Comme à son habitude, c’est sous les prunelles de marbres que David venait expier ses tourments.
La posture légèrement voutée, le teint pâle et les mains abimées, il tenait à peine debout devant la déesse. Il avait remonté l’allée d’un pas difficile, s’arrêtant plusieurs fois pour aspirer l’air et réaliser que sa vie courait encore dans ses veines.
Fuyant l'hôpital, dans un brouillard de lassitude, il s’était dirigé vers son seul endroit de réconfort, là où personne ne viendrait le chercher ; là où l’enfant du Roi n’aurait jamais dû se réfugier. Dans sa prime jeunesse, il s’était déterminé à vouer à Héra un culte neutralisé de toute rancune. Aujourd’hui, c’est uniquement à son jugement qu’il acceptait de se remettre.
Il ne le dirait jamais, mais David respectait bien plus Héra que son père.
Je suis fatigué. Il n’y eut aucun mouvement de la statue. Une expiration arracha de ses poumons un faible gémissement. Devant la Mère, il s’autorisait la plus grande faiblesse à tel point que n’importe qui aurait pu venir lui trancher la gorge en un instant, arrosant l’autel d’Héra.
Rare était ceux à venir ici pourtant, à vouer un culte à la Déesse.
Il s’assit finalement en tailleur, abandonnant les formes protocolaires ; persuadé qu’en tant que Mère et représentante de la maternité, elle comprendrait.
Je suis fatigué de tout cela, de ce jeu constant.David ne se mentait pas, il appréciait arpenter la voix des puissants et le goût du pouvoir était devenu une drogue qu’il limitait à petite dose avant d’en perdre un contrôle total. Ce soir pourtant il avait compris qu’il y avait bien plus que de maigres querelles de Nausikaa et qu'au-delà des barrières se voyait dresser les envies de nouvelle ère.
Quarante trois ans à porter les armes. Quarante trois ans à briguer l’idéal et la perfection froide et implicite, troquer le coeur chaud de l’homme pour le glacial du divin avait occis toute pitié envers les Dieux. Et contrairement à leur image,aussi avide de pouvoir qu’il pouvait l’être, David ne saurait pas mener ses adelphes face au monstre sans craindre pour chacune de leurs âmes.
Je n’ai pas envie Héra, cela va être un massacre.Combien de vie pour une révolution, pour être (encore) le pion des immortels. Il y avait une forme de rancœur amère à n’être que des marionnettes entre les mains vieillies des Moires.
Je suis fatigué Héra. Une première larme coula comme un témoignage d’autant de sanglots nerveux qu’il retenait, un craquage comme un autre qui assurait à ses nerfs de continuer à fonctionner.
Mais je n’ai pas le choix, c’est comme ça je suppose.Les flashs reviennent, le regard de Dionne, la douleur de son dos, la mort de Darryn, les mots de Gabriel, les jeux rhétoriques avec Emon. Chaque instant, chaque échange, chaque décision pesée avec la précision d’un joueur d’échec.
C’est le jeu.Il n’aura jamais le choix et de son monde, il ne pourra qu’en dicter les contours et ses envies secrètes. Le reste serait forcé par son nom et son sang.
Je n’en peux plus.Les larmes coulent le long de ses joues, la gorge étouffe quelques sanglots qui se font hurlement au creux de ses poumons. A cet instant, l’homme s’épuise à exister de toute ses forces, à se faire vivant de sorte qu’on l’entende jusqu’au fin fond des enfers. Demain, il aurait remis ce masque de perfection horripilant au teint peut-être trop blanc.
Ce soir, il voulait juste honorer les morts.
Ils ne les emporteront pas Héra, Nausikaa restera debout. Envers et contre tous, même contre vous.Les larmes finirent par se tarir contre ses joues, ne laissant que des sillons salés. Sur ce visage ne pousserait peut-être jamais d’autres sourires sincères. S’ils devaient partir en guerre, David ferait mieux d’arroser de détergent son jardin intérieur.
En attendant, il se contenta de se tourner et doucement de s’adosser dos à un banc, proche de l’autel.
Il resterait quelque temps sous les regards de pierre de la déesse.
Demain, il approcherait cette perfection.
[SOLO] - [JUILLET 2023]