Sur le chemin de l'ecclésia, il l'avait vu, ce jardin. Laissé à l'abandon, la nature reprenait ses droits. Lentement, Emon passe devant et remarque de nombreux ingrédients qui l'intéressent pour ses baumes et autres soins naturels. Alors, le fils d'Hadès s'est décidé que quand ce sera la saison, il viendrait récupérer ses ingrédients.

En cette belle matinée d'été, il franchit le portail. L'état du jardin a empiré, mais cela ne lui déplait pas, dans l'ensemble : c'est plutot joli de voir la nature faire son chemin. Mais en tant qu'apothicaire, il pleure le taux de rendu. Ces parterres pourraient être resplendissant, compact de fleurs et feuilles dont il a besoin.
Emon pose alors son sac et s'agenouille en face de la camomille sauvage.
Il en connait certains qui auraient bien besoin d'une tisane pour calmer leurs ardeurs, chez lui, ou d'anti inflammatoire.
Le voilà paisible, entouré de belles fleurs.

Mais ce calme est de courte durée.
Visiblement, cette maisonnette n'est pas abandonnée, comme le laissait prévoir son jardin.
Pourtant, il ne bouge pas, et continue son devoir.
Il ignore les raclements de gorge; tant de choses mieux à faire que de se préoccuper des habitants de Nomos district, comme inspecter la camomille et récupérer ses fleurs. Puis voilà qu'on l'agresse d'une politesse démesurée. Emon cesse, fleurs entre ses doigts, et écoutent en silence. Une pause, et enfin, il daigne tourner la tête vers cet étrange individu dénué de toute autorité.
Le pauvre continue alors de parler, l'invitant à le dévisager. Lui et ses vêtements vieillots, ses boucles et son visage princier. Un demi-dieu qui n'a jamais vu la silhouette de l'Atè.
"Que j'ai lues."
Ses lèvres s'étirent en un faux sourire désolé. Clairement, l'intention n'est pas de lui faire croire à ce genre de sentiment...

- Oh, quel étourdi !

Emon se redresse, sans avoir fini de le toiser avec amertume. Tout comme son jardin, il vient plus que piétiner son espace vital pour venir siffler près de son visage, sans oublier de le regarder de haut de ses centimètres en moins.

- Soyez utile, pour une fois dans votre misérable existence;

Sa main tenant les camomilles collectées vient les plaquer contre son torse.

- Tenez ça. Je n'ai pas encore fini.

Regard sévère, annonçant déjà la colère qui suivrait s'il ne s'y tient pas. Puis il se retourne, et s'avance vers les  plans de soucis pour l'inspecter. Comme le reste de ce jardin, elles ont poussé n'importe comment et s'envahissent l'une l'autre avec la valériane.
Un soupir lourd, puis il se remet à sa collecte, ignorant le petit prince derrière, sûrement perdu dans ses règles de bienséance.

Un léger rictus lorsqu'il mentionne sa vie pas si misérable que cela.
Il doit bien avoir raison: sa maison se trouve à Nomos, et il a tout l'air d'un prince sorti d'un conte de fée. Son visage ne lui dit rien, alors il n'a pas connu la même destinée que ses adelphe.

Pendant sa récolte, il inspecte les plantes. Un autre demi-dieu s'y connaitrait sûrement plus, mais ces fleurs ont de la chance d'être en vie ! Ses doigts caressent leurs pétales pendant que ses yeux cherchent dans le jardin d'autres plants qui pourraient l'intéresser.
Et là, le propriétaire l'interrompt à nouveau.
Ses yeux noirs se posent sur lui et son air ennuyé. Les camomilles lui vont bien, mais Emon ne risque pas de les lui laisser.

- J'en aurais pas eu pour longtemps si vous aviez pris soin de votre jardin. La moitié des fleurs sont en piteux état ! Est-ce que cela vous arrive de sortir ? De les arroser ? Qui vous a laissé avoir un jardin...

Puis il se se relève, récoltes dans un main, et essuyant l'autre à son pantalon doucement. Pendant ce temps, le prince charmant radote. Un soupire, las, relevant la tête vers lui.
Et pendant cette tirade, Emon hausse les sourcils, avec son insolence naturelle.
S'il désire le laisser voler ses fleurs, pourquoi venir l'ennuyer de sa présence ? L'inconnu est resté là à admirer ses camomilles, peut être ?
Et quand il lui parle de sa pâte à biscuit, un nouveau sourire étire ses lèvres, léger, moqueur.

- Bien sûr que non. Qu'elle repose !

Emon s'approche à nouveau et vient glisser dans ses mains les nouvelles fleurs.
Il a l'air docile. Trop poli. De près comme de loin, trop doux pour lui tenir tête. D'ordinaire, ce serait lassant.
Mais tester ses limites ? Voilà quelque chose qui égayerait sa journée.

- Tu vas m'aider. Fini les politesses, Dépose les fleurs dans mon sac et dis moi si tu trouves de la lavande. Cela devrait être suffisamment simple, non ?

Emon se détourne alors de lui, s'affairant déjà à d'autres plantes.

Jacassements lointains, ceux du prince au jardin qui s'abandonne. Emon l'ignore, s'occupant de ces herbes qui lui permettrait de concevoir un remède au sommeil plus que particulier.
Chaque jour il se demande s'il ne devrait pas en profiter pour lui donner un poison à la place... Un olympien de moins. Si simple, à portée de main. Ce ne serait qu'une feuille en plus parmi tant d'autre et pourtant, Emon ne l'a pas encore fait.

Sa voix le tire de ses pensées macabres.
Non, Emon n'y compte pas. Il est ici pour le jardin, par pour s'enticher d'un demi-dieu né sous une bonne étoile. S'il  en valait la peine, son nom lui serait déjà connu.
Son ton plus doux.
Un souffle du nez amusé, à défaut d'un rire, lui échappe;

- Monsieur Klaus !

Quelles manières ! Sortait il de chez lui régulièrement ? Fréquentait il des gens, ou parlait il tout haut pour combler ce manque de contact ?
Monsieur, rien que cela.
Lui qui ne semble à peine plus vieux que lui.
Cette politesse maladroite le déconcentre de sa valériane. Qu'était-il ? fils d'Hestia ? Sûrement pas Démeter ou Perséphone, à en juger par l'herbe du jardin sur le point de se dessécher avec l'été à venir.
Ses yeux viennent le dévisager à nouveau, lui et ses vêtements impeccables, contrairement à ses cheveux.

- Et bien, Monsieur Klaus... Donnez moi une seule bonne raison pour laquelle je devrais me présenter.

C'est fini, il l'a, son attention. Même le vouvoiement est de retour.
Scruté du regard, cherchant une faille, agenouillé au sol en seiza.

- Qui ne soit pas "par politesse". Ou dans "Les règles de bienséance et de respect de l'ordre dans le voisinage"; nous ne sommes pas voisin, et donc, ne s'applique pas à moi.

Ses mains sont vides.
Sans lavande. Ah, quelle inefficacité...
Alors Emon se tourne un peu plus vers lui, restant de son coté du jardin.

- Dites moi, Daphnis... Il traine sur les prénoms, doucereux. Je vous pensais pressé. En pleine cuisine, même... Et pourtant vous trainez à récolter ma lavande et à discuter. Si vous voulez que je reste plus longtemps, ne soyez pas timide dites le directement !

Cela devrait le motiver à se bouger le cul, au dindon bourgeois.

Ah, qu'il a l'air doux et idiot. C'est presque triste de devoir être abjecte avec quelqu'un comme lui. Mais il est là, bien poli, bien habillé, rayonnant d'une maladresse attendrissante. Si facile, pour quelqu'un au doux visage que de s'attirer les bonnes grâces d'autrui. Tu m'étonnes que ses manières le chamboule, quand personne n'ose remettre le petit prince à sa place.

- Seulement les médiocres.

Mais il continue de le regard.
Prétendre être occupé ailleurs fonctionnent quelques secondes, puis Emon l'observe du coin de l'œil. Et froncer les sourcils, fixant ses mains qui ne savent pas quoi faire alors qu'il lui parle de le surveiller.
A croire que c'est lui le propriétaire des lieux, et Daphnis l'intrus.

- Ce n'est pas suffisant.

La curiosité, si ce n'est pas la sienne, ne l'intéresse pas.
Finalement un léger sourire. Moqueur, certes, mais aussi quelque peu fier de lui, à sa remarque. Bien sûr qu'il sait. Comme un chat sourirait avec provocation, menacé par un couteau, sur les internets. Un peu de malice, un ton enjôleur pour pousser le vice plus loins encore.

- Je le ferais bien exprès, Daphnis, mais un rien semble vous tourmenter ! Alors, je continuerai...

Puis, chacun sa mission.
Sans faire attention aux simagrées du blondinet, Emon continue la sienne. Bientôt, il pourra rentrer chez lui avec tout ce qu'il a, et se mettre au travail.

Des brins de lavande.
Emon suit le bras du regard, puis plonge son regard dans celui de Daphnis. Il se prêt au jeu, lui qui désirait le chasser. Puis, le surveiller.
L'apothicaire détaille ensuite la lavande d'un regard sévère.

- Hmm... Cela fera l'affaire.

Le 'merci' lui reste au travers de la gorge alors qu'il prend délicatement les fleurs de ses mains. Le silence s'installe, alors qu'il fait tourner les lavandes entre ses doigts. Son regard s'adoucit finalement, tandis qu'il rassemble les récoltes en un bouquet.

- Vous devriez au moins arroser vos plantes. J'en aurai encore besoin.

C'est gratuit, après tout.
Et s'il devait revenir à l'heure du repas, Emon imagine bien le petit prince lui proposer à contre coeur de venir le partager, parce que c'est la chose polie  à faire.

Un souffle à ses requêtes, embêté par autant de restriction.

- Mais je décide par moi même, en ce moment même ! Que peuvent bien vous faire mes intentions ?!

Et il vient le souligner en plongeant son regard dans le sien, déterminé et sérieux, tentant vainement de gagner en hauteur.
A moins qu'il ne l'invite. Daphnis le surprend cette fois, le voilà la bouche ouverte sans savoir quoi répondre, et elle se referme quand il annonce son prix. Un regard aux yeux plissés pour cet affront, et ses pupilles se reposent sur ses plantes.

- Je ne veux pas rencontrer d'horticulteur. En fait, mon but était de ne rencontrer personne, et de récolter mes plantes, gratuitement.

On ne peut décidément pas tout avoir.
Puis un léger sursaut, trahissant un rire étouffé bien vite, un léger rictus au coin de ses lèvres.
Offrir des fleurs, lui !
A qui ?
Et s'il en recevait, il les écraserait dans sa main !

- C'est pour soigner.

Emon garde désormais ses regards que pour lui, jouant du bout des doigts avec les fleurs. Il ne provoque pas, et dans cette chute de masque, préfère encore cacher la préoccupation au fond de ses iris brunes.

- Pour des tisanes, aussi. Mais c'est peu...

Il en fallait toujours plus pour soigner les égarés, pour panser leurs blessures et apaiser leur esprit.
Puis, finalement, Emon se tourne à nouveau vers le petit prince. Il le jauge avec méfiance, ce dieu bien né.

- Alors vous m'inviterez, si je vous donne mon nom  ?

Ses intentions lui ont de toute façon été dévoilée.

- Apothicaire.

Corrigé immédiatement, sec.
Apothicaire de l'Atè district, mais aussi ambassadeur d'Hadès. Surtout le grand frère de quelques individus qui ont le don de se mettre dans des embrouilles pas possible. Et bien qu'il prenne soin de ses Adelphes, il ne s'est toujours vu que bon pour faire du mal.

Monsieur a besoin de prendre des dispositifs à l'avance ! Le claquement de langue part tout seul, et le retour à un visage blasé se fait bien plus naturellement qu'Emon pouvait le prévoir. "Vous comprenez".
L'espace d'une minute, il s'est laissé allé à lui répondre comme un humain respectable et là, il regrette déjà.

- Des disposition ? Comme vous coiffer, j'espère ? Il s'agirait d'être un minimum présentable, la prochaine fois.

Le seul défaut, minime qui plus est, prend tarif. C'est que le petit prince prend confiance à énoncer ses règles, qui lui semblent déjà fort nombreuses.

A la mention de son métier, Emon le détaille à nouveau, sourcils légèrement froncés. La forge, lui ? Avec ses manières délicates et son style vestimentaires précieux, tout juste sorti d'un drama histoire aux histoires romantiques alambiquées ? En voilà, un contraste de taille !

- Soyez honteux, je vous le demande.

Et il lui tourne le dos, s'en aller récupérer son sac. Daphnis Klaus, encore à vouloir surveiller les intrus, malgré leurs intentions claires !
Errer seul dans ce jardin lui sied.

- Et si vous en aviez véritablement quelque chose à faire, de l'opinion de vos voisins, ce jardin serait entretenu.

Un soupir lourd, alors qu'il ramasse ses affaires et y dépose doucement ses plantes, les arrangeant délicatement pour ne pas qu'elles s'abiment pendant son trajet.

- Emon Ueda.

Un coup d'oeil  en coin, voir s'il reconnaissant ce nom, ou s'il était de ceux qui laisse les noms politiques s'oublier pour vivre leur vie sereine, au privilège de ne pas devoir se soucier de si leurs droits sont entre de bonnes mains ou non.

Arrêté dans son élan, retournement dramatique et regard noir.
De quoi se mêle-t-il ?
Souffrir grandement, pour agir ainsi ?!
Cet inconnu qui vient ainsi le juger, et viser presqu'en plein cœur.  De quel doit se permet il de partager son opinion ?

- Et vos conclusions, alors ? Elles sont le résultat de plusieurs rencontres j'imagine !

Puis quand il exprime sa méfiance pour ses voisins, l'apothicaire lève les yeux au ciel, avant d'observer les maisons aux alentours.
Un soupire comme réponse à son scénario catastrophe. Qui de ses voisins en auraient bien quelque chose à faire. Oh, il est vrai qu'un enfant Hadès ne rassure pas, au milieu de ces maisons de charmes et de ces jardins bien verts et fleuris.
Mais Daphnis Klause n'aurait pas laissé un pauvre homme égaré dans un tel pétrin !

- Rassurez vous, je suis prêt à parier qu'ils ne veulent pas vous fréquenter non plus !

Puis, sac sous le bras, un dernier regard au prince aux boucles blondes. Il s'y attarde, sur ses yeux perdus et son allure élégante, avant de lui tourner le dos sans dire un seul au revoir.
Mais sa route s'arrête à la découverte d'une nouvelle plante.
Emon hésite, puis se penche au dessus pour la cueillir d'une main, l'autre venue retenir ses cheveux noirs de gêner sa vision.
Puis ses pas reviennent vers le petit prince.
L'apothicaire glisse dans sa main deux brins de myosotis.

- Mangez ça.

Et elle lui sied, cette plante. Tant pas ses propriétés que par ses airs timides et délicats.

Le petit prince ne le lâche pas, même dans sa retraite. Toujours poli, à lui souhaiter du bonheur, même après être venu persifler allègrement dans son jardin. quel genre d'imbécile est-ce ?
Et il se moque d'un ricanement bref.

Et cette moquerie se mue en curiosité discrète, à la vue de ses expressions, avant et après les fleurs.
C'est tout ?
Emon s'en tirait ainsi ?
Ses doigts viennent refermer les siens autour de la tiges avec douceur, comme si de rien n'était, gardant son regard planté dans le sien, l'audace à la limite de l'impertinence.

- Allez vous me faire attendre encore longtemps, Daphnis Klaus ??

Ce n'est qu'un caprice.
Cela importe peu, s'il les mange. Ou plutôt, Emon serait curieux de voir quel genre d'emprise il a sur l'élégant, l'anxieux mais charmant bourgeois.
Son regard se tourne vers le parterre qui pousse à même ses murs, et de désigne d'un léger mouvement de tête.

- Vous n'avez qu'à vous servir pour vos maudits gâteaux. Vous avez un jardin que vous ne connaissez même pas ! D'autres n'ont pas cette chance et en feraient milles choses plus utiles.

Ses yeux noirs reviennent menacer les siens.

- Alors, c'est mon cadeau pour vous, Daphnis. Un peu de connaissance, pour que vous n'en manquiez plus aussi cruellement;

Il relève légèrement la tête, se fait plus haut comme il peut. Se perd, aussi, dans ses traits craintifs, avant de poursuivre.

- C'est du myosotis. Une sorte de sédatif... Très bon pour l'anxiété. Il vous en faudra plus qu'une tige.

Puis il le détaille de haut en bas, et tourne les talons. Cette fois c'est la bonne : il marche vers le portail avec ses récoltes sous le coude.

- Et laissez m'en ! J'en aurai besoin !