De nouveau la nuit. Sous le regard sans jugement de la lune, Cassiopée se glisse au fur et à mesure des ombres. L’étrange pression suit le rythme de ses pas, la sensation indicible de revenir vers une ritournelle qu’ils avaient pourtant quittée. Encore une fois, Cassie revenait en arrière sans même chercher du regard une autre voix.

Dans sa poche, un paquet de cigarette, les favorites de Seraph. Un moyen comme un autre de l’appâter dehors, si lui-même ne suffisait pas. Cassiopée s’était mis à douter de tout, et même de sa capacité à vivre au côté de son ancien amant.

La guerre avait eu le bon goût de réajuster leurs ombres comme avant.

Devant la caserne des spartes, il siffle, attend que la tête de Seraph surgisse pour agiter le paquet de tabac comme une offrande. Viens au cimetière des automates avec moi, Seraph.

Une manière comme une autre de glisser un élan d’émois dans leurs individualités.
Une manière de s’ancrer dans la réalité.

Il y avait dans le sourire de Cassiopée toujours cette tendresse désirable.

Toujours les mêmes chants.
Les notes s'enchaînent dans un adagio qui brisait les couches de protection, disséquant l’ossature pour n’offrir que le cœur en pâmoison ; prêt à être dévoré par les oiseaux du parjure. Cassiopée se voit déjà rédiger son épitaphe, d’imagine Seraph refuser de le rejoindre dans la danse ; de pas effleurer ses mains une dernière fois.


Dans l’allegro qui commence, Cassiopée sent germer l’angoisse et de ses joues fleurissent des rougeurs amarantes.Je n’ai pas pu venir plus tôt. Comme une excuse qui serpente le long de ses lèvres. Cassiopée se tenait devant lui, bien droit et fier sans oser pourtant le toucher. Sinon je serais venu plus tôt. Un silence à nouveau, le cœur en chamade, sans qu’il n’arrive à comprendre pourquoi.

Iels avaient déjà valsé des milliers de fois.
Cassiopée avait pourtant l’impression de perdre le fil des pas.

Je n’avais pas de raison d’être là outre mon Silence. Expiration. Envie de te voir. Et le cimetière a le bon goût de nous laisser seul tous les deux.

La ligne des épaules de Seraph lui évoque leurs histoires tendres, vêtues d’une nostalgie en robe blanche. Iel était déjà distrait par sa présence ; qui injectait dans ses veines la douleur abjecte des regrets consommés, des relations finies et des non dits jamais entamés.

Cassiopée aurait pu dire à Seraph : Tu as changé.
Dans la longueur de ses cheveux, dans la manière dont ses vêtements étaient posés ; Seraph était imbibé d’un changement discret qui partait de la pointe de ses talents jusqu’au bout de ses mèches. Oui et maintenant je suis là.

Dans l’ombre de ses pas, iel retrouve son rythme, soluble et indicible ; encore une fois fantôme du géant, iel ne faisait que blesser leurs ennemis communs, laissant à Seraph le plaisir de les achever. Cette fois-ci, c’est le chemin qui se faisait felon, obligeant le rythme à s’adapter aux monts escarpés et peut-être aux attentions défaites.

Oui, Seraph ? Au milieu de la voix, iel s’immobilise. Un sourire pâle grave les stigmates de sa solitude. C’est vrai. Iel dirige son regard vers les étoiles culminant au-dessus d’eux. Iel aimerait les rejoindre et de rire des hommes.

je suis là, mais je ne sais pas si c’est pour cela. Pouvait-ils se voir sans qu’il n’y ait l’implicite de sentiments derrière ? Fallait-il que l’un et l’autre soit deux opposés se balançant. Mais peut-être que tu es devenu plus … raisonnable. Je devrais partir alors. Je voulais juste te souhaiter bon anniversaire.

Le sourire caché dans la pâleur de ses lèvres. Bon anniversaire en retard, Seraph.

Les esquisses ont la douloureuse tendance de n’être faites que de traits légers qui ne rougissaient que l’esprit sans s’imprégner de la chair. Droit devant Seraph, Cassiopée s’absorbe dans sa propre contemplation ; l'œuvre imprégnait l’artiste autant que l’inverse. Je sais.

Iel a cessé de se questionner, vaincu par l’évidente facilité qu’ils avaient à conjointement orbiter, à se retrouver si proche sans autoriser un quelconque effleurement. Seraph serait heureux de le voir et l’inverse était également vrai. Tu es toujours avec Précieux pourtant.

Un rappel qu’iels ne pourraient que coexister ; Cassiopée ne partageait pas ses amants et Seraph était hors d’atteinte, un firmament qui ne supportait aucune contrariété. Iel l’empêcherait pourtant de s’étendre tant qu’il n’y aurait d’autres étoiles trop brillantes.

Tout ce qui te concerne est important. Une vérité unique pour Cassiopée, douloureuse entre ses lèvres face à l’évidence de ce qu’elle impliquait.

Iel n’avait plus la force de se battre et à l’aune de sa trahison, juste avant la fin de son Ere, iel venait recueillir les derniers amours. Ces bouquets seraient déposés sur une tombe sans nom : la sienne.

Je suis venu.e te dire que tu entendras peut-être des choses atroces sur moi dans les prochains mois, que tu te demanderas comment ai-je pu faire ça. Sache que je l’ai fait pour la Vengeance autant que ma propre satiété. J’arpente les propres chemins vers ma gloire. Crois les rumeurs Seraph, ne me défend jamais.

Iel se tait pensif, réalisant que le goût de leur baiser était devenu silencieux dans le creux de son esprit.

Enterre moi si je disparais.

Pour la première fois peut-être, Cassiopée prit soin de se dévêtir ; d’offrir à nu le creux de son être, comme une offrande dépourvue d’intimité. Devant Seraph, iel se disposa à abandonner ses masques, à effacer les traces de ses passages, à enfin concéder l’aperçu d’un tableau neutre teinté tout juste d’étranges reflets grisâtre.

L’absence de sourire, l’absence d’émotion ne fut que plus flamboyante, vivifiant l'incandescence dorée de son regard. Cassiopée regarde Seraph comme on observe le paysage de ses derniers instants : avec l’amour détaché de toute passion et de toute attente, la certitude que tout serait enfin fini et que dans l’ombre des paupières ne viendraient que le point final.

Tu es encore avec Précieux. La phrase répétée n’est pas l'œuvre d’un défi mais d’une vérité, car le mourant à la possibilité odieuse de forcer les vivants à accepter les faits, les vérités. Surligner en rouge les passages ratés et peut-être les inviter à corriger.

Cassiopée n’attendait pourtant aucune correction ; iel avait sciemment accepté de finir son histoire, de tourner enfin les dernières pages et de déchiffrer finalement ses derniers paragraphes. Alors, cela lui importait peu que Seraph soit imprimé d’erreur.

Iel les aimait toutes de manière douloureuse.

Alors tu les croiras, et tu auras mal car tu te demanderas : pourquoi. Et peut-être que je ne serais pas là pour répondre, peut-être que je n’aurais qu’une vague pensée pour toi. Et toi, Seraph Liu, tu ne pourras obtenir les derniers morceaux de cette histoire.

De ses mots l'on pouvait recueillir des gouttes de tristesses, qui dans le creux des paumes paraissaient minuscules et dérisoires ; peut-être autant que l’amour de Cassiopée pour Seraph. Elles étaient pourtant là, tout comme le sentiment, et jamais l’un ou l’autre ne disparaîtrait vraiment.

Le goût du baiser, enfin, lui arrache ses dernières respirations, lui arrache ses dernières confessions ; et Cassiopée sourit en se détachant. Je sais. De sa taille malingre, iel revint chercher un deuxième baiser, plus ferme encore, plus fort peut-être.

Iel ne sut dire : Je t’aime.
Alors Iel se suffit d’un : Merci.

Et dans un pas en arrière, iel disparut dans la nuit.
Dans le creux de la paume de Seraph restait la clef de chez ellui.

Au cas où iel ne revienne pas.