La gifle fuse. Gifle face à laquelle tu ne répliqueras pas. Tu es injuste et tu en es trop conscient pour ne pas admettre que tu as mérité le moindre picotement sur ta joue. Il n'empêche que le regard reste féroce. Qu'elle lui aie parlé te reste trop en travers de la gorge.

— S'il n'a rien fait de mal alors pourquoi c'est lui que je retrouve dans ton appartement à être confronté ?

Tu étais le grand coupable après tout ! Qu'elle t'ampute de tout, y compris d'un éventuel droit de réponse, y compris de sa colère pour autant légitime te rend fou. Tu deviens taré d'être dépossédé. Dépossédé de Leslie, mais de sa rage (à Diane) aussi. Tu n'aurais pas dû attendre des heures et courir jusqu'ici pour recevoir de sa part une gifle méritée.

— Tu as préféré le voir lui, ça me rend dingue. Et tout ça pour lui dire quoi ? Pour lui raconter quoi ? Faire un portrait déplorable de moi ? Attiser sa pitié pour toi ? Ça aurait dû être moi !

Et ses mains à tes joues pour forcer le contact de vos regards que tu t'efforces pourtant de fuir depuis que tu as claqué à la porte ne te rend que plus coupable encore. Tu pinces les lèvres. Tu sais que tu es en tord. Tu sais que cette faute est entièrement tienne. Tu ne déposeras sur les épaules de Leslie aucune faute. Il n'empêche que lorsqu'elle te demande implicitement de lui dire que tu n'as fait que t'amuser d'un innocent, tu restes incapable de la rassurer par les mots. Alors tu saisis fermement ses mains pour te dégager de sa prise. Tu t'éloignes d'elle jusqu'à la table du salon sur laquelle tu prends appui. Tu commences à tourner tel un lion en cage, te prends le crâne. Tu ne sais pas quoi dire. Tu ne sais pas quoi avouer. Tu viens tâter maladroitement tes poches à la recherche d'une cigarette salvatrice, pour reprendre le contrôle, retrouver ta maîtrise. Mais tu es parti dans la panique et le paquet tant désiré est resté chez toi, bien en évidence sur la table basse de ton salon.

— Merde, merde, MERDE !

En désespoir de tout, c'est sur ton propre cœur que tu uses de tes dons. Tu te recroquevilles en toi-même, tu appelles et commandes à ton propre rythme de sa calmer. Tu sais qu'on ne doit pas jouer avec le cœur des gens, spécialement le sien. Deux vies aux compteurs, peut-être, mais tu n'es pas sûr qu'Hébé te gracie de sa bénédiction si te sabotes toi-même. Pourtant, c'est nécessaire. Tu n'arrives plus à penser, tu as la gorge déjà sèche et tu te connais assez pour savoir qu'au pied du mur tu serais capable de tout, y compris de vous rendre fou. C'est comme à bout de souffle que tu articules.

— Oh, parce que tu crois que je lui ai mis un couteau sous la gorge, peut-être ? Tu crois que je lui ai menti ? Que je l'ai laissé-là sans aucune porte de sortie ?

Tu lâches amère.

— Non, ce n'est pas mon genre d'imposer la noyade à l'autre.

Bâtard et cruel. Tu ne t'en hais que davantage. Et si tu parviens à imposer à ton cœur de ne pas imploser, tu n'as en revanche aucun pouvoir pour juguler la peur et l'impuissance, la détresse et la panique. Tu retâtes, idiot, une nouvelle fois tes poches mais aucun miracle n'y a fait apparaître un reste de cigarette depuis la dernière fois. Et face aux mots de Diane, tu sens ton cœur accélérer de nouveau. Cette fois-ci tu imposes une main sur ta poitrine mais le mal est déjà fait. Tu finis par cogner sur la table pour te retourner.

— PARCE QUE JE NE PEUX PAS ME REPOSER SUR TOI !

Tu la regardes, effrayé par ta propre colère. Stupéfait, tu recules maladroitement.

— Excuse-moi, je ne voulais pas... Te hurler dessus.

Tu ne te reconnais pas. L'homme tu entends, l'homme que tu vois titubé contre la table dans le reflet du frigo, cet homme là tu ne le reconnais pas. Rien qu'un étranger qui t'effraie, car cet étranger là tu le trouves détestable. Tu aimes être martyr, pas coupable. Lâche, tu cherches à tâtons une chaise et lorsqu'enfin ta main trouve le dossier d'une, tu la tires et tu t'écroules.

— Je ne sais pas où j'en suis.

Ne soulèves que des évidences, mais disons qu'elles sont un début. Devant toi Diane parle, élève un peu la voix et à juste titre et toi t'es là, prostré sur ton siège, la tête dans les mains.

— Ça m'étouffe. Tout ça m'étouffe.

Tu souffles.

— Je ne sais plus où j'en suis !

Tu relèves la tête, hausses les épaules avec un sourire désabusé et tremblant. Tu la regardes, presque dans l'espoir qu'elle puisse te donner une réponse. Car tu ne sais pas, toi.

— Je t'aime, je t'ai toujours aimé et je n'arrive pas à concevoir de ne pas t'avoir dans ma vie mais... Je ne sais pas Diane. J'essaye, de faire de mon mieux, de te donner exactement ce que tu mérites d'avoir, de te donner l'homme, l'amour, tout ce dont tu pourrais rêver, tout ce que je n'ai pas été capable de te donner la dernière fois mais-

Tu avales ta salive, souffle une nouvelle fois.

— Je- J'ai dit à Leslie que tu étais la femme de ma vie. J'ai dit que je ne le choisirai pas mais, mais je ne comprends pas pourquoi- maintenant que c'est finit- avoir malgré moi fait un choix me- Diane c'était si simple. Pour la première fois de ma vie j'ai eu la sensation de comprendre ce que c'était qu'un bonheur simple.

Tu secoues la tête.

— Je suis désolé.

— Je ne sais pas, Diane, je ne sais pas.

Misérable, tout juste bon à secouer la tête car tu es bien incapable de mettre des mots, de comprendre, votre relation est une nébuleuse, une équation devenue trop complexe mais que tu mourrais d'abandonner, que tu es bien incapable de détester. Vous avez vibré sous la passion et l'intensité douce tant d'année, c'est à peine si vous savez fonctionner autrement. Mais tu es fatigué. Tu ne sais pas comment l'expliquer. Pas d'elle. Pas de vous. Mais de cette intensité. Il te semble que tu es plus proche du point de non-retour qu'autre chose : et ça te fait peur, Bell, ô par Dionysos que ça te fait peur.

Elle se lève, titube vers toi. C'est plein de pitié pour vous, de regret pour elle, que tu la regardes. Incapable de la repousser, parce que ce n'est pas ce que tu veux. Tu serres sa main dans la tienne, glisses tes doigts dans ses cheveux pour laisser le parfum de son shampoing pollué ton air. Mais t'es presque reconnaissant à ce stade. Peut-être son odeur se révélera être un guide dans le noir. Mais lorsqu'elle émet l'hypothèse de partir, c'est paniqué que tu tires sur sa main, lève la tête pour croiser son regard.

— Non !

Tu entrouvres la bouche. Si seulement tu savais t'entendre, si seulement tu savais te comprendre. Mais tu as toujours été aveugle et sourd à ta propre personne.

— Ne pars pas.

Il faudrait pourtant que tu les trouves, ces mots.

— Je ne sais pas, Diane. Je ne sais pas quoi te dire. Je ne veux pas te blesser, je me déteste pour cela, vraiment. Mais, je ne veux pas te mentir.

Tu cherches dans ses yeux comme un peu de courage avant de venir fixer sa main. Et tu cherches, cherches à comprendre et à défaut de comprendre, de verbaliser.

— Ce n'est pas toi ou lui. C'était vous. C'étaient deux bonheurs différents. Mais oui, ces dernières semaines, je crois... Je crois avoir été bien.

Tu secoues la tête.

— On a tellement vécu, je ne veux pas te perdre. Je ne sais pas quoi faire. Qu'est-ce que je dois faire ?

Au final, c'est toujours elle qui t'a dit quoi choisir, vers quoi tendre. T'es le pire des assistés et tu te demandes si elle s'en rend compte.

Et tu serres, tu serres car tu ne sais pas quoi faire d'autres. Perdu dans tes sentiments, dans tes propres besoins. Tu hais l'injustice de ce que tu lui fais subir sans comprendre comment résoudre ça sans te faire le plus injuste de vous deux. La situation te dépasse, tu rêverais qu'on mette de l'ordre dans ton crâne.

— Je ne peux pas te demander ça et je ne le veux pas.

En fait, ce qui te tue, c'est qu'il n'y a pas de bonnes solutions. Aucun scénario dans lequel sa souffrance n'est pas conséquence de ton bonheur et vice-versa. Alors quoi ? On se sépare ? C'est que glisse la logique mais t'es sourd à cette option. Diane est ta vie.

— Je ne veux pas te faire souffrir. Je ne comprends pas ce qu'il se passe.

Tu secoues la tête.

— Je- Je suis désolé.

Tu sors ton téléphone, tu pourrais effacer le numéro de Leslie devant elle. Tu pourrais lui jeter une nouvelle promesse sur le Styx. Mais tu hésites.

— ... Je crois qu'il me plaît beaucoup. Mais je t'aime. C'est ridicule, ça ne devrait pas fonctionner comme ça.

Tu fixes le téléphone, finis par entrer dans tes contacts, sélectionner le numéro de Leslie avant de lever les yeux vers elle.

— J'aimerais juste qu'on soit heureux.

Elle, toi. Tu appuies sans la quitter des yeux une première fois sur le bouton et l'encadré "voulez-vous supprimer ce contact ?" apparait.

— Juste qu'on soit heureux.

— Non Diane tu n'es responsable de rien.

Tu regardes, honteux, profondément honteux, son abnégation te fait mal. Tu regardes, les lèvres entrouvertes, le téléphone portable se dérober sous tes doigts, voler par Diane. Tu lèves les yeux vers elle, secoues la tête. Elle n'a pas à faire ça.

— Tu n'as pas à faire ça..

Mais elle le fait. Diane est une âme pure, une âme bonne. C'est peut-être pour son côté sacrificiel que tu es tombé amoureux la première fois. Diane et toi vibrez de la même intensité. Vous parlez le même langage, celui du tout ou rien, celui du jusqu'à ce que la mort vous sépare. Les grands mots et les grandes choses vous rassurent plus qu'elles ne vous font peurs.

— Diane.

Tu souffles te lèves soudain pour la serrer contre toi comme tu l'avais peu serrée depuis votre séparation, il y a de cela une éternité. Elle te donne son autorisation mais tu te vois obligé de la refuser. Muettement, par devoir et honneur, toujours, tu te dois de refuser. Alors quand tu la serres, malgré le "merci" que tu lui souffles, tu te jures de ne plus toucher Leslie, tu te condamnes à te punir chaque fois que le goût de ses lèvres te manquera, chaque fois que ton cœur perfide et changeant te donnera envie d'écrire. Et si la souffrance est là, alors tant mieux. Le manque sera ta pénitence. Tu peux faire ce sacrifice, tu le dois. Toi, c'est dans tes malheurs que tu puises ton estime de toi.