every corner there’s a ghost

winnie savait que les tragédies se moquaient des prières. pourtant, il joignait toujours ses mains, dans un réflexe d'une vie d'avant, et il les claquait encore même devant le temple de sa mère à la place de ceux de son père -c'était comme s'il voulait dire : niké, regarde ce qui nous arrive, alors même qu'il ne savait pas comment il réagirait face à sa venue pourtant demandée. non, winnie le savait désormais. c'était des affaires d'Humain-es, et alors les prières étaient inutiles, les parques hors de portée. iels étaient seul-es face aux créatures venues d'autres temps, d'autres réalités, d'autres mères.
àlvaro lui avait proposé d'aller au temple, il avait refusé. avait-il commencé à refuser de donner leurs destins à des êtres plus grands qu'elleux ? il était facile d'oublier que niké n'était pas qu'une ceo acharnée, ou la mère de ses adelphes ; elle était autre chose, venu d'ailleurs, et elleux ne seraient à toujours que la moitié de tout ce qu'elle aurait pu donner.
pourtant, ce soir n'était pas un soir à pleurer. avait-il eu tord de ne pas y aller ? il ne le croyait pas. s'il y avait quelqu'un à noyer de louanges, c'était ethel. il le ferait plus tard.
pour le moment, il attendait dans les couloirs blancs de la clinique. il avait emmené de la paperasse, incertain encore du temps qu'il lui faudrait patienter ; l'heure avait défilé alors que themisto restait avec les infirmier-es. iels savaient ce que winnie attendait, et dès lors que le feu vert était donné, iels l'ont prévenu.
le rideau était déjà tiré. winnie savait déjà que themisto n'avait rien, qu'il n'y avait pas la moindre blessure sur lui. ethel le lui avait dit. mais qu'en était-il des coups qui ne demandaient pas de sang ?
il retient un soupir avant de s'avancer dans la pièce. on dirait qu'il pourrait toucher le plafond tant il paraît grand, dans ce petit carré blanc. hey. il l'accompagne d'un sourire, alors qu'il referme le rideau. il n'y avait plus rien d'autres qu'eux, maintenant. je suis content de te voir. c'était vrai, terriblement vrai, d'une émotion encore difficile à dompter, encore irréalisée. il s'approche, glisse une main sur l'épaule pour proposer une embrassade. il voulait le sentir contre lui, envahi par la masse d'un des géants de la famille. comment tu te sens ? la question paraît simple, et pourtant winnie serait probablement incapable d'y répondre vraiment. soulagé, oui, mais tant d'autres fleuves passaient dans son coeur.
tu es en sécurité ici. c'était vrai, ou du moins winnie le pensait, et pourtant il s'assure discrètement que themisto y croit lui aussi -les ondes de sa voix, le soleil de son sourire, la chaleur de son câlin l'y obligent.

Trop de questions, vraiment, de la part de ces gens que Themisto n'avait jamais vus. Trop de temps perdu à s'occuper de lui alors qu'il n'avait rien, vraiment, si ce n'était un peu trop de colère envers lui-même à évacuer, des réflexions au ralenti et la même question en boucle dans sa tête : combien de temps allaient-ils être forcés de vivre comme ça ? Cachés, reclus au même endroit pour toujours, ou libres mais livrés à tous les dangers ? Il avait le sentiment de découvrir le feu ou l'eau chaude après le reste de toute l'humanité, et de malgré tout prendre une douche froide.

L'arrivée de Winnie le força à redresser les épaules et à sourire ; c'était un réflexe, une vieille habitude. Winnie portait le monde sur ses épaules et il était hors de question d'en rajouter encore. Il se découpait en vingt, en trente, en beaucoup trop de morceaux, et Themisto refusait de donner un coup de ciseaux de plus, d'exiger de lui encore plus qu'il ne donnait déjà.

Son étreinte pourtant fit du bien ; comme celle d'Ethel. Themisto avait longtemps cru ne jamais voir les autres enfants de Niké que comme des amis, des cousins lointains, et pourtant c'était bien son frère qui s'inquiétait pour lui et le rassurait, là, maintenant, malgré toutes ses responsabilités, son emploi du temps chargé. Themisto expira tout l'air de ses poumons et il lui sembla que cette fois-ci, un peu de la tension qui lui tordait le corps s'envola. La magie de Winnie. Oui, là, de suite, maintenant, il était en sécurité. Il aurait tout le temps plus tard de s'inquiéter pour l'avenir.

"Je suis supposé être celui qui cause aucun problème et qui doit jamais changer," rit-il sans grande joie, une main dans le dos de Winnie pour lui rendre sa tendresse. "Pas celui qui te donne une crise cardiaque en plein milieu de l'après-midi et met Ethel en danger. Je suis supposé pas faire de vague et aider à réparer les dégâts des autres. Pas les provoquer."

Il ne s'était pas rendu compte, avant de le vocaliser, que c'était effectivement une peur qu'il avait tout au fond : que Winnie lui en veule. Sans doute que le message paniqué de Themisto avait gâché sa journée. C'était tellement moins pesant de lui envoyer une photo stupide de son chat que ça, qu'un hachis de lettres désordonnées qui traduisaient un danger qui n'aurait pas dû être, eut-il été plus prudent, mieux préparé à l'affronter.

"J'ai tellement servi à rien, tu sais. Même pas fichu d'envoyer un message cohérent alors que c'était mon seul job dans l'affaire."

Il n'avait aucune larme à pleurer. Il n'était pas sûr d'être triste. Il n'était vraiment pas certain de ce qu'il ressentait, même si on avait déjà passé la dernière heure à tenter de lui arracher une expression concrète de son état. Coupable était probablement un bon début. Coupable envers Ethel, coupable envers Winnie et les autres, et puis coupable envers lui-même de s'être angoissé ces derniers mois pour une question de chance insolente et de fortune déméritée quand il y avait tellement, tellement plus grave.

every corner there’s a ghost

winnie fond dans les contacts ; laisse son souffle se relâcher dans un silence contrôlé mais c'est la force des tempêtes qui est ici bridée. il est furieux, il déteste cette inutilité (la leur, à toustes) tout autant qu'il la comprend ; se prend les pieds dans ses concepts dans ses principes qu'il garde clairs mais qu'il questionne -la bonté a-t-elle sa place ici, en offrande à celleux qui tuent, prête à se faire piétiner ? oui, bien sûr, crie son humanité. mais l'adelphe -lui, il n'a que du sable dans la bouche. il pense à toustes celleux dehors, sait qu'il n'a pas le droit de supplier henriette de rentrer -oh ça serait si injuste, et c'est si mal dit puisque sa maison n'est pas ici-, sait qu'il ne peut pas demander à pascal comment il va -ça ne ferait que continuer de tout dégrader-, sait qu'il ne peut pas exiger que justice ne se donne qu'à la scène de nausikaa -il mérite la gloire du monde entier, et au-delà encore.
alors winnie est furieux, mais avant cela il est inquiet. il est inquiet pour le monde, mais surtout le sien, et de cet égoïsme qu'on pardonne facilement, il y a themisto au milieu. encore dans l'étreinte, les mots partent et semblent lui échapper. il ne peut pas encore le lâcher pour aller les rattraper, non. l'embrassade doit rester, encore un peu, pour qu'alors son frère ne puisse plus jamais douter de lui (lequel ?).
themisto n'était pas beaucoup plus jeune que winnie. c'était une comparaison injuste, parce que winnie ne faisait pas son âge -il avait soit la fougue des adolescent-es, soit la maturité des trentenaires, ou encore les erreurs des jeunes adultes. ici, il embrasse le haut de la tête de son frère comme s'il le consolait d'un cauchemar, comme s'il était tout en porcelaine. tu n'as pas causé de souci, themi. c'est la créature qui est fautive. ne te sens pas coupable pour avoir marché dans une rue au lieu d'une autre. ce ne sont pas des crimes. il se retient d'utiliser son don ; ç'aurait été si simple, mais quelle valeur cela avait-il, si themisto n'y avait pas cru de lui-même ?
et, tu sais quoi, je crois que c'est une mauvaise chose que de ne jamais changer. tu imagines ? si on était obligé-es de rester comme on est pour toute l'éternité. il s'imagine -toujours jeune et inconscient, un peu trop brute, du genre à obliger les autres à être gentils plutôt que de les convaincre avec la sympathie dont il était maintenant si fier. ce winnie-là aurait eu une vie bien différente, et il aurait probablement blessé plus qu'il ne l'aurait jamais pensé. oui, au fond, qu'était donc les humain-es, si des créatures en constant changement ? c'était peut-être là, la différence fondamentale entre ces demi-dieux et elleux. ou si on devait toujours faire les mêmes choses, sans jamais faire de pauses, sans jamais faire de faute. on apprendrait rien.
mais encore fallait-il apprendre la bonne leçon. themisto n'en donnait pas l'impression. winnie serre un peu plus, parle à son oreille, comme un secret : tu nous as prévenu-es. c'est tout ce qui comptait. et, tu sais, moi je ne suis pas certain que j'aurais réussi. c'était connu -winnie ne sortait jamais de l'île sans un double, un garde du corps, un combattant. il était honnête avec lui-même, et même s'il n'avait jamais eu l'occasion de les tester, il connaissait ses limites. voir un mythe devant lui l'aurait titanisé. nous ne sommes pas des combattants. et tant mieux ! imagine si tout le monde l'était. et il rit, pas beaucoup, un peu platement. sa voix était encore enrouée, et il n'était pas certain de sa blague.

Parfois colère et reproches étaient plus faciles à encaisser que l'amour inconditionnel d'autrui ; que le pardon, le soutien, la douceur. Themisto craignait que Winnie lui en veule, oui, mais d'une certain façon, c'était une réaction à laquelle il s'était préparé et qu'il pouvait, devait encaisser. Mais Winnie n'était pas comme ça, bien sûr, et Themisto était pétrifiée dans ses bras, conscient que toutes les paroles de Winnie faisaient sens, leur logique certaine, et incapable pourtant de les accepter. Changer était humain, mais changer n'était pas toujours bien. Themisto n'appréciait pas beaucoup ce qu'il sentait changer en lui aujourd'hui.

"On est supposés l'être un peu. Des combattants. On nous forme au camp. On nous prévient que la vie sera pas facile pour nous et qu'on doit être prêts. C'est pas censé être une surprise, une grosse révélation, et pourtant. Et pourtant."

Il radotait. C'était ce qu'il avait dit à Ethel, ce qu'il s'était encore dit à lui-même. Ce qu'il avait dit aux infirmiers. Combien de fois fallait-il exprimer une pensée pour qu'elle s'échappe enfin et le laisse en paix ?

"Je me sens tellement bête, non, con même, de pas avoir percuté plus tôt que le danger était réel. Je savais qu'il se passait des choses, qu'Ethel inventait pas ses aventures, mais je me suis jamais vraiment senti concerné. Niké m'a ramené ici avant qu'il m'arrive quoi que ce soit, alors c'est peut-être pour ça que j'ai jamais compris le vrai visage du monde pour nous."

Et malgré le ton un peu dur sur lequel il s'exprime, Themisto continue de serrer Winnie contre lui, sa main dans son dos, s'y appuie sans aucun droit de s'y appuyer parce que Winnie n'a franchement pas besoin d'un boulet de plus à ses pieds. Winnie méritait que Themsto le remercie juste pour ses sages paroles et lui promette que tout allait bien maintenant mais ce n'était malheureusement pas si simple.

"C'est pas vraiment que je m'en veux en soit même si un peu quand même. C'est surtout que ça remet beaucoup en question. Des trucs qui pour toi sont sûrement évidents mais l'étaient pas pour moi avant. Est-ce qu'on doit vraiment rester planqués toute notre vie pour pas angoisser ? Ou est-ce qu'on doit juste s'endurcir et se préparer à se battre si on veut être plus libres ? J'avais pas vraiment envie de me poser ces questions mais maintenant, elles sont là, et ça va prendre du temps de faire le tri et de trouver des réponses. Ma réponse."

Il s'adoucit enfin, le plus gros du poids lâché. Il soupira contre l'épaule de Winnie, le serra une dernière fois et accepta de le laisser partir, de lui donner un peu d'air. Il devait aller bien. Pour sa famille, pour ceux qui s'inquiétaient pour lui, il devait relever la tête et prendre sur lui et encaisser le choc. Ce qui ne tue pas rend plus fort ; il avait le devoir d'être fort.

i hear your heart beating in your chest

le rire meurt et winnie se prépare déjà à le raviver. de ses mains, il réchauffe un dos qui n'a rien demandé, et dans les frictions il espère y mettre un peu de feu -themisto n'a jamais été brûlant, débordant comme pouvaient l'être d'autres de ses adelphes ; il avait la chaleur d'un âtre, et alors peut-être était-ce pour cela que winnie voyait en lui des bouts de toustes celleux qui formaient leur famille. et, pourtant, assis sur ce lit, il était gris. désaturé, tout affaissé. winnie trouvait que le pire venait toujours après, quand on réalisait. quand on se disait et si et qu'on s'empoisonnait la vie.
mais themisto ne goûtait pas de ce poison-là. il était terre-à-terre, d'une maturité que winnie lui connaissait mais qu'il admirait de la voir si grande -c'était parfois impossible à certain-es d'avouer avoir eu tord, et en un instant, son frère venait de dire que tout son monde était faux. qu'il avait construit des châteaux sur des sables mouvants, et que sa liberté se faisait aspirer dans les profondeurs de la crainte et du doute. et winnie écoutait, le métronome de sa main qui passait puis revenait, toujours. toujours présent, oui, et il serait là avant les drames, et bien longtemps après aussi.
lorsque son frère eu fini, winnie laissa le silence rester un peu entre eux. l'espace avait repris sa place, et alors il pouvait regarde themi dans les yeux, les mains encore liées aux siennes. ses pupilles brunes paraissaient sombres dans la pièce pleine de blanc, et la lumière du plafonnier ne leur faisait pas honneur. mh. je ne sais pas. tu sais, c'est comme quand on nous apprend les maths en primaire ? moi je ne suis pas mathématicien. il reprenait du début, dans l'ordre, essayant d'empiler suffisamment de pierres pour empêcher son frère de tomber plus bas encore. d'ailleurs, je ne connais toujours pas mes tables de multiplication. un aveu tranquille, une vulnérabilité qu'il voulait montrer pour signifier : le coeur est en train de s'ouvrir, et alors on ne parlera que l'honnêteté. mais bon, je tombe juste à chaque fois. on se demande pourquoi. un clin d'œil, un sourire, un instant de flottement -le monde paraît simple, alors. et, peut-être, veut-il dire à themisto : nous, on aura toujours notre chance. ce n'est pas juste, mais c'est vrai, et alors on s'en sortira. tu verra.
il inspire puis expire longuement, dans un souffle qu'on entend, peut-être digne d'un dragon. il dérive un instant, regarde leurs mains accrochées l'une à l'autre comme à une bouée de sauvetage. jamais il ne le lâchera. mais ... je crois que je vois ce que tu veux dire. aller dehors, c'est se mettre en danger. on n'a pas le choix. ce n'est pas juste. et, alors, on croit que ce n'est pas vrai -parce que pourquoi ? je ne sais pas. même parmi nous, les demi-déités comme l'humanité, il y a des guerres. je crois que ... tant que ça ne nous arrive pas, on ne peut jamais vraiment savoir. à vrai dire, ça ne m'est jamais arrivé. alors, j'imagine seulement. je n'ai pas de réponse à moi. il regarde à nouveau droit devant lui, et themi ne lui paraît pas si petit. alors, si tu la trouves, la tienne, dis-moi. le pouce caresse le dos de sa main, continue de frictionner la peau pour réussir à faire redémarrer ces braises qui menacent, encore, toujours. mais prends ton temps. d'accord ? tout a changé. le temps n'est plus le même. il le savait de toutes ces peines, ces horreurs qu'il avait consolé. souffle. n'essaie pas de forcer les choses. themisto risquerait de blesser l'espoir.

On se demande pourquoi. Themisto ne peut retenir un bref rire étouffé. Quel joli faux mystère. On se demande pourquoi, oui, la bonne fortune leur sourit toujours alors qu'ils ne sont pas plus méritants que d'autre. La bonne fortune de Themisto ce jour avait été d'être avec la bonne personne au bon moment ; et cette fortune perdurait, parce que si Ethel l'avait quitté, Winnie l'avait rejoint. Il n'était pas seul face à ces épreuves, pour le moment tout du moins. Mais pouvait-il vraiment toujours compter sur leur compagnie pour assurer ses arrières ?

"Je me demande ce que dirait notre mère si elle avait conscience qu'on misait autant sur la chance qu'elle nous a accordé. Parfois, je me demande ce qu'elle attend de nous. Est-ce que ça lui va qu'on se contente d'exister en évitant le pire sur un coup de bol, ou est-ce qu'elle préfèrerait des vrais gagnants qui se battent pour triompher."

Il n'avait pas vraiment réfléchi ; les mots étaient sortis tout seuls. Themisto ne parlait pas souvent de leur mère avec ses adelphes. Pour tout ce qu'il l'honorait par superstition un brin ridicule, il n'avait construit aucun réel lien avec elle. Ils existaient dans un même univers mais sur deux pans différents. Elle était un concept abstrait qui expliquait tout ce qu'il était et l'avait béni d'une famille comme aucune autre, mais guère plus que ça.

Il serra les mains de Winnie en même temps qu'il inspira profondément.

"Peu importe. C'est pas comme si on pouvait prétendre comprendre les dieux. Et c'est pas non plus comme si comprendre ce qu'elle voudrait changerait qui on est. Ce qu'on est."

Et pourtant quelques questions encore lui venaient, s'ajoutaient à toutes les précédentes : est-ce que Niké pleurerait ses enfants s'ils venaient à disparaître ? Taperait-elle du poing devant les autres dieux pour réclamer vengeance ? Ou se contenterait-elle d'un énième selfie loin de leur réalité à eux ?

Encore un de ces rires las qui secouent brièvement ses épaules.

"Il y a encore quelques heures, je me demandais juste quel bagel choisir et maintenant..." Il croisa à nouveau le regard de Winnie, tellement plus doux que Themisto le méritait. "Si les monstres se contentaient de manger des bagels, tout serait carrément plus simple."

C'était une réflexion tellement puérile, tellement bête, qu'il rit pour de vrai, sans amertume même si toujours fatigué. Il rit, puis sans vraiment savoir pourquoi, les larmes lui montèrent aux yeux. Il refusait toujours de pleurer, alors à la place, il reposa son front sur l'épaule de Winnie pour tenter de lui cacher son émotion.

i hear your heart beating in your chest

tout a l'air mieux une fois que themi rit. c'est ce qu'il est sensé faire, se dit winnie, mais ça lui paraît injuste que de lui enlever les larmes et les questionnements. il le soulignait souvent lui-même : comment être heureux quand on ne connaît pas l'inverse ? il se demandait souvent si, alors, seul-es les plus écorché-es pouvaient être les plus heureux-ses. ce n'était pas une question à laquelle il avait la réponse. il voyait surtout que celleux-là avaient tendance à ne plus s'autoriser la joie : c'était trop étrange, de simple, trop suspect ; il devait forcément se cacher des choses mauvaises.
alors winnie aimait ses propres petits malheurs, et les chérissaient de lui permettre d'identifier ses bonheurs pour ce qu'ils étaient.
alors winnie appréciait le rire qu'il entendait, signe que themi n'était pas encore arrivé dans ces états-là.
winnie aimait l'excuse de la chance, mais n'y croyait pas vraiment. comment faire la différence ? les statistiques ne s'appliquaient pas à elleux, ces demi-dieux aux traits trop inhumains, et aux sangs pas assez divins. pourtant, il était certain de ce que leur mère attendait : la victoire. et alors, lui offrait-il assez, en tant qu'ambassadeur ? il ne le croyait pas. mais qu'importe. il ne représentait pas sa mère, au conseil, non. il représentait themi et sa peur nouvelle, il représentait ethel et sa réalité, il représentait henri et son déracinement, il représentait pascal et ses mauvaises idées, il représentait jayden et ses révoltes, il représentait àlvaro et ses doutes, il représentait salim et ses réflexions, il représentait justice et ses rêves.
et puis, il l'oubliait parfois, mais il se représentait lui-même aussi.
et elle ? les représentait-elle parfois ? s'attachait-elle à elleux, se souvenait-elle de chacun-e de leurs parents, et des traits que prenaient ses enfants ? savait-elle qui était mort-e, qui était vivant-e ? l'avait-on prévenue, que themisto avait failli rejoindre un autre plan ? serait-elle allée le voir ? visitait-elle les autres, en leur caressant tendrement les visages sans qu'iels ne se rappellent d'elles ?
ou n'étaient-iels que des perdants, vaincu-es par la vie, qui ne méritait pas sa présence ?
peu importe, comme le dit themi. ce n'était pas ses affaires, et autant winnie aimait sa mère, autant elle n'avait jamais été cela pour elle -alors comment pouvait-il qu'elle se comporte comme telle ? ce n'est pas grave. winnie prendra sa place.
il garde leurs doigts enlacés, ne faillit pas au contact plus appuyé. ahaha. oui. parfois j'aimerais juste le croire très fort, et que la bénédiction fonctionne sur une pensée pareille. un peu comme on était enfants, et qu'on disait qu'on changerait l'univers. petit winnie n'avait pas de très grandes ambitions : il voulait juste que tout le monde puisse manger des taiyaki, tout partout autour de la terre entière ! c'était ça, le malheur de son enfance au camp. ah, peut-être aurait-il dû se lancer dans l'agroalimentaire. mais garde ces soucis-là, themi. ce sont des bons problèmes, je crois. c'est des problèmes avec des solutions. la tête de themi n'est pas lourde mais winnie y imagine les pensées qui s'accumulent, qui le prennent en otage par leurs simples présences : elles n'avaient pas beaucoup à faire pour l'acculer, le noyer, le menacer. le danger est réel mais celui-là n'arrive pas tout le temps, souviens-toi de ça. l'autre main monte, caresse le dos de son frère. et ça ne veut pas dire qu'il ne faut plus sortir. je crois qu'on ne peut pas s'interdire de vivre. d'une vérité un peu triste, un peu heureuse aussi.

"Je sais. Je sais qu'il va falloir aller de l'avant et pas flipper tout le temps. Je sais que Nausikaa nous protège aussi. Que c'est fait pour ça. J'avais pas forcément réalisé à quel point c'était nécessaire avant."

Themisto était jeune ; il n'avait connu que la colonie et les portes ouvertes de la presqu'île. Il n'avait connu que la politique actuelle, qui lorsqu'on ne s'y intéressait que de loin, laissait croire que ce n'était pas si pire au dehors, puisqu'on était en droit de sortir. Il ne s'était vraiment pas posé assez de questions par le passé. Il avait l'impression de devenir adulte pour de vrai, là, maintenant, dans les bras de Winnie, et c'était une sensation plutôt étrange.

Il lui tapota le dos, redressa le sien une fois certain de ne pas se mettre à pleurer.

"Encore désolé de vous avoir tous inquiétés. Et que tu aies dû faire le déplacement. Et qu'Ethel ait été blessé. Et d'avoir des états d'âme comme ça dans tes bras alors que je suis plus un gosse."

Il réalisa qu'il ne tremblait plus ; toujours un peu frêle, sans doute qu'il n'allait pas rentrer très vite à la maison, mais le plus gros du choc était absorbé. Sans doute qu'il allait beaucoup regarder son plafond pour le reste de la journée, manger quelque chose de réchauffé et sans goût et subir une nuit agitée mais vraiment, le plus dur était passé. Il était en sécurité. Et Ethel aussi.

"Merci d'être toujours là pour moi. Pour nous. Je sais que j'ai pas franchement fière allure alors sortir ça maintenant va sonner un peu risible, mais tu peux compter sur moi aussi si tu as besoin. Toujours."

Il soutint son regard tout le long de cette déclaration, pour en transmettre la sincérité. Il allait devoir devenir quelqu'un sur qui sa famille pouvait compter. Ce n'était plus une option. Il ignorait encore comment, mais ce serait au cœur de ces nombreuses réflexions qui l'attendaient. Le changement était inévitable en effet, et Themisto se devait de choisir où ce courant allait l'emporter.

i hear your heart beating in your chest

winnie écoute à nouveau ; de toutes manières, c'était ce qu'il était venu faire. il se doutait que, quelques heures seulement après le presque drame, il n'y avait pas encore beaucoup à conclure. ce qui ressortait ici, ce n'était que des pistes de réflexion, des et si ? et des je croyais que. le rôle du grand frère n'était que de permettre à ces pensées de vivre leurs vies, pendant qu'il assurait themisto qu'il ne serait jamais seul même avec sa tête remplies de ces choses-là.
était-ce alors le passage à l'âge adulte ? était-ce la perte de l'innocence des demi-déités, était-ce le moment où iels devenaient moins libres, moins spontané-es, moins positif-ves ?
winnie n'y croyait pas. non, il pensait que tout cela ne les rendait que plus vivant-es, et que les risques parfois rendaient les actes encore plus fous, plus intenses, plus vrais. que cela créait des souvenirs uniques, et qu'il permettait de mieux peser les pour et les contre.
c'était évidemment aussi un piège -il ne fallait pas en faire un jeu.
ne sois jamais désolé de ça, themi. c'est pas toi qui fait inquiéter les autres. c'est nous qui nous inquiétons, on choisi de s'inquiéter, parce qu'on t'aime. winnie avait dû dispenser la même leçon à ethel, et alors il se demande à quel point ses adelphes étaient altruistes, ou alors à quel point ils ne s'estimaient pas. et je ne crois pas que tu es désolé que l'on t'aime. s'il l'était, winnie lui ferait changer d'avis -mais pas themi. pas lui, non. parce que themi ferait tous les déplacements du monde, probablement, pour ses adelphes, parce qu'il se serait probablement fait blesser à la place d'ethel s'il avait pu le décider. et ceci, c'était un amour aussi ; winnie l'aurait voulu plus juste, moins sacrificiel, mais pouvait-il le critiquer ?
merci. j'en suis très heureux. le sourire de winnie était réel, franc, et s'ils ne se tenaient plus entre leurs bras, c'était tout comme tant la chaleur de l'échange se répartissait dans tout son corps. oui, cela aussi, c'était de l'amour.

Il trouvait toujours les bons mots, Winnie, pour emplir son cœur d'amour. Un talent rare, vraiment, que Themisto lui enviait ; lui aussi allait travailler à mieux savoir réconforter les autres. Les encourager, c'était bien ; savoir les consoler était important aussi.

"Non, je n'en suis pas désolé du tout," confirma-t-il avec un sourire aussi large que le sien ; même s'il ne masquait pas entièrement la fatigue de la journée. "C'est bien le seul aspect que je regrette pas de mon ascendance, la famille dont j'ai hérité."

Il prit une profonde inspiration, se donna une légère tape sur les cuisses pour y insuffler de l'énergie. Il avait besoin de sortir de la clinique. Il y avait passé beaucoup de temps et maintenant il ressentait le besoin de prendre l'air, de passer à autre chose ; de faire de son mieux pour passer à autre chose.

"Je ne veux plus jamais qu'on se retrouve ici," dit-il en se levant. "La prochaine fois qu'on se voit, c'est pour dîner ensemble sur le canapé. Et on kidnappera les autres. Surtout Ethel. Je crois que c'est important."

Important de se rappeler qu'ils étaient là les uns pour les autres, qu'ils avaient cette chance, au-dessus de toutes les autres. Alors ce n'était pas qu'un désir mais une promesse, qu'il offrait là en conclusion à Winnie. Celle de ne pas se renfermer, et de continuer à savourer les bons moments.