a

h !
que c’est beau
que c’est injuste
tu te sais encerclé et pourtant vainqueur
tu te sais mort cent fois et toujours revenu
celle dans tes bras
celle dans tes bras
celle dans mes bras
(c’était tout à l’heure)
elle ne reviendra pas.

ça n’est pas le premier sang
ce sang qui coule de sa nuque de ses angles abrupts et innaturels
(elle ressemble à ces arbres qui prennent des poses impossibles après avoir été frappés par la foudre, c’est seulement dans ces cas-là qu’ils sont excusés de ne pas se tenir comme des arbres, et c’est seulement dans ce cas-là qu’elle est excusée de ne pas se tenir comme une chasseresse)
ça n’est pas le premier sang mais c’est le dernier sang d’un premier temps
son sang coule sur tes mains
comment oses-tu avoir des mains
son sang coule sur tes mains
comment oses-tu prendre son sang c’est moi c’est moi qui devrait le sentir couler et refroidir et sécher
sur ma peau ma peau pas la tienne qui n’est qu’écailles en illusion

c’est le dernier sang d’un premier temps
on trouve toutes notre second souffle
je dis toutes mais nous ne sommes plus tant que ça
je ne veux pas dire que tu as tant saigné nos rangs
je vais dire que nous étions loin d’être toutes là aujourd’hui pour toi

« toi, toi »

je n’aime pas comment ta voix sonne comme un éboulis venu du fond des âges, un monde s’écroule au loin
je n’aime pas comment ta voix sonne et fait le silence autour de toi de moi de nous, un corps s’écroule tout proche

« je danserai sur ton corps »

et je pleurerai sur le sien

je bande à nouveau mon arc, mon bras me fait mal (et quand mon poing serré s’arrête tout près de ma joue une goutte salée s’y écrase)

« je vais te tuer et je crèverai de danser ta mort, j'en crèverai mais tu ne gagneras pas pour autant »

elle tombe tu laisses tomber son corps se répandre en peau flasque et blafarde et en angles étranges
ça n’est pas comme ça qu’on enterre quelqu’un ça n’est pas comme ça que meure une chasseresse ça n’est pas comme ça que meure une étoile
une étoile tu viens de tuer une étoile toi qui pourrais toutes les gober
pourquoi a-t-il fallu que ce soit une de mon ciel ?

« pourquoi tu fais ça ? »

je pleure
je vois flou alors que je bande mon arc
je n’arrive pas à viser
à tirer
à me décider
avant que tu ne te transformes

tu écrases
l’étoile
sous ton poids.
peut-être est-elle un peu plus enterrée ainsi, plus près des enfers, plus près des champs de fleurs des champs de sœurs
je repense à ce que j’ai pensé tout à l’heure c’est idiot
toutes les étoiles sont celles de mon ciel
si ça n’avait pas été elle
ç’aurait été une autre
j’aurais
pleuré
dans tous les cas
et j’aurais dû
me battre
dans tous les cas

« tu dis n’importe quoi »

c’est idiot de penser que j’aimais plus celle-ci qu’une autre qui aurait pu être une inconnue que j’aurais tout autant aimée
comme je pourrais m’emparer d’une de tes têtes comme d’une autre ça ne ferait pas de différence, qu’elle soit plus ou moins jolie plus ou moins méchante plus ou moins meurtrière
cela reste
ce qui est toi
ce qui est mien.

je crie
un cri de guerre un cri vainqueur déjà
(je mourrai ou je vaincrai)
un cri de cheffe
c’est moi qui vais mener la meute
un cri venu du fond du corps des os un cri fait entre des chairs compressées condensées
une supernova

je m’élance vers toi enfin je me rapproche je prends en cible
une
une tête
je l’aurai

« je t’aurai et tu n’auras rien d’autre, toi ! »

je décoche ma flèche je rate mon coup
cela doit aller se planter dans un de tes cous déjà décapités (qui a osé ?!)

je trébuche je me râpe les coudes le menton et je me relève
il faut se relever
je contourne ton corps en courant comme le vent
ton corps on dit un dragon je vois un volcan couleur cendre et lave
couleur colère de la terre
couleur châtiment immémorial
couleur tartare
où je te poursuivrais, s’il te venait l’envie d’aller y faire un tour

« tu me vois, Ladon ? suis-moi, suis-moi, je suis là »

il me faut
dégager ton attention de mes soeurs
il me faut
t’éloigner d’elles car c’est moi qui te tuerai
je t’en prie regarde-moi
regarde-moi
regarde-moi !!!

« regarde-moi ! »