elle est morte.


il ouvre la porte, rencontre son regard. sur le palier de sa maison se tient toute précieuse, sa sœur, et face à elle se maintient avec peine un homme dont le cœur ne bat plus. elle est belle, embrassée par la vie et il est laid de chagrin, délaissé par l'amour.

c'est un silence qui s'étend — oh pas le premier, ni le dernier, mais l'un des plus lourds qu'il eût exister entre eux. sans prononcer un mot il glisse en elle toute sa détresse et elle l'accepte, elle aussi, sans émettre un son.

ce n'est que le bruit de ses doigts qui glissent contre la poignée, laissant sa main se renverser contre son corps que l'on entend de sa part au milieu des oiseaux, qui, sans pudeur, chantonnent avec allégresse leur gaieté de vie. il la laisse alors ici, car elle s'invitera, il le sait. traînant son corps au salon qui suit l'entrée, il s'abandonne après l’épuisement, sur le canapé comme on se débarrasse d'un vêtement qui toujours rejoindra la chaise plutôt que le panier.

et si leur rencontre ne différaient pas tant de d'habitude en termes de salutations il y eut quand même toute cette nonchalance qui ne ressemblait pas à benedict. d'ordinaire il lui passait une main sur l'épaule, parfois même la joue pour mieux admirer la perfection qu'hecate à créer à défaut de l’aimer correctement lui.

mais aujourd’hui elle n’eut que le désespoir de ses yeux gonflés de sanglots, et elle devrait pouvoir s’en contenter.

la seule âme enjouée de ces lieux s’avère être baudelaire, qui profite de l’arrivée de leta pour lui quémander l’affection que son maître ne peut exprimer. un brin de soleil, qu’observe benedict avec douleur. c’est ce que les larmes se pressent de dévoiler.

baudelaire avait toujours un peu plus appartenue à elle qu’à lui.

naturellement leta fait des lieux sa demeure. elle connait les pièces selon ses propres termes car benedict ne s’était jamais perdu à vouloir les lui présenter ni même les lui définir mais, il avait laissé, sans limite aucune, leta les apprivoiser comme si elle y habitait.

c’est pour cela qu’elle vagabonde, légère et sans trop se perdre malgré le bruits d’indénombrables tiroirs à chercher il ne sait quoi mais, aux oreilles de benedict, ces sons ne sonnaient points comme des explorations malhabiles mais comme de petites inattentions qui n’étaient véritablement la faute de personne.

devant ses yeux, après un temps, voyagent la vaisselle et il la regarde, comme vêtu d’un intérêt soudain, pour la première fois depuis des jours, avec les yeux que l’on emprunte à la surprise. benedict pouvait bien prédire qu’elle ferait danser les tasses mais serait toujours étonné de voir la porcelaine flotter sous le commandement de leta.

mais pas un mot pour commenter cela. il regarde, récupère son breuvage au vol avec tout le naturel de monde et s’y agrippe comme si sa survie en dépendait.

dans ses mains il y avait toute la chaleur d’un monde qui le rejetait. toute l’attention d’une femme quand d’autres (une) ne pouvait plus forcer son coeur à battre. dans une infusion il y avait tout un univer volé et c’est surement pour cela qu’il s’y accroche comme à une bouée.

benedict est fatigué de sa peine, lassé de ses remords. il repense à ce qu’il a vu, songe à ce qu’il a dit. dans la terreur il y eu la beauté, ce qui le terrorise plus encore qu’il n’est endeuillé. et quand il se trouve horrible d’avoir posé des mots morbides dans l’oreille du cerbère, il se rappelle ; elle est morte. et c’est la seule chose à laquelle il doit penser.

son regard s’élève sur sa sœur. il la scrute, pour mieux l’écouter, elle qui ne dit rien à celui qui ne dit rien. son corps n’est pas bien épais mais elle ne semble pas en souffrance. son teint n’est pas abîmé par la lune, le soleil lui rend plutôt hommage, en quelque sorte. leta est jolie, la magie l’habille aussi bien que son caractère. elle est une fière fille d’hécate et à chaque regard qu’il lance vers elle il se le répète : jamais n’eut-elle été regrettée. elle.

d’un soupire léger, presque inaudible tant il fut naturel dans sa respiration, ses épaules s’affaissent, et il cesse de l’épier car il ne s’inquiète plus de sa santé. et pourtant. quelques fois le corps cache bien des secrets que seuls des mots peuvent révéler.

alors il obéit enfin, hume avant de prendre une première et timide gorgée. ça a le goût du réconfort et de la peine partagée. un coup d’oeil à baudelaire qui s’est déjà couché pour ne pas faire honte à son deuil et il se dit,

quel bon chien. dommage qu’il ne l’ai pas retenue.

silencieusement ils partagèrent une boisson, et bien des sentiments qu’ils se refusent à nommer. après un moment, benedict renifle. c’est le chagrin qui ose enfin se montrer à leta. il se débarrasse de sa tasse en la déposant sur la table basse, frotte son visage entre ses mains blêmes, inspire un peu de retenue mais l’expie aussitôt. il y a quelques larmes qui coulent, elles essayent d’être discrètes. on n’entend simplement son nez qui ne parvient pas au même exploit.

benedict a craqué parce qu’à cet instant, il se sent aimé, se confronte même à l’amour. quand lui a perdu à qui en donner.

la voilà mise à nue, exposée, même encore prude : toute sa peine. benedict ne contient plus le désespoir qui l’anime et les souvenirs se succèdent pour lui rappeler le sens de chaque larmes.

elle avait été, douce, réconfortante, aimante, mais aussi explosive, cruellement sincèrement, et quelquefois bien bête. mais elle avait été, son premier amour ; celui qui en s’éteignant doucement laissait tout de même derrière lui les crépitements d’un brasier qui s'essouffle, mais qui donne ses étincelles encore brûlantes à d’autres feux. quand il repense à leur vie partagée il ne peut ignorer toutes les raisons qui l’ont séparé d’elle, et à quel point il s’était battu pour que jamais il ne disparaisse de ses mémoires (et surtout de sa vie).

mais toute la folie, toute la passion, tout l’attachement du monde : rien de ces dévouements poussés à l’extrême n’auraient pu la sauver du destin tragique avec lequel elle dansait. car après tout ; elle ne voulait plus de lui, et il se devait de respecter sa volonté, tant qu’elle ne remarquait pas que dans son ombre il s’y logeait encore bien trop souvent.

benedict renifle, bruyamment, comme pour une dernière fois et il se lève, avec la rapidité d’un homme qui ne veut plus avoir de regret. ses mains fines récupèrent dans la bibliothèque à côté d’eux, un carnet épais, bourré de pages supplémentaires qu’il avait calées ici et là pour compléter ses écrits. il y avait aussi, des photos, uniquement d’elle, et des bout de vie ; une feuille d’arbre à l’automne, un post-it détenant l’écriture de la défunte, des bracelets de tissus, et bien d’autres reliques. tout ce qu’on peut bien laisser derrière soi après une vie.

il l’observe, sans l’ouvrir — il en connaît déjà tous les détails. ses pas le ramène à leta, à qui il tend l’objet. elle a pleuré avec lui, sans qu’ils n’aient à partager le moindre de leurs maux. si la solitude avait été sa plus fidèle amie, benedict n’aurait jamais pensé pouvoir trouver sur cette île plus important encore : une sœur.

toujours sans un mot. ses yeux rougis par la peine et détruis par la mort lui supplient ; brûle le.

entre les mains d’une sœur (la seule qui venu le consoler pour ses peines) les dernières reliques de sa peine, tant qu’il en ignore les fantômes. elle observe, imagine, se répugne de l’objet avant de le sacrifier, enfin. benedict s’assoit à ses côtés, il observe les papillons virevolter à la place de sa défunte et se dessine une dernière fois — il espère ; les lignes de son visage.

un soupire, pour calmer les sanglots. sa tête, lourde de trop de maux, se repose sur l’épaule d’un coeur attentif. leta. ses yeux sont clos, il aimerait peindre sur le noir de son esprit la délicatesse de son destin mais craint trop d’effriter leur confiance silencieuse.

un reniflement de plus pour faire trembler leur mutisme, et il se fond à nouveau dans le canapé comme pour disparaître de toutes les visions. plus rien à présent ne le rattache au passé, pas vrai ? il n’a plus ce livre bourré d’amour corrosif pour le tirer dans les méandres de ce qu’il y a de plus mauvais en lui. plus de papier à feuilleter pour se rappeler que rien ne sera plus comme avant. que des mémoires qui finiront par s’amoindrir au fil du temps.

il essuie son front, se laisse une dernière gourmandise. un dernier écho de sa voix pour lui dire au revoir dans ses pensées. voilà.

elle est morte, et partie. alors il faudra affronter le lendemain sans plus espérer la croiser dans les couloirs, sans plus prétendre entendre son rire, sans plus pouvoir dire qu’elle lui reviendra.

il voudrait dire merci, mais n’en a pas la force. les lèvres pincées, son visage mime une approbation. merci, oui. dieu merci ce fut réel.

une main, lourde de fatigue, qui tapote légèrement dans le dos de leta et il s’abandonne, un peu mort un peu en mode survi, dans l’attente d’un nouveau soleil pour enterrer ce que fut aujourd’hui. il ne pourra pas faire plus tant que la lune n’aura pas bercé les évènements qui les ont mené à tout partager, silencieusement.