– Feeling irregular beats in my chest, I see through my swaying overcautious intuitions.

Je t'ai vu - un coup de couteau dans le ventre de la cène, l'apogée violente et caricaturale d'une catastrophe en ligne de mire ; je t'ai vu t'élever au-dessus du champ satiné des gradins, un lever de soleil unique, sanguinaire, que le chant des projecteurs ose priver de ses halos. Je t'ai vu t'engoncer dans une sorte de catabase latente, et j'ai observé la manière dont le tracé de ton passage s'est refermé sur lui-même comme une plaie purulente ou comme une corolle cicatrique.

Je me louvoie, vaguement, entre les corps entrouverts aux appétits charognards, d'un air de plein été. Les chairs contre les chairs dégradent leur cadence frénétique, le bruit glauque de la peau que l'on frotte contre la peau trouble l'air d'étincelles pourrissantes, les soupirs dans les soupirs creusent des abime de fumée sans fond - et il règne en ces lieux l'odeur âcre et insupportable des hommes. Il y a une main parmi les mains - mille doigts, deux fois plus d'ongles, les cuticules violettes comme des rubis mûrs - qui s'agrippe à ma cheville, et il faut s'en extirper de la même façon que l'on s'extirpe d'un nid de ronces. Je reviendrai. C'est une promesse creuse et dégoutante. Le spectacle m'écœure. Leurs cris d'extase sont des clous rouillés que l'on piétine. Face à la vague immense des plaisirs je me sens sublime singularité. C'est fort de ma saine unicité que je m'avance à mon tour, par à-coups de couteau, dans le ventre de la bête ; j'ai vu à ta suite courir deux faunes encore jeunes, et la perspective du repas à venir me dégoute.

– Précieux. je n'ai personne à déranger ; mais je surprends en coulisse une gravure bien étrange, dont je n'aurais pas osé soupçonner l'asymétrie. Les bouches discontinues, alignées au gré du plaisir, les membres mélangés, détachés de leur forme, sont jetés au hasard sur la pile dissolue d'une luxure que je me refuse à identifier. C'est moi. Je suis là.

J'ai peine, je crois, à dissimuler mon dégout. Il règne ici une semblant d'euphorie atroce ; plus terrible encore que dans les gradins ou sur scène. – C'est donc cela. Je crois que les deux autres me regardent ; aussi ai-je un mouvement de recul incontrôlé. Quelle erreur grossière !

(Mais il ne faut pas me regarder comme ça ! mon amour n'est pas d'ici et il ne se regarde pas. Vous n'avez sur lui aucun droit de regard. Il faut vous détourner ; retourner à l'état de bouches, de membres, de pulpe.) – Peut-on... Et je n'aime pas la faiblesse de mon ton, et le fait que je doive reprendre mon souffle dans d'autres souffles - Pourrait-on se parler seul à seul, rien qu'un instant, peut-être ?

– Feeling irregular beats in my chest, I see through my swaying overcautious intuitions.

Qu'attendais-je ?
Sans doute une vision. Ce que l'on se figure aux dépends des rumeurs relève surtout de l'hallucination pure et simple. Je m'étais donc raccroché au tracé concret des cercles infernaux que j'avais pris soin de détourer moi-même en pensée. Le malaise que je projetais sur les bruits de couloirs - un voile sans artifice, dont la blancheur insipide s'envisage facilement - était censé se réaliser sous mes yeux, et m'apporter ainsi la satisfaction de son inélégance.
Je m'attendais donc à l'horreur, car elle est vision en soi. Mais je ne trouvais ici que les exhibitions monstrueuses d'un amour complètement désincarné, irrémédiablement vidé de son estimable substance. Il n'y avait ici rien de révolutionnaire ; ici comme ailleurs, le spectacle méprisable des animaux. C'était cela, cette absence de radicalité que je croyais observer dans l'expression de la décadence - qui m'écoeurait le plus.

A ce titre mon imagination comblait naturellement les vides consacrés par la banalisation de l'infâme ; les odeurs de chair, les soupirs injectés de sang, le reste - tout cela m'apparaissait immense et grossier. Au milieu de ce puissant délire, Précieux s'affirmait en tant que manifestation tangible de la pire corruption qui puisse être ; car il était débout et personne ne le touchait.

– Je voulais des preuves. Il était inutile de mentir ; je n'en voyais étrangement plus l'intérêt, ce qui aurait dû passer pour les premiers signes de l'aliénation. Je ne suis pas ici pour, et j'insistais avec mépris sur les derniers temps de la phrase, érigés en remparts pressants, et dont j'étais déjà bien conscient de la fragilité - pour m'amuser. Beaucoup se demandent encore de quoi il retourne au cours des petites festivités organisées par le gérant de l'amphithéâtre ; je crois que même les esprits les plus dévoyés n'oseraient se figurer ce qui se passe ici.

Certains estiment qu'il est intolérable que l'on t'accorde le crédit que tu possèdes, et beaucoup aimeraient te voir tomber de ton piédestal ; par jalousie, mépris ou malveillance pure et simple - ce ne sont pas les motifs qui m'intéresse. Je suis venu ici pour assouvir leurs désirs ; même s'ils doivent te paraître bien sages.

Je sentais grandir en moi une espèce de rage dont je haïssais le caractère pathétique ; et l'irascibilité de mon hôte en alimentait les feux.

– Compte tenu de ce que j'observe, je crois que ceux qui m'envoient sont dans leur bon droit. Quelle honte de pervertir ainsi un si bel endroit.

Au delà du fait que je jugeasse profondément insensé qu'un être aussi immoral soit couronné du succès d'importance que l'on n'attribue d'ordinaire aux personnes d'influence raisonnable - il me semblait profondément dégoutant qu'il conservât toute sa pureté ; car sans se démarquer foncièrement du fond vicié qu'elle animait, son autorité restait tranquille et ne souffrait d'aucune de ces projections vives et sans délicatesse caractérisant les effusions tendres. Je le trouvais perméable aux amours qu'il présidait, et cela, plus que tout, me révulsait éperdument.

– Je ne devrais pas vous dire tout cela - je ne savais ce qui chez lui me poussait à la délation - mais je regrette de m'être exposé à un spectacle si désagréable. Je vous trouve profondément dégoutant. En fait, personne ne m'a jamais autant dégouté de toute ma vie.

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J'aperçois le réseau de veines bleues qui distingue de ses racines la jaspe de son derme ; son grain de peau, désespérément lisse, à la densité visible du verre. Et cette statue, ciselée à l'amour de nombre d'artistes intemporels, s'avance vers moi, un pied de marbre après l'autre - cette œuvre rendue vivante par l'amour des autres, et à laquelle je ne prête, moi - aucun des sentiments immatures que puisse couver le foyer des cœurs d'hommes véritables - puisqu'il faut être de pierre pour s'immoler ainsi aux désirs tiers ! - ce chef d'œuvre, donc - a sur des moi d'effrayantes prétentions. Lui m'apparaît encore rougeoyant des appétences adverses, assuré de leurs vices à tous, et fondamentalement atroce.

J'esquisse un mouvement de recul ; mais l'engeance de Dionysos déploie son génie noueux à mes chevilles. Le contact seul de la vigne suffit à m'écœurer. - C'en est assez. Relâchez-moi immédiatement. Etrangement, le dégout inhibe de peu mon effroi. Son insulte me fait même rire sur le coup, qu'il porte haut.

– Est-ce que je rêve ? Vous êtes fâché ? Mais enfin ; regardez-vous. Il était temps que quelqu'un mette un terme à ces atrocités. Je le vois qui gonfle les joues ; je perçois le relief de sa langue entre ses lèvres. En vérité, je vous rends service en... Je sens.

L'instant élonge son cours ; ses méandres humides roulent leur flux monstrueux sur ma joue, tracent une arche d'horreur au niveau de l'arrête de mon nez - son diamètre s'avère assez ample pour intégrer à sa courbe terrible la saillie des lèvres, jusqu'au menton.

Une impression de gel contamine progressivement l'ensemble, en partant de mon cœur, que je sens s'affaisser sur lui-même ; je crains de crier, car si j'ouvrais la bouche, les mânes de ses fluides ignobles risqueraient de rompre définitivement l'unité de mon ego en s'y insinuant pour toujours. Je n'ose même projeter à moi-même ma propre image ainsi souillée ; et comme cela, le temps s'étire et se déforme sans but, fondamentalement, sans que je puisse espérer en contrôler le cours ni la saturation. J'ai tout le loisir effroyable de m'adonner à ma haine ; une haine encore jamais vue, jamais supportée, complètement distendue à l'image du moment visqueux qui l'incarne.

– Je vous ordonne, je hais m'entendre ainsi terni - de me relâcher immédiatement ; je hais avoir peur et je le hais, lui, qui manie mon amour de la même façon que l'on inflige la nausée. Je sens s'infiltrer un peu de lui par les pores de ma peau ; cette idée me fait trembler. Vous n'avez aucune idée de ce que vous venez de faire. Je mettrai à profit les dons de ma mère pour le forcer, même si je dois en passer par le charme. Je vous ferai payer cet affront. Eloignez-vous de moi. Ne me touchez pas. Ne me touchez surtout pas. Je risque de mourir. Oh ! C'est désespéré !

– Feeling irregular beats in my chest, I see through my swaying overcautious intuitions.

Et il me nargue, ce Diable, ce Dieu vivant en son domaine — pardonne, par pitié, le détour de mes blasphèmes. Oh, comme la dévotion qu’on lui doit m’écorche la bouche, et comme je hais me sentir endetté ainsi en désirs mortifères ! Je les sens goutter entre nous, et c’est autant de clous qu’il plante dans le vif de mon affliction. Je crois bien qu’il ne m’aime pas — et c’est bien là un drame. L’on me sacrifie pour rien, ou pour un caprice, ce qui est une forme d’humiliation ultime. Il ne m’aime pas… Mais je ne peux même voir en sa convoitise la moindre prétention de dénuement, car ce serait en même temps prêter au maître de cérémonie une ignorance dont il ne s’embarrasse pourtant pas. Je le vois bien ! Son amour est aveugle et désincarné ; ses prunelles ont des airs gris et intenses de fleur de nénuphar en hiver, dont l’effloraison minutieuse retarde le fil de l’eau. Son amour est dangereux — il va nous détruire.

L’odeur fade des feuilles de lierre m’étourdit en faisant peser sur mon torse les noeuds resserrés de sa morose âcreté. Il me touche ; il me tue. Je ne peux contenir les soubresauts de mon dégoût — alors je détourne le regarde et rencontre au loin l’horizon de bois poli qui délimite, entre les pans de pourpre distendue des rideaux - le siège de la scène ; et je l’imagine recouverte de tous les débris humains possibles, ceux qui composent à point nommé la décadence. « Précieux ! » C’est un ordre, c’est une supplication. Il me faudrait lui parler longuement, pour permettre au don d’Aphrodite de trouver les échos nécéssaire — mais parler, c’est m’adresser, et je ne veux plus lui donner le moindre avenant sur ma chair -- la moindre excuse cannibale dont il pourrait s’emparer pour ne pas justifier le dépeçage de mon ego. « Je vous ordonne… je t’ordonne… » je ne sais plus. Il me tient tout entier dans ses paumes. Je sens sur mon front, dans mon cou - la caresse vermeille de son haleine, qui menace de me traverser, et de m’emplir, et de se couler en substance à la place de mes passions. « Espèce de sale… Non ! Ne me touchez pas. Otez vos sales pattes de moi. » L’humiliation me fait pleurer ; l’idée de mes larmes sur la peau de ses mains, éclats déposés à même les lilas languissants de son âme, comme des perles cousues en maillage réguliers sur du velours pâle — l’idée même, donc, de son art — me fait sangloter de rage.  

« Laissez-moi partir. Je leur dirai que je n’ai rien. Je vous donnerai de l’argent. Je vous protégerai. J’ai des contacts. Je sais m’y prendre. Nous trouverons un arrangement — mais ne me touchez pas. Faites ce que vous voulez ; mais éloignez-vous de moi. Vous ne pouvez pas me toucher. Vous n’imaginez pas… Non, vous n’imaginez pas ce que vous faites. Je ne veux pas être perverti. Je ne peux pas être corrompu par vous. C’est impossible. Vous me tueriez… Je ne vous pardonnerais jamais. » Je ne serai pas gentil - je serai pire ; vicieux, médiocre et malléable ; je me mépriserai ; je ferais tout ce qu’il faut pour protéger mon amour des monstres.

– Feeling irregular beats in my chest, I see through my swaying overcautious intuitions.

Ainsi, il a vu.

un filet de voix douce, confondu par les anneaux du lierre ; et la certitude noueuse d'avoir abandonné, entre les mains de l'hôte - les clefs d'une imminence qui nous dépasse, lui, et moi -- comme je méprise cette association et l'entrave qu'elle implique ! sa caresse me semble d'une tendresse infinie ; elle me tue. J'eus reçu ses baiser avec bien moins d'horreur - car des baisers l'on se protège en ne pensant qu'à soi - un mot, le sillage incident d'une paume, d'un doigt - tout cela reste longtemps ; ce sont autant ruines dont l'on se part, et elles pèsent insupportablement sur la conscience.

Les frondaisons s'affaissent ; je crois, je pense que je le crois - j'ai envie de le tuer, lorsqu'il s'agenouille et qu'il me regarde, car j'imagine qu'il en a regardé beaucoup d'autres avec ce regard là, et il n'a pas le droit - non ! il n'en a pas le droit - de me regarder ainsi, de me jeter en pâture la sollicitude morbide dont il fait preuve en compagnie des autres - car à moi, l'on ne doit rien d'une telle complaisance subalterne. Il faut, moi, lui, le regarder dans les yeux, mon amour - je l'attrape par les cheveux, et je me déteste d'avoir peur de ce qu'il pourrait bien me faire, et je hais par dessus tout nous imaginer de très loin, composant ce tableau de lubricité macabre, et j'abhorre le fait de m'y retrouver un peu ; car il sait ! il a compris ! et moi, je porterai toujours les marques de lui-même en fardeau. Je tire sur sa nuque, comme si cela me faisait du bien. — Ecoutez-moi bien, Précieux. Je tiendrai ma parole. Vous pouvez me demander ce que vous voulez. Je ferai tout mon possible pour vous satisfaire. Mais je vous préviens - un mot - un mot de mon amour - et je ne vous pardonnerai jamais. Imaginer que mes larmes rejoignent à présent les sillons de sa salive m'accable - et comme je tire sur son cou, je distingue toute l'ampleur de son vice, et l'étendue concupiscente de l'attention qu'il nouait en ma direction - ce regard m'est pour toujours insupportable, car c'est le regard d'un homme éclairé - Précieux a tout vu de notre au-delà, et en cela, il a transgressé mon intime ; je lui suis désormais plus tangible que si nous avions fait l'amour, au beau milieu des cadavres par trop vivants et des signes que l'on destine à l'oubli. Moi aussi, je le réalise cruellement - alors je le gifle. -- Vous avez tout gagné. Réjouissez-vous ! Je vous ai offert un bien beau spectacle, ce soir. Du jamais vu. C'est dit amèrement, presque dans l'urgence. Vous êtes probablement le seul en mesure de tout comprendre - est-ce que vous comprenez à quel point je dois vous haïr pour cela ? Bien sûr que oui. Bien sûr que oui ! Vous me comprenez. Qu'il me voit donc pleurer ! Qu'il m'entende ! Je n'ai plus aucun secret.

Par aversion, par méchanceté, je lui offrirai la vision de celui qu'il aime ; je me fondrai, trouble, dans la manifestation incidente de l'objet de lui désiré ; puisque, de notre Mère, nous avons hérité une condition d'Amour, voilà ; je te donnerai un peu de ce que tu as pu voir en moi - toi qui voit tout ! et la deuxième gifle ne sera pas de moi ; ce sera l'autre qui te l'assènera. Oh, pas à l'identique - tu verras bien la différence, et ce sera pire que tout, car ce sont les détails les plus aimables qui te le rappelleront. Et moi, en te frappant, j'aurai peur que tu m'attrapes les mains, que tu me craches dessus, que tu m'embrasses en connaissance de cause.

— Je m'excuse platement pour ce soir. Restons-en là. Comme je hais m'entendre ainsi trembler d'aversion et d'humiliation ! Nous nous reverrons - puisque je suis à présent votre humble serviteur.