Le fait qu'il parle de surprise attire ton intérêt et attise ta curiosité. Tu enlèves un airpod d'une de tes oreilles pour l'écouter, l'attention détournée de tes mails et de tes dossiers. Le coeur léger, tu cultives un espoir naïf et presque innocent. Tu ne sais pas ce qui t'attend. Midas le sait, lui, et arbore une mine radieuse et enjouée. Ça t'encourage à lui sourire en retour, plus timidement.

Une surprise de ta part ? Surprenant mais ok je vais jouer le jeu...

Vos deux derniers mois ensemble avaient été odieux, terribles - la cohabitation fut rendue insupportable. Tout s'était finalement arrêté net avec le festival. Simca t'avait fait jurer sa tête, mais tu avais préféré mettre de la distance avec ta soeur pour cultiver ta lâcheté. Une fois rentré, tu n'avais pas réussi à te résoudre à tuer Midas (du moins à essayer et sûrement mourir à sa place) - non, tu l'avais laissé te séduire comme au premier jour. Coucher avec lui malgré ses blessures avait certainement été la punition la plus absurde et stupide que tu aurais pu imaginer.

C'est quoi ? Mon film préféré piraté ?

L'ironie est involontaire : Midas ne connait pas ton film préféré. Il n'empêche qu'il sait graver un DVD et l'exploit s'avère presque inquiétant.

Tu regardes.
Durant les premières secondes du film, tu mets un temps à reconnaitre les murs de votre appartement - à comprendre que c'est toi et lui que vous voyez à l'écran.

Tu ouvres la bouche sans rien dire. Fronces les sourcils. Écarquilles les yeux.

Mais...

Tu déglutis, ravales ta salive - bloqué dans un entredeux d'émotions contradictoires : brusqué, abasourdi, dégouté.

Tu... nous as filmé...? Pendant qu'on le faisait ?

Qui d'autre qu'un esprit pervers et dérangé pouvait penser à faire un truc pareil ? Tu lui jettes un regard affolé.

Et sans me prévenir ? Mais Midas tu es... !

Le mot qui te vient à l'esprit est davantage une insulte portée aux vrais fous qu'à Midas.

J'ai même pas les mots...

Tu n'as jamais perçu Midas comme un roi de la manipulation - il a toujours été cruel dans l'honnêteté. Ce n'est que depuis que vous êtes mariés qu'il s'est révélé perfide et calculateur. La première bavure avait été de fouiller ton ordinateur ; la deuxième et tu ne lui avais toujours pas pardonné pour ça, avait été de repeindre l'entièreté des murs de l'appartement avec de la peinture au bronze céleste, t'enfermant ici en dépit de son absence la plupart du temps ; et pour achever ce podium de la honte, il avait songé à planquer une caméra dans un placard pour vous filmer.

Et il avait gagné aisément sur un point : il allait tellement loin que la sidération t'empêchait de péter un câble. Tu subissais parce que c'était plus vivable ainsi - ne rien dire, ne pas le contrarier et te convaincre qu'il faisait tout ça par amour, un amour bien à lui qu'il était parfois difficile d'appréhender pour les autres mortels.

Là était son véritable coup de maitre - te faire croire que tu étais le seul responsable, à te plaindre de ses tendresses.

Euh- Je...

Sous la pression de la question ça ne te plait pas ? ; tu fronces les sourcils, gêné de devoir te faire face à l'écran.

Tu aurais pu m'en parler, me demander si ça ne me gênait pas...

Mais malgré les reproches murmurés comme des blessures, c'est impossible de ne pas les panser presque immédiatement avec ses caresses. Elles sont aussi douces qu'elles sont acérées - tu te laisses manipuler pour t'assoir sur ses larges cuisses, le visage face à l'écran.

Non, je ne veux pas regarder...

Mais l'ordre, susurré comme du miel, suffit à te forcer à te l'infliger - cette vue pathétique. C'est dur d'affronter ses propres faiblesses. Ce que tu retiens du visionnage, ce sont tes gémissements ridicules et ta façon de minauder, insupportable, quand il t'écrase déjà bien assez. On dirait que tu aimes ça et que tu en redemandes.

Ton torse brûle déjà et les doigts de Midas sous ton t-shirt peuvent sentir le brasier leur grignoter la peau.

Tu refuses d'avouer à voix haute que tu es beau ; peut-être que tu l'es dans son imaginaire mais la vérité se trouve dans tes complexes. Tu te trouves raide, mince, fade, et la peau pâle n'arrange rien, quand lui tient de la peau bronzée d'Arès.

Une fois. C'est déjà une fois de trop. Qui d'autre a vu ça ?

Le bruit des claquements de ses hanches sur tes fesses apporte à la discussion sérieuse un air de blague, de farce salace qui ne fait rire que lui. Tu es effaré, mais bien trop suffoquant pour masquer ton excitation.

À mesure qu'il parle, tu sens que l'air refuse de faire le passage habituel entre ta gorge et tes poumons. Tu respires par intermittence, quand ton corps cède sous le manque d'oxygène. Ton corps tout entier se contracte, brûle de l'intérieur et ton esprit divague pour penser à autre chose. Tes yeux, eux, ne se détournent pas un seul instant de l'écran. Tu dissocies, geins, pleures silencieusement - on ne saurait dire si c'est de tristesse ou juste un besoin viscéral d'évacuer un trop-plein.

Aah- Ah ouai ?

Beaucoup de gens ? Qui ça ? Midas te ramène dans le présent. Tu te sens bête. Peut-être que tu devrais juste accepter - si tout le monde le fait ; si c'est normal pour un couple d'aimer se regarder. Tu ne veux plus te disputer.

Tu sentais... qu'il y avait une flamme... à entretenir ?

Si les mots sont difficiles à sortir, c'est parce que la bouche est occupée à autre chose, à avaler de l'air et à le recracher pour ne pas t'effondrer sur lui.

Et toi... ça t'excite... de te voir là ?

Ce qui te plait sur le moment, ce n'est pas de vous voir, de vous entendre - non c'est trop gênant. Tu préfères quand il te force à regarder. Et que ça soit ça - qui l'excite en vrai.

Ça ne te suffit pas... d'habitude...?

Insatiable. Il l'est. Et toi tu as tes limites Ezra ; pourtant ça n'empêche pas Midas de puiser dedans inlassablement, de les dépasser avidement, jusqu'à t'étouffer de ses grandes mains puissantes et contrôlantes, jusqu'à te voler ton dernier souffle de vie. Tu te laisses faire Ezra, déjà mort né.

Ses baisers t'encouragent à gémir, ses caresses à plier. Tu frissonnes à chaque murmure endiablé qu'il susurre à ton oreille, à chaque geignement de plaisir étouffé que tu entends dans la télé.

Baisse le son !

Ses doigts à ton menton captivent ton attention. Tu écarquilles les yeux et bois ses paroles.

Il pourrait tomber amoureux de toi quand tu es comme ça ;
ton coeur se ratatine sur lui-même. Toi qui l'aime depuis des années, c'est une offense. Tu choisis de secouer la tête pour te dégager, humilié dans ton intégrité.

Arrête.

Et pourtant tu plonges, tu en redemandes. Tu préfères les tendresses aux disputes blessantes et épuisantes. Tu cherches ses lèvres et grimpes sur lui, l'enfonces dans le canapé pour reprendre un ascendant trop longtemps volé. À califourchon sur son bassin, tu ondules le tien et mordilles sa mâchoire.

Éteins et je ferai... tout ce que tu voudras cette fois...

Non, ça te met définitivement trop mal à l'aise.

Ezra n'avait jamais réellement conscientisé ce qu'il voulait vraiment ; il se contentait la plupart du temps de s'accomoder aux envies des autres, à se contenter de ce qu'il avait de ce qu'on voulait bien lui accorder. C'était comme ça avec Midas. Il le désirait depuis si longtemps qu'il en avait oublié l'effet que ça faisait - d'espérer que ça soit réciproque.

Lorsqu'il le chevauchait, c'était avec la candeur des innocents et la subtilité des mignons, loyaux à leurs maîtres. Ezra était résigné, mais sa brutale et récente prise de conscience sur les abus dont Midas se faisait expert, lui suggéra de s'imposer un peu plus.

Je t'adore quand tu n'es pas le dernier des connards.

Il l'adorait quand ils regardaient tranquillement la télévision, couchés l'un contre l'autre.
Il l'adorait les rares fois où il était prevenant, généreux dans ses petites attentions.
Il l'adorait du soir au matin, et quand il l'abandonnait et l'enfermait seul entre ces murs a l'aspect de barreaux - il le détestait de nouveau.

Midas...

Il glissa ses mains derrière sa tête, caressant l'arrière de sa nuque. Plongea à ses lèvres et l'embrassa. Midas avait enfin éteint. Il allait pouvoir rendre les baisers et les soupirs plus réels.