Tu ne veux pas te mêler aux autres. Mais on ne te laisse pas vraiment le choix. Tu dois, paraît-il, être présent pour accueillir un nouvel arrivant au sein du camp. Toi et, bien évidemment, tous ceux qui viennent à la fête avec. Tu n’as pas envie. Pas envie du tout. Pas du tout du tout envie. Alors, dès que tu vois une brèche, tu fonces dedans pour t’éloigner, dans l’espoir de trouver un endroit plus éloigné, plus calme.

Tu n'as pas vraiment attention, qu’il y a quelqu’un d’autre. Tu t’installes, juste. Ramenant tes genoux contre ton torse. Observant la fête de loin. En silence.

Tu finis par fermer les yeux. Songeur. Elle te manque. Cela fait déjà soixante jours que tu es arrivé ici. C’est plus long que n’importe quelle colonie de vacances. Et toi, tu n’as jamais été habitué à la vie en internat. Alors non. C’est pas facile, d’être là. Elle te manque. Ton beau-père te manque. Ton frère te manque. Bref, ta famille te manque… Tu doutes, des jours. Tu te demandes si ta mère ne t’a pas juste laissé ici pour… se débarrasser de toi. Te remplacer par… le nouveau bébé. Tu déglutis. Les larmes te montent aux yeux. Tes bras se resserrent autour de tes genoux. Tu déglutis. Inspire. Non. Tu renifles. Avant de te frotter le nez d’un revers de bras.

Tu passes de triste à en colère. Un peu. Tu finis par attraper un caillou et le jeter, plus loin, mollement rageur. Avant… de te rendre compte que tu as failli caillasser un type. Tu as aussi manqué de hoqueter. Pour juste… grommeler.

« Pardon. J’vous visais pas. »

Tu marmonnes, en te détournant. Espérant qu’il voit pas ton visage. Loin de te douter qu’il a pas besoin de connaître ta face pour te reconnaître…

Tu craignais peut-être beaucoup de choses. Peut-être. Pas sûr. Pas certain. Des représailles ? Des ennuis ? Et pourtant, rien ne vient. L’homme – jeune ? quel âge ? aucune idée – n’a pas l’air de vouloir te chercher des noises. Toutefois, tu ne t’en tires pas avec un silence. Tu as le droit à une réflexion. Oh, rien de bien grave. Mais assez pour te faire plisser le nez.

Tu baisses le museau, penaud, marmonne un peu dans ta barbe. Avant de lâcher, tout bas, un pauvre petit « désolé » à l’attention du type. Et revenir serrer tes jambes contre ton torse, en soufflant. Le gros soupire, celui qui emporte l’âme avec.

Ton regard se pose sur les autres. Ceux qui sourient. Ceux qui rient. Ceux qui semblent s’amuser. Tu te demandes bien ce qu’ils peuvent trouver à un événement pareil. Tu ne comprends pas. Et sûrement n’as-tu pas envie de comprendre.

« Pourquoi on nous oblige à participer à cette farce ? «

Tu demandes, doucement, du haut de tes dix-ans bien entamés, maintenant. Tu poses ton menton sur tes genoux, réfléchissant à comment t’échapper entièrement pour retourner à tes pénates. Ou à tes bricolages.

Mais en aucun cas adressais-tu ta question à… l’autre solitaire. Ou est-ce plutôt que… tu n’en es pas conscient ?

Tu gonfles les joues, avant de souffler. La situation t’agace un peu. Tu voudrais rentrer te coucher. Mais te voilà coincé à une fête, sans pouvoir partir pour le moment parce que parait qu’il faut fêter la bienvenue d’un nouvel arrivant dont tu te moques éperdument, et avec un type plus âgé que tu as failli caillasser par erreur.

Type qui te répond, d’ailleurs. Tu relèves alors le regard, pour le poser sur lui. Puis, hausser des épaules.

« C’est quoi, un puceau ? »  

Tu n’aimes pas l’idée de ne pas comprendre un mot. Mais, de la façon dont il l’a dit, tu as la sensation que ce n’est pas quelque chose de bien. Tu souffles, encore, soupire bruyamment. Il continue de parler. Et tu penches la tête sur le côté.

« N’est-ce pas censé être pour les adultes ? »

C’est ce qu’on t’avait dit, une fois, quand tu avais posé une question à ce sujet. Mais autrement… Tu sais que l’odeur est désagréable. Mais c’est tout.

« Je suis pas certain qu’une salle de club change grand-chose, en tout cas. »  

Est-ce qu’on peut sentir un peu côté naïf et/ou innocent ? Oui. Totalement. Mais en même temps, peut-on en exiger plus d’un enfant de 10 ans ? Pas certain. Tu as déjà pas mal d’esprit, pour un gosse.

« Ceci dit, si ça vous embête vraiment d’être ici, vous pouvez très bien partir, non ? »  

Enfin, tu dis ça, mais du coup, qu’est-ce que tu fais toujours ici, toi, dans ce cas ?

Une réponse qui n’en est pas une. Il aguiche ta curiosité mais ne t’abreuve pas de sa connaissance. Un souffle frustré t’échappe. Tu vas devoir poser la question à quelqu’un d’autre. Non. Non, ça, non. Tu chercheras toi-même, alors. Peut-être. Si tu y penses. Tu as d’autres priorité.

Du reste… il ne parle pas beaucoup. On dirait toi. Toi, oui. Mais pas maintenant. Il t’a rendu bavard, l’espace d’un instant. Pas longtemps, cela dit. Parce que son silence ne te donne pas envie d’en dire plus. Et même sa réponse ne te donne pas envie de continuer à parler. Tu es jeune, peut-être. Mais tu sens qu’il y a des non-dits. Des mots qu’ils ne prononce pas. Des pensées qu’il ne verbalise pas. Des choses qu’il refuse de partager – et en même temps, toi-même ne peux pas lui en vouloir. Tu es un gamin et il est plus âgé. Adulte ? Tu ne sais pas. Mais s’il a des cigarettes, peut-être ?

Alors, tu laisses le silence s’installer entre vous deux. Avant de finir par te lever… pour venir t’assoir à côté de lui. Oh, tu laisses une distance entre vous, bien évidemment. Mais… étrangement… tu aimes bien, cet instant. D’être seuls à deux.

Les secondes passent. Les minutes s’écoulent.

Et finalement, tu tends une main.

« Je peux essayer une… smoke ? »

C’était une simple question qui rompait le silence, mais elle l’a rompu uniquement car elle était sincère. Autrement, le silence aurait continué. Tout comme il continuera, une fois la réponse donnée.

« Non. Pas de feu. »

Tu ne sais pas encore maîtriser tes pouvoirs. Pas certain que tu sois même au courant que tu les as. Tu accueilles le bâtonnet entre tes doigts d’enfant, même pas encore adolescent, avant d’imiter celui qui se rapproche le plus d’un adulte et la calant entre tes lèvres.

Une flamme.

Tu ne sais pas vraiment comment t’y prendre. Il faut inspirer ? Attendre ? Tu hésites. Attends de voir si ça fait quelque chose. Rien, pour commencer. En même temps, tu n’as pas aspiré. Inspiré. Suffoquer, quand enfin tu piges. Et tousser. Un peu, beaucoup.

C’est pas bon.  

Mais il a l’air d’être ok avec. C’est ça être grand ? Avoir une smoke et pas tousser ? Tu veux être grand, un peu. Tu essaies. Les larmes aux yeux. Peut-être un peu envie de vomir.

C’est dégueu.

Mais à part tes toussotements, tu ne dis rien.

Y a pas besoin.

Il n’y a pas vraiment de moquerie, chez ton vis-à-vis. Tout du moins, tu ne l’interprète pas telle quelle. Pas chez lui. Peut-être plus… du sarcasme. C’est ça. Tu as plutôt l’impression que ton ainé est amer et sarcastique. D’une certaine façon, tu lui fais peut-être un peu écho. Tu l’écoutes. En réfléchissant. Moins rapidement ? Comme ça ? Tu tentes, en t’exécutant. Inspirant plus lentement. Mais le résultat est tout de même plutôt douloureux pour tes poumons. Toutefois, tu n’abandonnes pas. Tu trouves comment faire pour ne pas tousser. Comme lui.

Cependant, là où toi, tu voulais simplement de la paix, il semblerait que le monde en décide autrement. Un type, comme vous, habitant de ce camp, demi-dieu de son état – et demi cervelle voire demi neuronne également, tu l’as décrété – semble ne pas vouloir vous laisser vivre en paix. Et ses mots… t’irritent.

L’aveugle et l’autre.

L’aveugle et l’autre.

L ‘ a u t r e .

Tu ne mérites, visiblement, même pas d’être qualifié autrement. Ça aurait pu être le gosse, le gamin, le jeunot. L’apprenti fumeur. Le petit solitaire. Peu importe. Il a fallu que ce soit l’autre.

Les poings serrés, tu laisses l’ainé répondre. Tu ne te rends pas compte, sur le coup, que ta main s’est refermée sur la cigarette. Toujours allumée. Tu n’as rien senti.

« Et si tu retournais avec les autres pour te trouver une quelconque utilité, plutôt que de venir troubler la paix de deux types qui ne t’ont rien demandé, juste pour te sentir exister ? »

Tu lui lâches, finalement, cinglant.

Le boug ne semblait pas attendre à se faire accueillir de la sorte. Tu vois son visage passer par plusieurs expressions. Se décomposer. La colère. La douleur. La peine. Et puis, finalement, il semble opter pour l’indifférence.

« Vous êtes vraiment nul à chier, tous les deux. De vrais rabat-joie ! »

Cela te passe au-dessus de la tête. Tu hausses les épaules. Tant qu’il se tire, tout est bon pour toi. Mais enfin… une fois la paix rétablie… et que tu te détends, rouvrant tes paumes et découvrant la cigarette écrasée, et … aucune trace de brûlure, sentant le trouble naître au creux de ton estomac, tu finis par te lever.

« … je vais aux toilettes. »

Pour ce qu’il doit en avoir à foutre, ton ainé.