Il était resté à l'hôpital quelques jours, lorsqu'il était revenu à la vie. Il avait reçu beaucoup de visites, parfois même de certains fantômes, des personnes qu'il ne pensait plus revoir. Mais, contrairement à la dernière fois où un monstre l'avait laissé pour mort, il ne s'était pas éternisé dans sa chambre. David lui avait appris que l'Aigle avait été capturé. Il aurait voulu croire que sa mort avait été héroïque, mais sans doute pas. Les mots de son père résonnaient encore dans son esprit, bien qu'il se garda de les dire à ses adelphes.

Mais Darryn avait demandé à "visiter" l'Aigle. On lui avait rapporté que son nom semblait parfois survenir dans les illusions délirantes du monstre. Il se refusait de l'appeler par son nom, de l'humaniser. Il n'y avait plus rien d'humain dans les entrailles de la bête, et tous ceux qui ont été témoin de sa mort la saurait désormais.

Alors il s'avança, droit comme un piquet. Il voulait qu'elle voit qu'il avait survécu. Que sa détresse grandisse dans l'attente de savoir ce qu'il ferait d'elle.
Il regardait l'Aigle, dans sa cage, et sous cette forme, il lui paraissait bien risible qu'il ait pu mourrir entre ses griffes.

Il écoute à peine les mots mièvres du monstre, ne sait pas ce qu'elle s'était imaginée dans son esprit alors que leur seule interaction avait été le jour où il est mort. Alors il l'ignore, pour dire ce qu'il avait à dire.

« Mon père insinue que c'est de notre faute si tu es ainsi. Que cette folie est due au fait que nous te maltraitions. »

Bien qu'encore une fois, lui-même n'avait jamais vu l'Aigle de sa vie auparavant. Et David semblait insinuer qu'il l'avait bien traité. Zeus était sans doute bien plus en tort dans cette affaire qu'il ne voulait bien le dire — mais après tout, quand est-ce qu'il ne mentait pas ?

« Est-vrai, Aigle ? Dis-moi donc. Parle, tant que je t'écoute. Ce sera peut-être la dernière fois. »

C'est tout ce qu'il souhaitait.

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Il y a des éclairs de lucidité, dans ce qu'elle dit. Darryn s'accroche à ce qu'il peut démêler du vrai et du fiévreux, parce que ça n'était que ces bouts d'informations qui l'intéressaient. Au moins semblait-elle comprendre qu'elle avait fauté, au moins elle ne niait pas qu'elle n'était pas innocente.
Et contrairement à ce qu'elle croit, Darryn n'était pas là pour la punir.
Son sort reviendrait à David et à lui seul, et Darryn jugeait que ce serait bien plus la punition de son frère que celle de l'Aigle.
Il lui aurait dit, yeux dans les yeux, s'il allait rester aussi clément face au monstre qui avait tué son propre adelphe.

Et il entend, les excuses de l'Aigle, mais ne semble pas y réagir. Face à ses sautes d'humeur, il juge que le mieux à faire était de rester neutre. Il écoutait, mais tirait les filaments qui l'intéressaient et pesaient avec soin ce qu'il allait dire. Il ne voulait rien laisser à l'interprétation. Si le monstre allait vivre éternellement, il voulait qu'elle retienne ce qu'il aurait à dire, malgré les tempêtes de son mental ravagé par les maux et le temps.

« Je ne suis pas mon père. Pas que tu veuilles être associée à lui. Tu ne l'es plus, ou tu lui obéirais. »

L'Aigle était l'exception qui confirmait la règle, la tâche noire indélébile qui désacralisait le blanc du domaine de Zeus.

« Et tu n'es pas mienne. Ou tu m'obéirais. »

Alors soit, qu'elle ne soit ni Ange, ni Aigle.
Au plus simple de sa forme, elle restait un monstre.

« David voulait te croire. David te voulait sienne. Mais tu l'as trahie. Pourquoi ? Qu'est-ce que tu cherchais à faire, ce jour-là ? »

Ils s'étaient organisés entre eux, les monstres. Qui sait comment ils procédaient à l'abri des yeux indiscrets.

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Elle croit l'atteindre quand elle parle de Zeus, mais Darryn sait depuis bien longtemps qu'il ne devait rien attendre de sa part. Il ne faisait que jouer la comédie et faisait les courbettes pour qu'on le laisse en paix et qu'il profite comme il le voulait bien de son statut. Il sait aussi que Zeus ne réfléchissait absolument pas quant il s'agissait de faire des enfants, l'Histoire s'en serait bien mieux portée si ça avait été le cas.

Il ne se tend pas, et si son apathie faisait croire à la créature qu'elle l'avait atteint, grand bien lui fasse. Il lui semblait en tout cas, qu'elle semblait cohérente cette fois-ci. Peut-être que parler de David amenait suffisamment de bon sens et de rancoeur pour qu'il y ait un fil rouge dans ses paroles.

« Ne compare pas ta famille et la mienne.  »

Il n'y avait pas comparaison à faire. Ses adelphes n'étaient peut-être pas tous parfaits, mais au moins ils étaient venu le voir, sans exception. De la famille de l'Aigle, il n'avait jamais connu qu'Echidna, et il se demandait si ce n'était pas aussi ça qui avait envoyé le monstre à ses trousses.

« Je n'ai pas vu Echidna participer. Elle t'a envoyé toi et tes frères à la boucherie ? Tu n'en n'as pas marre d'encore finir ici ? »

Il n'aime pas, quand il voit qu'elle utilise les éclairs, ses éclairs, et pour une fois, il montre signe d'agacement, ses sourcils se froncent.
Mais il n'est pas là pour la punir, il n'est pas là pour hurler.
Il veut des réponses.

« Quels ordres t'a-t-il donné, David ? »

Avait-il hurlé quelque chose ? Il ne le savait pas. Au milieu des flammes et du vent, il avait été bien incapable d'entendre quoique ce soit.

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Douter de son frère, il le faisait depuis qu'il savait que David avait décidé d'épargner l'Aigle. Il ne savait toujours pas ce que David avait à l'esprit en essayant d'apprivoiser un monstre, mais il porterait à jamais la croix de ses péchés. Il aurait sa mort sur la conscience, et ça n'était pas un poids qu'il pourrait soulager.

Et Darryn sait aussi, que l'Aigle va mourir ici.
Il la regarde, osciller à nouveau entre folie et moquerie.
Il se remémore à nouveau sa conversation avec Zeus, et, peut-être insconsciemment, prend la même posture que lui. Le dos droit, les mains derrière le dos.
Mais lui s'avance vers l'Aigle.  

« Ange. »

Puisqu'elle voulait tant qu'il l'appelle ainsi.
Puisque c'était sa "dernière" volonté.

« Je te pardonne. Même si tu n'as que faire de mon pardon. »

Il se résigne, à l'appeler par son prénom.
Il a pris sa décision, il saurait quoi faire.

« Es-tu mienne maintenant ? Dans ce cas, écoute-moi. Je te vois être en peine. Je te vois souffrir. Je vois ce qu'il te reste d'esprit périr un peu plus. Et tu sais ce que je ferai, à mon animal, s'il souffrait comme toi ? J'abrégerai ses souffrances. »

Il n'avait pas d'armes.
Il n'avait que sa force, que ses éclairs.
Mais il n'userait d'aucun des deux sur Ange aujourd'hui.

« Tu mourras ici, Ange, mais tu reviendras. Encore plus folle. Encore plus malheureuse. Mais moi, je trouverai un moyen d'abréger tes souffrances. Je trouverai le moyen de te tuer définitivement. C'est une promesse. Et enfin, Aigle du Caucase, tu seras libre. Plus jamais en cage. Plus jamais à obéir à qui que ce soit. »

Et ainsi, l'ordre serait rétabli.
Zeus a dit que c'était de leur faute si l'Aigle était fou.
Alors c'était sa responsabilité d'en finir.
Il se retourne, et s'en va, sans un regard en arrière.

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