Les images défilent au rythme de l’index qui caresse l’écran. Chaque photo est scrupuleusement scrutée ; chaque réaction est identique : tu roucoules comme une poule. Dans l’expectative à quelques minutes de l’extase, chaque station de métro qui défile t’en rapproche un peu plus.

Enfin non, pas exactement.
Elle VOUS rapproche un peu plus.

Tu n’es pas seule dans cette aventure, tu la partages avec une tête bien connue. Tu ne te voyais partager ce moment avec personne d’autre qu’un amoureux des animaux comme lui : Justice. Vous formez un duo soudé depuis des années, ayant partagé bien des péripéties ; dans la musique et plus si affinité.

Tu montres chaque photo gentiment envoyée par le chenil et t’extasies devant comme une maman gaga de son enfant. Tu as déjà tout préparé pour lui ; le harnais, les jouets, les croquettes, absolument tout. Nul doute que tu dois saouler tout le monde dans la rame avec tes facéties ; mais lorsque tu es heureuse, tu ne le caches point, quitte à l’exhiber au monde entier.

— Encore deux stations ! T’as déjà visité un peu le Queens ? J’ai déjà été invitée par un pote, j’me souviens qu’on avait joué à Mario Kart toute l’aprèm.

Entre autres.
Mais c’est un détail que tu gardes pour toi.

Le temps semble long, l’attente en devient insoutenable, si bien que tu trépignes, ta cuisse vibrant à chaque impulsion de la pointe de ton pied. Le métro s’arrête et tu t’élances dehors, attrapant sa main pour éviter de le perdre dans la foule qui sort en même temps que toi.

Il vous reste quelques minutes de marche et tu regardes sur le GPS de ton portable, fredonnant un air ; toujours aussi surexcitée.

— Allez, allez, on se bouge le popotin Juju ! Mon bébé m’attend !

Le petit surnom bien provocateur au passage ; dans un sourire à la fois mutin et moqueur ; lorsqu’on te tient compagnie, il faut être prêt à tout.

— J’arrive Gucci baby. Maman arrive ! Je cours, je vole, je viens te chercher mon amour !

Elle déploie ses ailes et s’élance en enjambant les marches pour sortir de la station ; normalement suivie de près par son accompagnant qui doit avoir l’impression d’être un moniteur de colonie de vacances pour enfants en bas âges.
 

Il enchaine deux bons arguments d’un coup : le chiot n’a pas d’aile – encore heureux – et vous avez un horaire à respecter… arriver en avance n’est pas une nécessité absolue. Mais ça fait déjà bien longtemps que l’excitation a supplanté la raison.

Jun arrive toutefois à capter ton attention ; pour cela il n’est rien de mieux qu’un cadeau ; pas pour toi non, pour ton bébé. C’est les étoiles dans les yeux que tu contemples la médaille, les joues cramoisies par cette attention.

D’un bond en l’air, tu fonds dans ses bras, l’entourant en frottant ton visage contre la seule partie de son corps accessible : son torse. Tu tapes dessus de tes deux poings comme une batteuse, submergée par l’émotion.

─ Merciiiiii ! T’es le meilleur Juju !

Il en faut peu pour être heureux. Vraiment très peu. On démarre la customisation du chiot alors qu’il n’est pas encore dans ses bras ; c’est ce qui s’appelle prendre de l’avance. Tu pivotes alors sur la pointe des pieds, élevant la médaille dans les airs pour mieux l’admirer. Pour éviter de la perdre, tu la ranges dans ton sac, avec tous les accessoires que tu as déjà prévus.

─ On doit y être dans une demi-heure. Le GPS me dit qu’on en a pour dix-quinze minutes de marche. Andiamo Juju ! Andiamo !

Et pendant tout le trajet, Jun a le droit à un concert privé ; ayant le plaisir de t’observer rapper sur l’une de tes chansons coup de cœur du moment. Tu tentes parfois de l’entrainer avec toi, avec plus ou moins de succès.

Certaines paroles étant directement adressées au passant vous regardant du coin de l’œil lorsqu’on te voit te trémousser comme si tu étais habité par un esprit fou.

─ Oh putain ! T’as vu ?! Le demi-million d’abonnés sur ma chaine ! Tu te frottes les mains, la malice au bout des lèvres : hé, hé, hé, tu crois que bébé Gucci m’en ferait gagner un peu plus ? Eh mais ce n’est pas con ça. Les affaires sont les affaires.

Le rire machiavélique qui s’élève comme un méchant Disney qui se gausse d’un plan se déroulant sans accroc. Mais qui pourra l’arrêter ?
 

Même si le temps ne manque pas ; tu te dis qu’en arrivant en avance il y a une maigre chance que vous soyez accueillis un peu plus tôt. Il ne faudra pas longtemps avant que ce rush d’adrénaline s’accompagne d’un brin de dopamine, lorsque le chiot se fera câliner par sa maman qui presse le pas.

Les félicitations de ton acolyte pour ton succès ─ mérité. Un clin d’œil mutin en réponse lorsqu’il semble juger ton plan machiavélique de faire de ton bébé une star pour gagner le cœur des abonnés ; ainsi qu’en rameuter une autre flopée.

─ C’est ce qu’on appelle joindre l’utile à l’agréable, signore Cheng.

L’enthousiasme déborde presque lorsque le bassiste propose d’être le papa poule avec ton bébé. Passons la proposition d’emménagement, tout le reste est particulièrement alléchant.

─ On sera des parents merveilleux pour notre bébé !

Tu ne le dis pas ; mais tu serais jalouse que ton chiot en vienne à préférer Jun ; ça ferait mal à l’égo sans aucun doute. Quelques minutes de marche plus tard et vous voilà arrivés à l’élevage. Tu te présentes une énième fois (comme si tu n’étais pas déjà venu des dizaines de fois pour que le petit s’habitue à ta présence) ; l’excitation à son apogée.

Quelques minutes d’impatiences ─ durant lesquelles tes jambes tremblent comme si tu allais passer un examen… et tout semble prêt. Difficile de te concentrer quand vous entendez les aboiements des différentes races qui s’élèvent dans le silence dans une cacophonie paradoxalement très agréable à l’oreille ─ même à la tienne.

Tu viens t'assoir en tailleurs dans l’enclos en plein air, observant ton bébé jouer avec ses frères et sœurs, sous la « surveillance » avisée des parents. Il faut bien quelques instants pour que le chiot se désintéresse des autres pour te remarquer. Il lui faut encore un peu de temps pour te reconnaître ─ ou renifler la friandise que tu tiens dans la main et qui n’est miraculeusement pas prise d’assaut.

Mais l’attente valait le coup ; dans une course maladroite comme un enfant qui ferait ses premiers pas, il finit par venir vers toi ; tu lui laisses le temps de te renifler avant de lui donner sa récompense pour être venu te tenir compagnie.

Sans surprise, à la seconde où il enjambe tes cuisses pour se blottir contre toi ; c’est un tsunami d’émotions qui vient t’envahir ; annihilant le moindre espoir de garder tes larmes pour toi. Des pleurs de joie qui n’ont rien de discret… et qui attirent l’attention du reste de la bande.

Tu viens saisir bébé Gucci, le prenant dans tes bras avec toute la douceur d’une maman protectrice, frottant ton nez contre sa truffe. Essayant tant bien que mal de sécher tes larmes d’un coup de manchette ; alors qu’au fond son pelage ferait l’affaire.

Ce n’est que quelques longues secondes plus tard que tu arrives à baragouiner quelques mots ; submergée par l’émotion :

─ Mon… mon bébéééééééééé !

Et ça repart de plus belle.

─ Il… il m’a reconnuuuuuuu !

Oui ; tu viens le voir une fois par semaine depuis un bail, donc à un moment donné…

─ Mon bébéééééé… Mon Gucciiiiii. Je t’aimeeeeeee.

C’est fou ce que les effets d’une petite bouille toute mignonne peuvent faire comme ravages. Sur toi… comme sur lui d’ailleurs.
 

Les bonheurs les plus simples sont souvent les meilleurs. Tandis que certains s’acharnent à tout complexifier, toi il te suffit d’un rien. Ces petits plaisirs naïfs ou pendant quelques secondes tu n’as plus rien d’une adulte ; mais tout de l’enfant à qui l’on offre le plus beau cadeau.

La belle bouille d’un chiot que tu écrases un peu dans ton étreinte, mais qui n’en plaint pas paradoxalement. Au contraire, il semble ravi de cette attention. Ce sont ces petits moments qui contribuent à se forger une relation saine et durable ; ce qui n’a l’air de rien peut parfois avoir plus d’impact que tout le reste.

Gucci dans les bras de maman, papa qui se présente avant que tes pleurs ne finissent par ameuter toute la troupe. Tu observes la scène en tentant de sécher tes larmes ; riant aux éclats dans le même temps, te moquant du ridicule dans lequel vous êtes.

Toi qui restes accroché à ton bébé comme si des ailes allaient lui pousser dans le dos et qu’il allait s’envoler, pendant que le pauvre Juju subit de plein fouet l’attaque des chiots, demandant de l’aide à sa chère amie qui rechigne à lâcher son chiot. Alors, se lever pour l’aider non merci.

Tu l’encourages quand même :

─ Tiens le coup Juju ! Tiens le coup ! J’arrive… quand j’arrive !

Et ça t’amuse de te moquer ; t’en ris si fort que la meute change soudainement de cible et procède à t’envahir.

─ Ah ! Ah non non non ! Laissez-moi ! Aaaaaaaaah !

D’aucuns diraient que tu le mérites un peu quand même, ça t’apprendra à te foutre de la gueule des autres. Tu bascules d’un coup sous le poids de tes agresseurs, le dos au sol ; tu finis même par lâcher le chiot qui se mêle à ses frères et sœurs dans un assaut sans pitié.

─ Je suis au paradis…

Il n’est même plus question de lutter, de tenter de te protéger, tu t’abandonnes à eux ; proie facile que tu es.

─ Jujuuuuu !

C’est à ton tour d’appeler à l’aide maintenant.