20 juillet ※ appartement de CecilLe nom de Warren en lettres gravées sur une des trois boîtes aux lettres de l’immeuble.
Détaillait de ses pupilles vides les dorures et le marbre - les immenses vitres dans lesquelles son reflet ressemblait à celui d’un spectre ;
Les lueurs bleues et violettes de la mort dansaient autour d’elle ;
Ses fantômes se riaient - murmuraient en ricanements sordides.

Elle avait avancé une main devant la porte d’entrée.
Avait ravalé sa salive.

Cela ne faisait pas si longtemps qu’elle en avait été capable ; mais dès lors que les premiers signes d’intangibilité s’étaient déclarés, elle avait cherché à l’entraîner - chaque jour, chaque heure - en prévision de ce moment - de ce moment seulement.
Une excitation au bord des lèvres.

Elle traversa la porte.
Regarda derrière elle dans une mine satisfaite.

Avant de reprendre son calme - respirait paisiblement, malgré un coeur aux assauts de sa cage thoracique ; elle se balada le pas léger à observer la décoration - de la couleur des canapés, des tapis, des peintures, des papiers-peints ; qu’il était tendre pour son palpitant froid de s’imprégner des chaleurs d’autrui.
Elle ricana ;
Quelles chaleurs alors ;
Dans cet impersonnel foyer -
Cecil était aussi fascinant qu’elle l’attendait.

Alors Simca s’invita dans sa cuisine, et s’attela à faire chauffer de l’eau ;
Cherchait quelconque thé ou infusion dans les armoires - puis une tasse - elle finirait bien par en trouver une quelque part.
Bientôt entre ses mains se gagna une d’elles, fumante d’un liquide infusé d’un mélange qu’elle soupçonnait être à base de bergamote.

Elle se hissa sur la table à manger.
Les deux pieds gagnant le coussin d’une des chaises, débarrassés de ses chaussures au préalable ;

Ainsi installée, habillée de longues chaussettes noire sous une jupe volatile et un chemisier blanc ; sa veste charbon installée sur ses épaules sans que ses manches n’aient été enfilées ; elle attendait, le regard s’amourachant de ce que l’appartement pouvait bien lui offrir.

La silhouette en contre-jour d’une lumière blafarde provenant d’un ciel grisâtre.
Lorsque la porte s’ouvre, que Cecil Warren s’enquit de son foyer, Simca l’accueille avec un sourire tendre ; lumineux.

Cecil Warren. Quel plaisir immense - quel doux hasard - de vous retrouver ici ! Si je m’attendais à vous voir !

Un rire flottait à ses lèvres. Déposait la tasse à la table à côté de sa cuisse, tendant une main dans sa direction, comme une invitation à ce qu’il la rejoigne ; lui saisisse les doigts.

Simca Sugawara. Nous n’avons jamais eu l’occasion d’être présentés, je crois.

20 juillet ※ appartement de CecilLe sourire ne la quitte lorsque, rustre, il s’impatiente ;
Oh, Cecil, quand donc t’es-tu amouraché des brusques manières de ton frère ?
Il se dessine quelques sinueuses malices au fond des pupilles et sous les paupières mi-closes, les cils battent longs contre les joues roses.
Puisque les politesses ne semblent faire naître aucune forme d’intérêt, Simca siffle entre les lèvres ;
L’air de l’inciter à se taire.

Puis claque sa langue contre son palais - ne saurait accepter quelconque contestation.
Pour qui se prenait-il ? Où croyait-il être ? Chez lui ?
Oh, Cecil Warren ;
C e c i l Warren.

Un rire glousse d’elle.

Qu’est-ce que ça fait d’être accusé d’un crime qu’on n’a pas fait ? Kidnapper son frère… l’enfermer dans une cave… le filmer misérable… Vous auriez aimé l’avoir fait. Mais ce n’était pas vous.

Affirmait l’innocence du seul et principal accusé dans un calme à donner le vertige.
Où était-elle lorsqu’il avait eu besoin de témoins ?
Exilée avec les autres de son espèce ; les égarés ; aurais-tu préféré que je me présente plutôt que d’être invisible, Cecil Warren ?

Avez-vous aimé les enregistrements, Cecil Warren ?

Elle attrape alors entre ses doigts une clé USB qu’elle fait tourner entre son pouce et son index.

C’était moi.

Baisse le regard un instant.
Le temps que la surprise passe.

Ah…

Des couleurs roses aux joues, le sourire étiré dans une mine morbide.

S’il n’avait pas renversé sa gamelle, les enregistrements auraient pu durer…

Les mots ralentissent ;
S’articulent.

Tellement plus longtemps…

Elle relève le regard sur lui.
Un regard plein de fièvre.

Il a gâché mon présent à votre égard. Et je lui en tiens toujours rigueur, figurez-vous. Je suis venue réparer cette erreur. Puisque le cadeau ne se suffisait plus à lui-même, je suis venue vous offrir autre chose.

Penche la tête.

Pourquoi n’approcheriez-vous pas ?

20 juillet ※ appartement de CecilChaque mouvement de sa part semble la faire trembler ; frémir d’un intérieur enfin ardent enfin brûlant enfin vivant. Les os craqueraient sous le poids des sensations nouvelles ; le regard dévore son visage levé ; dévore les yeux les lèvres, dévale la brûlure qui mord son faciès, et elle regrette de ne pouvoir enserrer entre ses doigts avares son cou - l’aurait vampirisé jusqu’à l’évanouissement pour se délecter de chacune de ses saveurs.

S’il savait.
S’il savait les pensées qui grouillaient dans le regard noir - brillantes pupilles comme si elles transpercent l’âme.

Flatteur.

Elle lève un pied et celui-ci se pose avec délicatesse contre le torse de l’ambassadeur ;
Le tient à distance, peut-être, mais pas vraiment ; elle se penche en avant.
Le sourire à ses lèvres s’étire de mièvres manières.

J’aurais aimé l’entendre hurler votre nom plus longtemps. Chaque nouvelle menace proférée à votre encontre me faisait fantasmer un peu davantage.

Un rire glousse tendrement à ses lèvres avant qu’elle ne se relève, abandonne son pied au vide sous la table ; les épaules levées pour y fourrer son visage pris de couleurs roses.

Qu’avez-vous bien pu lui faire pour qu’il s’imagine que cela venait de vous ? Oh et ne répondez pas - je préfère imaginer.

Bientôt un long frisson parcourt l’échine ;
Grimpe le long de la colonne vertébrale de Cecil.
Des fantômes y dansent en ronde.

La mort vous aime bien, Cecil Warren. Ou bien vous craint-elle suffisamment pour faire semblant ; mais mes fantômes autour de vous ne se moquent pas comme avec les autres vivants.

Elle dépose la clé USB sur la table à côté d’elle.

Les enregistrements sont tout à vous. Faites-en bon usage - mais soyez prudent avec ceux-ci. Que diraient les autres ambassadeurs s’ils trouvaient cette clé chez vous ?

Elle penche la tête sur le côté ;
Droite, gauche ; balance deux fois avant de s’immobiliser ; à droite.

Ce n’est pas une menace - je vous veux vivant et libre. Je vous veux, simplement. Mais restez-là - en bas. Je risquerais de déraper si vous vous approchiez davantage.

20 juillet ※ appartement de CecilA la vigilance amère dont il fait preuve elle n’accorde qu’une lasse attention ;
Sous des paupières mi-closes, le regard ploie sous la désuétude des mots fatigués qu’il évoque impulsivement ;
Une impulsion qu’elle contemple avec dédain alors qu’elle lui imaginait un intellect différent de son frère.

Évidemment, j’en ai des copies. Tout un tas, à vrai dire ; une collection, si je puis me permettre - sous des angles divers et intrusifs. En revanche je ne vois pas en quoi ces copies vous incrimineraient, Cecil Warren. Vous êtes ambassadeur et moi rien qu’une recluse d’un quartier qui sent la cendre et la poussière.

Elle n’accorde pas un regard aux armes dévoilées ;
Qu’il tranche sa gorge si ça lui faisait plaisir.
Simca irait danser avec son père.

Je vous ai déjà dit que je l’avais fait. Si cette vidéo devait être retrouvée en votre possession, vous auriez vite fait de donner mon nom et je n’aurais plus le droit que de garder le silence face aux enfants de Nemesis lorsque les questions pleuvront sur moi.

Elle leva le menton pour mieux le regarder ;
Et s’habilla de malice aux lèvres.

Ou alors, je ne l’ai pas fait ; et lorsqu’ils verront que je ne mens pas en disant que je suis innocente ; vous seriez condamné.

Un rire glousse de mille clochettes ; les paupières se plissent.

Vous pourriez me trancher la gorge et vérifier par vous-même si c’est d’acide ou de miel que mes mots sont faits.

De ses deux mains sur la table elle se pousse en avant ; ses pieds seulement habillés de ses bas tombent au sol dans un bruit sourd - presque inaudible - et les doigts de Simca viennent glisser sur le pommeau en évidence de l’arme à la ceinture de l'ambassadeur.

Lève la tête haute car si Cecil est grand, Simca s’avère, elle, bien petite.

Ou vous pourriez aussi bien me faire confiance et prendre un risque aussi grand que celui que je prends en vous rencontrant aujourd’hui.

Le sourire s’élargit.
Le murmure glisse entre ses lèvres comme un sifflement ;

Avez-vous peur de la mort ?

Marque une pause, brève.

Avez-vous peur de moi ? Car moi, j’ai peur de vous.

20 juillet ※ appartement de CecilEt vous ?

Le regard soutient son vis-à-vis.
”Pourquoi Midas ?”

N’est-on pas censé aimer nos frères ?

Lorsque les yeux parcourent impudiques la silhouette de l’ambassadeur, ils tombent jusqu’à ses poignets et s’y arrêtent une seconde avant de retourner à son faciès.
Un sourire s’étire comme tenu par un fil.

Comment réagiriez-vous, si quelqu’un s’appropriait vos choses ? Si je venais ici piétiner vos acquis, m’en emparais gourmande pour ne rien vous laisser ?

Midas avait clamé Ezra comme sa possession et Simca lui donna raison ;
Qu’il se baigne, se prélasse d’orgueil ;
Elle le hisserait roi pour tout lui arracher, brutale, lorsqu’il ne s’y attendrait plus, par des biais auxquels il ne serait pas préparé.

Il s’agit de votre frère. J’estime que son sort vous revient, que si quelqu’un devait se tenir debout et conquérant devant sa chute, ce serait vous. J’espère que vous comprenez, alors, que si quelqu’un devait se tenir debout et conquérant devant la chute de Ezrael, ce serait moi.

Une menace sous-jacente dans le regard ;
Il n’y avait qu’elle - elle-seule qui soit autorisée à lui briser les os, lui tordre le coeur entre des doigts jaloux.

Vous devriez regarder cette vidéo, vous savez ?

Lève un menton inquisiteur.

Peut-être auriez-vous soudainement plus envie de me briser la nuque plutôt que de l’embrasser.

Un rire glousse silencieux au rictus à ses lèvres ;
Lueur maligne aux pupilles qui brillent morbides.

Ou peut-être est-ce déjà le cas, Cecil Warren ?

20 juillet ※ appartement de CecilGourmande de ses yeux grands ouverts, les pupilles dévorent les traits et chaque couleur qui attrape l’épiderme. Elle imagine le sang qui parcourt les veines et s’imagine encore mieux la chair à vif au-delà de la brûlure qui mord le visage de l’ambassadeur de la guerre. Elle imagine la douleur et s’y berce, c’est des amours rosées qui s’invitent à ses joues.

Les lèvres se ferment dans un sourire satisfait.
”Je la regarderai.”
Bien sûr, qu’il la regarderait.

Bientôt l’ambassadeur lui tourne le dos et Simca comprend vite qu’elle ne devait laisser plus que son spectre dans la pièce. Elle se penche en avant pour attraper ses bottines à talons hauts et épais, et les enfile sur ses petits pieds rendus minuscules par l’immensité de son vis-à-vis ;
Simca à l’allure frêle mais à l’aura grondante comme emplissant toute la pièce de tous ses fantômes et de la mort elle-même.

Elle se lève de la table et attrape toutes ses affaires, sur le départ.

Je n’aimerais pas vous faciliter la tâche, Cecil Warren.

Comme elle avait trouvé un moyen de s’inviter chez lui ;
Il trouverait un moyen de la contacter elle.
Elle préférait être surprise ; elle préférait qu’il l’attrape au détour d’une ruelle ou l’attende au coeur de l’arbre méduse ; que l’un ou l’autre de ses pairs vienne déposer à son attention un message de sa part ; n’importe, à vrai dire ; elle voulait ne pas s’y attendre et se surprendre à respirer à nouveau en entendant son nom qui s’articulerait délicieux sous le crâne.

Vous me trouverez. Vous trouverez un moyen. J’ai confiance en vous, vous êtes quelqu’un d’intelligent.

Voulait le prouver déterminé à la retrouver ;
A la revoir.
Ce ne devait pas être un hasard ; il devait le vouloir ;
La vouloir.

A bientôt, Cecil Warren.

S’éclipsait alors au travers du mur le plus proche.
Disparaissait pour ne laisser plus que l’odeur de son parfum de lilas.