t'arrives comme si de rien n'était et je ne fais pas plus pour faire de ton arrivée un événement je sais déjà de toutes manières que tu prendra tes aises et que tu célébrera toi-même les pas qui te mèneront ici et
ah tu vois ! déjà ! déjà il n'y a plus l'espace minimum respecté que j'impose à toustes (bon, d'accord, sauf à toi et à d'autres) et déjà, déjà je soupire, m'appuie sur le dossier dans un étirement qui fait craquer mes os ah c'est que je ne suis plus tout jeune et bientôt
bah
la vieillesse est relative chez nous (les demi-déités et les gens tout cassés)
je te laisse parler, t'épancher, de toutes manières il n'y a pas encore de place pour mes mots entre les tiens ; c'est toujours comme ça et je m'y fais sans soucis c'est un équilibre que l'on a trouvé et qui parfois m'agace mais je sais que tu peux te taire lorsqu'il le faut (n'est-ce pas ?)
le siège tourne pour te suivre, et alors il est évident que j'arrête tout pour t'écouter toi et tes manières de dire si peu en si long
mais je note -je note que tu sais ce qu'il t'attend si tu merdes, et alors que tu te crois capable aussi d'identifier quelque chose de grave (moi je crois que c'est faux mais je te laisse le bénéfice du doute)
et vient la fin
des mots.
et
le calme
ah, sacro-saint
t'as raté le calme
et sinon rien de plus vraiment qu'y avait-il à dire ? personne ne vient ici et personne n'en sort trop non plus ; il n'y a que le sempiternel ronronnement des ordinateurs et les plantes qui poussent il n'y a que mes pensées un peu dérangées par des choses étranges (pourquoi je suis en colère de savoir qu'on a blessé mars ?)(c'est pas étrange en réalité j'ai compris depuis longtemps et je crois même que je l'ai déjà accepté)
mars,
réexplique depuis le début
étape par étape
temporellement
s'il te plaît
je te donne la rigidité qu'il te manque
et dis-moi, oui, ce qu'il t'a fait, ce blue.
blue c'est la couleur de la mort des lèvres sans sang des veines à couper
surtout s'il t'a laissé des bleus.

le bleu n'est pas une belle couleur
je trouve qu'elle est trop présente : on la voit partout, elle me suit et je n'aime pas les stalkeurs les choses qui ne savent pas s'arrêter les rappels les rappels les rappels les alarmes qui sonnent -non mais vois-tu ! le bleu est dans les cieux dans la mer dans l'eau dans les oiseaux dans les jeans dans les fleurs dans mes yeux
sur ta peau
alors je le hais déjà à la simple mention de son nom entre tes lèvres
et à chaque phrase ça augmente ça augmente la pression monte et les dents se serrent son illogisme me démange ; on ne réveille pas celleux qui ne dorment pas on ne trahit pas les contrats on ne fracasse pas mars
j'aurais pu rire de l'ironie de l'agression, de la manière dont tu te retrouve toujours là où il ne faut pas -je crois que tu cherches, mars, il n'y a pas vraiment d'autres explications pour tous ces hasard malheureux les statistiques ne concordent pas, tu n'es maudit-e que de toi-même mais
mais ça n'excuse rien des agissements de ce vaurien
à la fin du discours j'ai le visage lisse -la colère ne me déforme pas
elle rend tout de marbre
elle s'abat comme un bloc de pierre tombe tombe tombe et ne laisse que du liquide, ce qui arrive à passer entre ses pores
fais voir. ta main. un ordre évidemment, mais tu sais, non ? l'amour derrière mon inquiétude si peu sollicitée par l'humanité
mes doigts sont en l'air, ils quémandent d'être tenus par les tiens, d'être rejoints, de s'assurer que tu vas bien (et si tu ne vas pas bien, qu'est-ce que je pourrais bien faire ? je n'ai que des compresses et de l'alcool)(j'ai aussi des scalpels, si tu veux fabriquer de nouvelles prothèses, si la larve d'humain doit encore évoluer en tout plein d'acier) blue. c'est qui ? qu'est-ce que tu lui as dit ? tu crois qu'il va recommencer ? j'aurais bien d'autres questions mais je crois que ça fera trop pour toi alors je reste sur trois, trois c'est un bon chiffre c'est le plus stable (tu le savais ? qu'un tabouret à trois pieds est plus sûr qu'à quatre) c'est le plus simple c'est la triade et je demande : qui quoi pourquoi.
et, après, je demande : ensuite ?
il a peur des araignées, tu penses ?
le blizzard sur le visage
mes vengeances sont aussi brûlantes que l'azote liquide
il n'a pas le droit de se sentir encore comme le plus noble, le plus puissant, le plus sage, je refuse, il faut lui faire comprendre qu'il a fait une erreur et
que les actions ont des conséquences.
dors ici toute la semaine. encore un ordre qui n'en est pas un, tu fera toujours ce que tu veux mais c'est moi qui demande qui dis s'il-te-plaît, je resterai aussi on pourra se coucher à deux s'enlacer se rassurer dans la chaleur tranquille que l'on connaît maintenant juste comme il faut dans le lien d'affection impromptu, qui est venu de nulle part et s'est installé entre nos deux ventres quand on discutait face à face
c'est blue, finalement, qui n'a pas eu de chance, il semblerait.

j'attrape la chaire je la tire vers moi le bout de tes doigts, je regarde bien sûr je détaille j'active les articulations j'appuie là où je crois qu'il faut appuyer mais je n'en sais rien, vraiment, tout ce que je vois c'est qu'il n'y a pas de plaies pas de bleus pas de restes rien rien rien si ce n'est lui et le bazar habituel les poussières de suie que je frotte par réflexe, ma main y traîne pour y rester
tous les doigts, oui, jusqu'à quand ?
appelle moi s'il te pose des soucis encore un ordre mais promis ce n'est pas pour te tordre pour te faire rentrer dans une boîte pour te minimiser, non c'est juste que je veux que j'ai besoin que j'ai envie que tu me veuilles à tes côtés et alors je te dis : s'il te plaît
je suis là pour toi.
tu le comprends, n'est-ce pas ? dans notre distance à la réalité, la tendresse nous rattrape aux côtés des horreurs dans nos têtes, c'est là l'amour comme il le faudrait : près du cœur
je t'écoute mais je refuse de l'humaniser, cet homme-là, ce garçon peut-être je ne sais pas, il restera cette statue de marbre aux traits flous inconnus incomplets des tâches bleues sur la gorge, je le mettrais dans la salle d'attente là où on écrira sur lui ses tords et son visage, où on mettra une identité et des blessures au fur et à mesure que tu me racontera, jusqu'à ce que je décide de l'exposer (ma galerie est chez luther)
et dans toute cette rage donnée à autrui je te laisse pendre, seul-e, la main en offrande si loin de ma bouche de mon visage si loin d'une caresse que je devrais te donner pour te réconforter, j'ai trop l'habitude de te voir te mutiler sans que jamais tu ne t'en plaigne, et alors toujours tu râles quand je t'oblige à nettoyer les plaies ; mais cette fois-ci je ne vois pas de suite ce qu'il reste de la violence des autres
je suis tendre mais pas comme il faut
je me lève, alors
je prends la peur de ta voix et l'enlace au milieu de nos deux corps
nous, les humain-es machine, les scientifiques au fond de la forêt, les acolytes des monstres qu'on confondrait en eux,
nous,
mars,
sol.
en orbite.
l'embrassade est douce et mes bras s'accrochent en haut de tes épaules, le nez au milieu des cheveux bouclés, il y a toujours l'odeur de cramé, oui. ici bien sûr, l'air voyage, il se glisse tout autour de nous et prend ces souvenirs les déplace ailleurs, les odeurs aussi, alors je resterai si tu veux, moi je veux aussi ça ira c'est promis, on parlera de tout et de rien, enfin toi tu parlera surtout et moi j'acquiescerai et je dirai deux mots à peine pour te voir repartir de plus belle ah je ferai du thé et je ne sais pas si tu le prendra mais dans tous les cas il est infect, on ouvrira le frigo et tu mangera avec moi une bouteille parce qu'il n'y a que ça (j'ai jeté tout le reste, c'était périmé). et si tu prends une douche. et je ris juste un peu parce que je ne te lâche pas pourtant, je crois que je l'ai dit comme : enlève les restes de là où il t'a touché, laisse-les loin de la maison, glisse-les dans les canalisations et laisse-les se faire manger dans la mer, dans l'océan, dans le bleu
alors, nous nous allongerons sur le matelas
et il n'y aura plus que toi et moi.

tu y pensera mais penses-tu seulement quand ces choses-là arrive, penses-tu à toi plutôt qu'aux choses qu'aux articulations mécaniques qu'aux vis et à l'huile qu'à ton soudeur et les flammes qui ne te brûlent jamais ? je sais que je n'aurais jamais rien de mieux comme promesse alors j'abandonne je me contente de ça et c'est beaucoup déjà, je sais, c'est moi qui demande toujours plus alors que je sais qu'on est pareil-les : deux chien-nes abandonné-es sur le côté de la route,
devenu-es loup-ves peut-être
elles parlent très bien, les araignées comme les plantes, c'est probablement que tu ne sais pas bien écouter c'est vrai et dans la même idée j'ai envie d'ajouter : le frigo te parlerait sûrement si tu essayais si tu le trafiquait si tu y mettais, je ne sais pas, une caméra un écran une ia, et ça sera le troisième des triplé-es et le laboratoire n'aura jamais l'air vide -je veux dire
pour moi il ne l'est pas parce que partout il y a des traces de moi de vie, et de toi bien sûr
il suffit de regarder le sol là où le carrelage n'est plus blanc et ah c'est pas grave, c'est pas grave, et peut-être parfois quand t'es pas là je parle à la tâche comme si c'était toi
ce qu'elle me répond est aussi intéressant que ce que tu me dis quand de toutes manières on ne s'écoute pas
c'est les moments comme ça je crois qui sont difficiles à décrire parce qu'ils existent mais beaucoup pourrait les détester, iels (les autres) ne comprennent pas l'aisance entre nous le confort de pouvoir parler sans trop se questionner l'assurance de savoir que si on le veut on sera entendu-e
mais bon, si tu veux, je peux relier les capteurs d'humidité du sol à un haut-parleur, comme ça quand elles ont soif, elles crieront et je ris, et c'est une blague qui ne fait rire que les gens comme nous, ou peut-être même comme moi, c'est un peu nul un peu trop poussé trop indélicat mais je ne changerais cela pour rien au monde
oui, douche obligatoire, allez -je prépare le lit en attendant
et, en relâchant ton corps, je te regarde une seconde de trop
je me demandais ce qu'on serait devenu-es, si tout ça n'était pas arrivé.