elles sont impossibles à dénombrer, pourtant toutes allumées à la main ; les bougies que tu as installé une à une ce soir pour accueillir la sorcière la plus hypnotisante que l’île ait connue. au menu rien de lubrique, tu réserves tes délires pour ton palais à toi mais t’es tout de même bien acharné à préparer pour elle le repas le plus élaboré dont tu étais capable aujourd’hui, sans y glisser un petit bout d’homme. à ta table quelques pierres répandues dont tu ne connais ni le nom ni les effets et tu espères secrètement en avoir posé une qui appelle à la mort pour entendre leta s’écrier que tu es infâme avec elle ; simplement parce que ça te plairait, de la voir habillée de colère.

mais la voir tout simplement suffit déjà à chatouiller ton bonheur.

tu ne saurais vraiment l’expliquer mais il y a quelque chose dans ce petit corps de femme qui éveille en toi le désir presque mort d’être amoureux — pourtant tu n’arrives pas à l’être.

tu te contentes alors de cultiver un peu maladroitement cette sensation juvénile.

toque enfin à la porte celle que tu avais conviée, et tu t’en vas lui ouvrir pour qu’elle découvre ton chez toi macabre (mais décoré subtilement pour lui plaire).

« miss petrova, j’ai bien cru que tu m’abandonnerais ce soir. entre donc, je t’en prie. »

tu t’écartes pour laisser la reine se frayer un passage, tendant la main pour récupérer veste et sac, sinon rien et juste le plaisir humiliant d’être inutile pour celle qui ne demande rien.

« tu es magnifique. tu as fait bonne route ? d’une splendeur, sincèrement sans nom. tu veux quelque chose à boire ? véritablement.. divine. je m’égare je crois. je t’ai déjà demandé si tu voulais quelque chose à boire ? »

plus les secondes se dérobent sous la présence de leta plus tu regrettes qu’il ne te faille mourir un jour. chaque minute est comptée pour toi, l’homme qui vieillit plus mal qu’il n’oserait jamais le dire, et tu aurais trop de peine, seulement si tu t’autorisais à y penser, qu’un jour tu ne pourras plus profiter de respirer le même air qu’elle.

mais à peine un son s’émane de ses lèvres que tu roules des yeux. ce que tu voulais partager ce soir n’est plus un dîner romantique mais bien une réunion improvisée avec le comité des infirmières, et tout cela réuni en la seule personne de leta.

tu passes la langue sur tes lèvres, observant devant toi en réalisant que tes plans se désintègrent malgré les efforts mis en œuvre pour être un homme bon.

« bien le bonsoir leta … »

un peu tardif, d’une voix blasée, et à peine véritablement adressé à la concernée. tu rejoins ta cuisine pour lui préparer son café vodka, mordant l’intérieur de ta joue durant le processus avant d’esquisser un sourire. ah, quel bon chien tu ferais si tu étais capable d’être docile pour plus qu’un simple black russian.

tu regagnes la pièce qu’observe méticuleusement leta, déposant son verre directement dans sa main en te délectant à ton tour de ton goût odieusement harmonieux. tu sirotes une première gorgée de ta vodka pure, ton bras effleurant le sien. la proximité que tu désires avec elle te semble être difficile à obtenir et si tu t’amuses de commencer à en faire un petit jeu, tu sais déjà que ça te rendra fou avant que la nuit ne vous dévore.

« moi j’apprécie particulièrement ton assiduité au travail. tu aurais dû venir en blouse blanche. »

tu inspires longuement, soupirant brièvement. tu dois laisser ta susceptibilité de côté un instant si tu veux pouvoir tirer quelque chose de cette rencontre. mais tu ne cesses d’entendre dans ta tête sa voix si délicieuse qui répète agressivement et sans tendresse ton titre de patron alors même qu’entre ces murs tu pensais n’être qu’un alexander anderson séduisant dont les seuls crimes n’étaient que d’être un homme infâme et non pas un odieux directeur.

tu te dis que dans toute cette poésie, au moins, tu as sûrement allumé autant de bougies que de victimes dans ta vie.

« tu aurais pu attendre que nous commencions à dîner avant de m’accuser de crimes dont je n’ai point les sources… mais tu es si intransigeante, leta. tu ne tergiverse pas. qui est donc venu râler dans tes bras ? je serai un homme bon et je m’excuserai solennellement auprès chacune d'entre elles. sauf madeleine. madeleine mérite qu’on lui crie dessus. »

une simple bise tire tes lèvres, tu sauras te satisfaire de cela pour ce soir — et même pour toute la vie. tes yeux abandonnent la beauté de tes tableaux morts, pour observer quelques secondes les marques que la bouche de leta eut offert à son verre. tu te demandes si tu mérites un détour par la salle de bain, pour te réjouir d’être marqué de la même façon mais tu n’as pas vraiment envie de paraître si gamin.

tu t’imagines simplement qu’il existe sur ta joue l'empreinte de ses lèvres tatouée en rouge et tu t’en satisfait ; l’imagination souvent a plus de saveur que la réalité.

« morte, en blouse blanche, dans ma demeure… ça sonne comme un réveillon de noël. »

tu marmonnes, ton verre collé à ta bouche avant d’en boire une gorgée. il ne manquerait plus qu’un gros nœud rouge sur le sommet de sa tête et, ah. leta serait si délicieuse.
tu pourrais tuer pour elle. mais là n’est pas le sujet.

non elle t’a appelé xander et ce petit surnom ridicule à la sonorité horrible donne pourtant un peu de chaleur à ton cœur.

tu te retournes à ton tour, observe la table que tu as soigneusement préparé et serais bien capable d’établir tout un monologue pour te féliciter d’être si exceptionnellement généreux ce soir mais tu mets un point d’honneur à ce qu’elle soit la plus bavarde d’entre vous deux. tu te contentes alors d’aller tirer la chaise sur laquelle tu souhaites qu’elle s’installe, une caresse sur son épaule avant de rejoindre ta place.

« madeleine est bien mignonne mais je m’inquiète sincèrement pour sa dyslexie, je crois qu’elle lit sur mes diplômes que je suis psychologue… »

en témoigne ton bureau si souvent intrusé sans pudeur pour qu’elle y vienne y raconter ses états-d’âmes sans que tu n’ais rien demandé. ta sœur n’est, parmi toutes les autres, probablement pas celle qui te déteste le plus, mais celle qui te considère le moins. tu te penches pour attraper les premiers amuses gueules que tu as confectionné, saumon, fromage et ciboulette.

« tu n’as qu’à planter des sapins. » tu n’as pas la prétention d’être bon jardinier ; ton atout est et restera la chasse. « si nous ne parlons pas du travail nous ne parlerons pas non plus des fleurs. ne souhaites tu pas que je t’apprenne à traquer des bêtes, plutôt ? j’y trouve plus de romantisme et de tension que de… planter des graines. »

installé au fond de ta chaise, face à face avec la femme la plus séduisante de l’île à ton goût, tu la toises du regard, indiquant que ta question n’avait de blague que l’allure et pas le fond.

quel merveilleux évènement ce serait, de la guider dans sa battue, silencieusement vos deux corps presque collés pour mieux observer l’animal de vos désirs et, finalement, cuisiner votre butin pour ensuite le partager entre vous deux…

« j’ai tellement de bonnes idées leta. j’espère juste que tu puisses un jour me considérer autrement que comme ton patron. sauf si ça te plaît. la déontologie n’est pas vraiment ma préoccupation… »

trop sombre est ton amour pour la mort ; et tu ne saurais la rendre aussi séduisante que possible tant tu l’aimes absurde et décadente. le temps s’échappe, drapés des mots de leta, couverts et imperméables à tes désirs — et tes caprices pourraient devenir jaloux. ils finiront eux aussi par te fuir à tes dépends. tout comme l’intérêt que tu portes à ton sang.

dionne n’est plus qu’une traîtresse dans les mémoires des vivants ; mais tu te sais déjà un peu mort depuis la naissance alors tu te souviens, toi, de tout le bien dont elle s’était faîte la mère, et de tous les malheurs qui l’ont conduite au désespoir de ce jour. c’est grâce à cela que tu ne peux être déçu : tu dois déjà lui rendre la dette de tes remerciements. une femme de politique s’en est allée mais ta soeur demeure.

« les ambassadeurs viennent et partent. madeleine joue du violon, ses larmes n’ont pas le goût de la mer… »

oh tu la penses troublée, oui, peut être pour le temps d’une nuit ou de quelques aubes — mais jamais des jours en continu. madeleine incarne l’égocentrisme déguisé ; rien qui puisse effleurer le peu de pitié timide qui loge en ton cœur. tu ne la plains pas, ce serait absurde. personne ne t’a jamais plaint.

tu n’eus le temps d’une gorgée pour faire couler le souvenir de tes sœurs, que tes yeux condamnent la magie de l’invitée. face à toi s’érige la sculpture d’un art dangereux que tu ne savais apprécier sans le craindre. Tu déposes sur la table le verre à peine plein, respectant sa parole telle une prière, que tu répéteras la nuit au coucher si elle te le commande mais dont tu ne peux croire les louanges. existerait-il vraiment une femme significativement plus nocive que ta personne, sur cette île ?

tu crains le sang des hécates ; ils ont l’air d’être étranges, probablement impulsifs. autant que toi.

« regarde moi, leta hansa petrova. » ses menaces sacrées te donnent envie d’implorer les actes : tu veux que l’on te fasse céder à la croyance, tu veux la renommer déesse et en faire ton unique religion.

peut-être voulais-tu simplement cacher tes sentiments épars qui se répandent à la recherche d’un unique et insidieux amour ; peut-être étais-tu sinon à la recherche de toutes les possibilités pour noyer tes doutes dans des convictions trop exigeantes.

tu sais seulement que ce n’est pas leta, en tant que telle. mais ce qu’elle incarne, et le poison qu’elle détient, plus excitant que mortel.

« tu es un être curieux, mais je sais que tu ne me laissera jamais te dépecer. alors montre moi, la profondeur de ton monde. j’ai faim de toi, leta. dans tous les sens du terme ; tu n’imagines même pas. je veux tout savoir, garder ta précieuse existence en mémoire le temps que je peux et prier ta grandeur. » tu déglutis, ouvre tes bras pour mettre à l’honneur la table que tu as préparé pour elle et dont elle utilise les outils pour te menacer. « les couverts t’obéissent, les murs s'imprègnent de ton odeur, et je ne désire que toi. ici tout t’appartiens déjà et tu n’as eu qu’à fouler la pièce. est-ce un peu tôt, pour dire que je t’aime ? »

mais ton amour a-t-il le goût de celui des autres ?

leta ne tombe pas — et tu n’en attendais pas moins d’elle.

elle s’est approprié les lieux, a fait de ta demeure la sienne, tout ici semblait lui appartenir : toi y compris. tu l’observes, les yeux remplis de désir, le cœur un peu à bout de souffle. tu comprends doucement que tu ne décides d’absolument rien. ça te frustre. mais tu gardes ton sang froid. tu n’as pas le choix.

l’atmosphère s'assombrit, la sorcière s’élève. tu déglutis, intérieurement quelques rires qui se chevauchent sans qu’ils ne sachent s’échapper de ta bouche et c’est normal : ils ne sont là que pour se moquer de toi.

prédateur ? tu n’en a jamais eu la dégaine face à elle. un pied sur les lieux et tu étais devenue la proie, sans que tu ne saches ni comment ni pourquoi. tu inspires quand elle se fond derrière toi, soupire un bonheur amer. tu t’apprêtes à tourner la tête pour admirer la noirceur de son âme mais ses doigts contre ta peau — tu frémis.

« je suis vieux, leta. doucement sénile. je t’aime, comme un bouquet de fleurs que l’on offre, je t’aime comme un regard complice, je t’aime comme un instant éphémère qui s'effrite pour renaître souvenir. »

ta tête se penche vers la sienne, tu sembles vouloir lui rendre son étreinte sans vraiment oser bouger. les yeux clos, ta poitrine s’élève, tes poumons se gorgent de sa délicieuse odeur, quand tes lèvres elles cherchent à déposer de tendre baiser sur une leta sensuelle et mortelle.

« offre moi une nuit que je puisse te tenir entre mes mains et découvrir chaque centimètre carré de ton corps ; et je ferai en sorte de mourir dans tes bras pour que tu explores le démon que je garde en moi. »

tu gagnes en courage, ivre d’elle. son audace t’enchante, tu ignores si tu seras récompensé pour ton audace oh et puis, qu’importe. si tu dois mourir tu viens de lui promettre que ce serait par ses mains.

tu te lèves, lent, concentré pour ne pas t’éloigner d’elle alors que tu te retournes pour lui tenir tête. la brutalité qui te régit brûle en toi, tu rêves de manifester toute sa fougue, mais leta par sa présence te conditionne à n’être qu’un clébard dont la queue se remue sans que la gueule ne puisse aboyer. tu effleure le contour de son visage sans la toucher. dieu jamais ne se laisse tenir par un homme.

ta voix est basse, suave ; elle implore même. tes yeux plissés attendent un baiser pour se fermer, sinon un ordre pour s’ouvrir. tu n’as plus simplement faim alexander, tu es affamé.

« dis moi si je dois t’embrasser ou si je dois aller chercher le repas. »

les lèvres courbées remercient les cieux car tu as obtenu la consolation que tu espérais, simplement en la priant elle — preuve qu’elle était bien une déesse.

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elle se regarde et toi dans la pénombre tu ne remarques pas ton état. la peau est plus ridée, humide. tu as quelques cheveux blancs dans ta crinière en bataille ; que tu coiffes sans effort en lissant des mèches entre tes doigts, vers l’arrière. presque tout vous oppose à cet instant, car tu n’avais plus d’artifice et elle n’en avait jamais eu besoin.

quand elle te quémande à rejoindre la table tu te lèves, enfile le bas de pyjama qui ne traînait jamais loin de ton pageot et le t-shirt qui accompagne. elle avait annoncé quatre heures et tu avais vérifié ta montre — quatre heures, en effet. tu la suis, observant le repas s’inviter sous ses ordres aussi ; ainsi dirigeait-elle ta maison. tu parais amusé, t’assois à côté d’elle.

« un dîner à quatre heure et sa conversation de travail ; tout à fait adéquat. »

saisissant ta fourchette tu picores comme elle le fait, délaissant le romantisme que tu t’étais fatigué à déguiser pour que ne résiste que la simplicité de deux âmes qui pinaillent. tu hausses un sourcil en l’écoutant, termine ce que tu mâches avant de lui répondre, sans pincette.

« outre le fait que tu me demandes une promotion après que nous ayons couché ensemble, je suis d’autant plus surpris que tu la réclames en annonçant que mon hôpital n’a jamais été — et ne sera jamais ta maison. dois-je nommer à la tête du service une fille d’hécate qui n’attend que l’opportunité de diriger mieux, plus, et ailleurs ? »

tu aimerais faire honneur à l'art de la comédie, mais fatigué et dominé par le calme de vos échanges, tu ne parviens qu’à partager un rire succinct, comme traîné dans son soupire. ton sourire, toutefois, demeure aussi longtemps qu’il le pouvait.

« j’y réfléchirai. laisse moi jusqu’à vendredi. »

tu te lèves, une dernière bouchée avant de quitter la table pour récupérer dans ton sac en cuir le carnet qui s’avère être un agenda. tu y notes avec le stylo qui y reste en permanence accolé, le nom de leta et les fonctions visées à la date de vendredi. tu connais les défaillances de ta mémoire et les sévices dont elle se prétendait capable ; autant ne pas se risquer à un oubli. tu la retrouves juste après.

« je comprends mieux pourquoi c’est à toi que les infirmières viennent se plaindre… tu t’es déjà érigée leader. félicitations, c’était discret. alors. c’est pour le titre, le pouvoir, ou le salaire ? »

tu te permets de boire dans l’unique verre qu’elle avait rempli d’eau ; comme un bon ami ; mime ton visage espiègle et mature.