible. à son ouïe, aussi, et elle est toute à toi : t’écoute lui raconter la colère à ton cœur, son berceau terrifiant : sa matrice d’origine elle est un matricide et te l’entendre dire le fait léger frémir. pardon, je savais pas - pour ton parent meurtri, ses cendres te suivant, en ressort ton talion comme un mauvais phœnix - je savais pas, David…

quand même il saisit mal : ta foi, pourquoi tu l’offres ;
pourquoi tant faire confiance si tu cours à ta perte ?

après tout tu t’accables à mander la vengeance, te condamnes toi-même ; après tous tes aveux tu viens sous ses yeux, porte le pouce à son front comme on fait l’ondoiement. sans une goutte d’eau bénite, pourtant ; lui sent le geste saint, en ressort très muet. il te fixe l’air confus, une seconde, se demande comment il t’effaçait la malepeur ;
crois-tu qu’en tous les cas il sauvera ton âme ?
qu’il suppliera le ciel, à ton nom si tu veux ;

tu veux ? il pourra sûrement, tu sais, il peut dès aujourd’hui
déjà, laisse-le jouer l’inutile, une toute dernière fois - tracassé malgré ton assurance il se dresse, ose toucher à tes doigts, laisse-moi prier, un peu, pour toi et contre tous les méchants qui te guettent, Tau serre tes paumes ensemble des siennes éthérées, leur pression d’oiseau, juste un peu… le temps qu’il faut afin de quêter aux archanges ;

en murmures inaudibles, Seigneur, à présent je t’arrive pour aimer gentiment que Tu protèges David et l’éclaires bienveillant ; défends-le dans le Mal qui lui ronge le cœur, son Mal assoiffé du sang châtié d’un monstre ; bénis-le tout de même, car de même il l’a bon ; c’est cela vrai mon Père, je l’ai vu clair, je crois ;

... Amen.