C'est étrange, ce besoin irrépressible de silence. Tu avais fui la civilisation des grands quartiers de Nausikaa pour te réfugier aux abords des eaux troubles de la forêt. Tu avais pris également le soin de couper ton rainphone (offert récemment par Bellamy) avec l'envie égoïste de t'éloigner un peu de lui. Tu crois que tu l'aimes , Bellamy, mais tu as encore besoin d'exister librement - sans être parasité constamment par l'inquiétude envahissante de ses démons persistants. Ce n'est pas ton combat.

((Non, il est tout autre))

Tu rejoins après plus d'une heure de marche la crique. Tu te souviens des pique-niques de l'autre côté de la rive avec tes amis, à l'époque bénie où vous étiez encore insouciants - où la colonie vous faisait croire que vous serez toujours en sécurité, en vous entrainant. Tu as séché les cours de combat pour apprendre l'anglais et perfectionner ta vitesse. Tu as privilégié la ruse à la force. Aujourd'hui, tu restes persuadé que ni l'une ni l'autre ne peut vous sauver.

Ah !

Le trouble des légères vaguelette censure un peu sa vertu mais la clarté de l'eau la dévoile d'une autre manière. Diane de Landrey est nue, à quelques mètres devant toi. Tu détournes le regard en fronçant les sourcils.

Bah ! Fais quoi là ?

Tu pensais (espérais) être seul pour réfléchir - peut-être même pour lire. Dans ta banane nike offerte par Pascal est rangé le dernier tome du manga tendance que tu lis en ce moment.

Hm... Rhabille-toi.

Vu que tu tutoies Bellamy depuis peu, tu décides qu'il est naturel de le faire avec elle.
Tu persistes à croire que c'est bizarre de partager le même mec. À la guerre comme à la guerre, au moins vous avez fait la paix.

Réfléchir, qu'elle dit. Tu hoches la tête pour lui faire comprendre que c'est la même chose pour toi. Tu te perds un moment à observer les bulles d'écume s'écrasant contre la rive. Elle nage jusqu'à celle-ci pour s'y accouder et tu hésites - à partir et prendre la fuite. Malgré ta quête d'honneur, c'est le flegme qui te fait rester. Tu décides de prendre tes aises, avec le même confort qui t'a valu de lui piquer son mec. Tu t'assois en tailleur devant elle.

Quoi...? Ah.

Évidemment qu'elle est au courant. Tu ne penses pas qu'elle en a déduit juste à ta manière de parler. Elle force pour garder une distance face à ta familiarité mais tu insistes - ce n'est plus une inconnue à tes yeux ; tu ne la respectes pas assez pour perdre ce naturel nouvellement acquis.

Sais pas. Je te connais maintenant.

Tu étires un sourire amusé. Elle est bonne ; elle parle de l'eau. Tu hausses les épaules.

Qui ça ?

Tu ne lui feras pas l'honneur de te baigner avec elle. Pas alors que juste imaginer dans ta tête les courbes dénudées qu'elle ne prend pas la peine de cacher te met déjà dans tout tes états. Mais tu ne le montres pas.

Petite-amie de Bellamy. Respect des limites.

Elle a l'air surprise que tu parles de limites. Tu hausses un sourcil, la jauges en silence. Elle ne t'offense pas mais tu crains de tout ce que tu pourrais dire. Un malaise s'installe malgré elle, malgré toi, malgré vous. Tu voudrais disparaitre, trouver le courage que tu as pourtant habituellement pour te lever et tourner les talons. Tu aimerais avoir la détermination nécessaire pour bâtir des fondations solides à votre relation - respect mutuel et partage. La bonne blague.

Soudain, un toboggan de glace se forme sous tes fesses, suffisamment penché pour te faire glisser dans le lac. Tu retiens ta respiration et immerge. Sous l'eau, tu ouvres les yeux et craches de l'air, s'échappant sous forme d'immenses bulles, à la vue limpide de sa nudité, parfaitement discernable dans la lavure claire.

Aah !

Tu remontes à la surface et la toises, interloqué d'un tel geste.

Mais ... ?

Tu ne comprends pas et ne cherches pas à comprendre. Diane s'excuse mais le mal est déjà fait. Que va penser Bellamy s'il vous voyait ? Serait-il jaloux ?

Oh.
Tu appréhendes avec plus de lucidité tes émotions. Elles vacillent, tremblent comme la surface du lac qui vous découvre.

Idiote.

Voilà ce qu'elle est. C'est plus simple de l'insulter. Ça te permet de rejeter sur elle la faute suprême - celle où tu te permet de la trouver belle. Elle est à l'image des nymphes et des sirènes, qui se prélassent sur les rochers pour séduire et attirer les matelots à céder sous leurs vices.

Tu pourrais bien ;
((céder))

Ça ne te dérange pas ?

Tout ça ; de partager l'être aimé, de le voir s'abandonner à d'autres bras sans pouvoir s'y opposer. De le voir comblé d'une autre manière - d'une manière qu'elle ne saurait jamais faire.

Parce que toi ça t'énerve !
Tu voudrais lui rendre la pareille.

Pendant un instant Leslie tu te demandes si tu es juste con ou si c'est juste qu'elle te prend pour un. Tu forces tes yeux à rester droit, fixes sur son visage et pas plus bas. C'est difficile - parce que ton attention diverge facilement et pas du tout parce que tu es pervers ou trop curieux. Ok peut-être un peu des deux. Tu souffles par la bouche et tentes de poser tes pieds sur le sol vaseux. C'est trop profond ! Pourtant vous êtes bien près du bord ? Tu es ridiculement petit Leslie.

Prend pas pour un idiot !

Tu te mords la langue à t'énerver.

Tu es NUE !

Qu'est-ce qu'il y a de difficile à comprendre dans ta gêne ? Elle ne se baigne pas nue avec des inconnus. Si c'est le cas, tu ferais mieux d'avertir Bellamy. Sa copine est de petite vertu.

Tss, partage...

La conversation ne s'est pas déviée pour autant. Le partage... ça a une drôle de connotation maintenant que l'ambiance est gênante. Tu penses au partage et au fait que Bellamy accepte d'être tiraillé de tous les côtés. Mais qu'en est-il de vous ? Accepterait-il que vous alliez voir ailleurs, pour lui faire payer cette situation ? Et si ce n'était pas le cas, sa possessivité serait-elle déplacée ?

((Personne ne te garde prisonnier))

À sa question débile ; es-tu heureux ? tu te retiens de lever les yeux au ciel. Tu n'arrives même pas à être aigri - mais l'expression neutre et éteinte de ton visage te trahit.

Ouai.

Tu pousses sur le bord légèrement pour te projeter vers elle. A quelques centimètres, vos souffles se mélange.

Et toi ? On te partage aussi ?

Tu la provoques mais elle ne répond pas. Elle préfère hocher la tête et confirmer tes dires dans les remettre en question. Certains pourraient croire qu'elle a cessé de se battre mais ils auraient tout faux. C'est justement parce qu'elle laisse en vu tes provocations qu'elle les bat à plate couture. Si tu le sais c'est parce que jusqu'à aujourd'hui c'était toi l'expert de cette technique. Tu lui aurais tout appris si elle t'avait laissé du temps.

((Malheureusement l'amour n'attend pas et Bellamy non plus))

Tu les envies tous les deux. Libres et amoureux. Exempts d'insécurités. Ils ont l'air d'adultes confirmés quand toi tu es encore en période d'essai. La vie est compliqué.

On s'en fout d'Icare.

C'est balancé comme une vérité crue dénué d'agressivité. Tu arques un sourcil et t'approches d'elle, lentement ... sûrement. Les petites gouttelettes d'eau qui pleuvent de ses mèches blondes t'obsèdent. Tu veux découvrir le goût de ses lèvres - surement salée par l'été.

Une fois que vos souffles se mêlent tu la défies de te repousser - demandes silencieux une autorisation chaste et funeste ; qui si acceptée vous emportera tous les deux dans le tourbillon de la culpabilité.

L'eau était calme ce jour là.
Et votre baiser mouillé.

Vos lèvres se séparent, forcées de l'être par le mouvement violent de l'eau. C'est comme si elle portait dans ses vagues les fluctuations de l'âme de Diane. Tu le ressens comme ça, alors que ton dos heurte doucement le rebord. Les vêtements trempés pèsent lourd et un poids invisible s'abat soudainement sur tes épaules.

Tu as dépassé les limites, Leslie.
Tes joues se colorent de rouge et te vient l'envie soudaine de couler. Tu détournes le regard. Tes lèvres tremblent - tu voudrais formuler des excuses désolées, mais eh, tu ne le penserais pas. Tu préfères baisser finalement les yeux vers l'eau de moins en moins claire et fixes le relief flou de son épiderme mis à nu.

Finalement, la fuite est organisée. Submergé par les émotions, tu plonges la tête sous l'eau pour t'immerger.

Disparaitre dans le silence et la vacuité.

Sous l'eau, le calme apaise les angoisses latentes. Tu fermes les yeux, t'imprègnes de l'environnement et des berceuses de l'eau - l'ondulation des vagues créées à la surface agite le haut de ton corps. Tu rouvres un oeil, les joues gonflées d'air à en suffoquer. Face à toi dans le clair obscur de la nappe, le visage lisse de Diane apparait et ses lèvres t'enjoignent à remonter à la surface.

Tu ne luttes pas plus longtemps, déjà à manque de souffle. Une fois à l'air libre, tu ouvres la bouche pour remplir tes poumons et les libérer de la brûlure que l'absence d'oxygène avait commencé à provoquer. Tu toussotes et rampes vers le rebord, que tu commences à escalader, trempé.

Je pense que ni toi ni moi n’avons besoin de ça. Tu serres les dents et remontes sur la terre ferme. Tu ne penses plus rien du tout, tu as les neurones grillés par la honte et tu préfères oublier.

La peur au ventre qu'elle en parle à Bellamy -
qu'elle ose seulement et tu lui diras qu'elle l'a partagé.
((à défaut d'avoir initié)

Je rentre.

Pour seule réponse, vexé.