1596 les néerlandais arrivent sur l'île de java (indonésie), désireux d'y établir des comptoirs et d'y développer le commerce du poivre ; hermès, dieu dédié, vient sur place observer les discussions. finalement, les néerlandais repartent bredouilles, mais hermès étend quelque peu son séjour, s'étant pris d'affection pour une femme très belle, aux cheveux très noirs.

1597 leur fille naît : elle s'appelle dow lintang, elle s'appellera toujours ainsi. dow, c'est un don de papa, à cause de ses beaux cheveux, et lintang, c'est un don de maman, car elle a la prescience que sa fille sera une étoile. en quelque sorte, c'est vrai.
à java comme dans la chasse plus tard, on se passe de nom de famille et c'est très bien.

enfance il y a les gibbons dans les arbres et les oiseaux de paradis dans les airs, maman, et papa parfois. le monde est beau et odorant.

adolescence on est pas sérieux quand on a dix-sept ans, c'est ce qu'on dit, alors à quatorze ans... quatorze ans, c'est l'âge des courses effrénées dans la forêt et des flèches qu'on décoche comme des rires, on dit je ne me marierai pas ! et papa, montre-toi, viens me voir !
alors pour que papa se montre, on veut le rendre fier, on veut se faire l'écho de ses exploits passés et toujours actuels : on décoche une flèche sur un paon innocent, innocent car il est mort, et on lève sa dépouille vers le ciel d'un poing vengeur, on crie : papa a tué argos, et j'ai tué le paon !

évidemment, en faisant ainsi, on irrite héra. furieuse de la mort de son animal, elle pointe d'un doigt sans merci l'enfant railleuse, et annonce la sentence : maudite tu seras. tu aimes donc la chasse ? jamais tu ne pourras blesser à nouveau, animal comme homme, sans ressentir toi-même la douleur que tu infliges ; et si tu viens à tuer, comme morte tu tomberas, souffrante et délirante des jours durant.

ayant entendu tout cela, hermès vint enfin réconforter son enfant, tout en la remerciant pour son hommage. amusé par l'enfant, désolé de la savoir promise à un mariage trop rapide ou bien à la religion, il raconte les mésaventures de sa fille préférée à artémis, lui enjoint de la rencontrer. finalement, artémis l'accepte dans la chasse, et dow lintang quitte java, sa mère, la forêt, les oiseaux de paradis. le monde est ailleurs, et elle ne pleure pas trop.

entrée dans chasse on part, loin. on marche, on court, on se tait : on apprend les ficelles du métier. c'est rude, mais c'est beau. on apprend l'amour dans les coups que l'on donne, dans ceux que l'on reçoit : on apprend l'amour en silence, dans la compétition et l'admiration mutuelle. on fait d'abord dow lintang traqueuse, éclaireuse, avec une pitié un peu mièvre pour sa malédiction. elle veut pourtant être chasseresse, non, elle l'est déjà, alors elle veut être tueuse, quitte à mordre la poussière, quitte à se tordre de douleur, quitte à en crever, elle vivra, et vivre, c'est voir la mort de l'autre.

elle voit beaucoup la mort des autres, les autres qui sont en-dehors (les monstres, les hommes, les empires), les autres qui sont en-dedans (les chasseresses, les étoiles, les fleurs d'hibiscus). la vie continue pour elle, et elle ne porte pas longtemps le deuil.

1973 lorsqu'elle apprend l'émergence de nausikaa, artémis y poste entre autres chasseresses dow lintang. officiellement car elle est persuadée qu'elle a beaucoup à apporter à cette île (et c'est vrai) ; officieusement, pour la tenir éloignée de ladon, pour qui elle a une fascination macabre et envers qui elle ne parvient pas à réfréner ses pulsions assassines. dow lintang n'a rien dit lorsque artémis lui a demandé de rester là et de veiller sur les demi-dieux en attendant son retour : elle a souri, et s'est empressée de faire ce qu'on lui demandait.

ah, aussi, elle va voir le match mythique de billie jean king contre bobby riggs avec don ! qu'est-ce-que c'est chouette ! définitivement, elle garde un très bon souvenir de cette année 1973.

1980 fermeture des portes, on ne lui demande pas son avis. on l'assure qu'artémis pourra tout de même la contacter, lui demander de revenir à ses côtés. alors, dow lintang attend sagement. il ne se passe rien, et en même temps, il se passe tant de choses. elle voit les printemps prometteurs, les étés fabuleux, les automnes patients, les hivers infernaux ; elle voit la naissance, l'adolescence, l'âge mûr, l'âge mort. en vase clos, elle découvre un peu tout cela sur nausikaa : auparavant, elle ne prenait pas le temps de voir tout cela, supposait que tout restait semblable derrière elle, refusant de se retourner pour ne pas mettre en péril ses convictions. elle découvre : le changement. cela lui plaît, cela l'émeut sans la briser, cela la change sans la soumettre. elle trouve son bonheur dans l'éphémère de la compagnie des mortels, puisqu'on ne lui laisse plus profiter de la joie de la dévotion divine.

2021 sans vraiment tout comprendre, elle investit dans la start-up de rithy, persuadée par ses regards serpentins vers des ors invisibles et ses mots qui décrivent des mondes que dow lintang ne connaît pas. rithy fait l'affaire du siècle lors de la vente de sa start-up, et dow lintang s'enrichit considérablement. elle n'en prend pas vraiment conscience. elle se pose parfois des questions sur son portefeuille de cryptomonnaie qui dort quelque part : il faudra vraiment qu'elle pense à interroger rithy à ce sujet. sans doute aura-t-elle la réponse. rithy a souvent la réponse, après tout.

mars 2023 c'est la première fois depuis plusieurs décennies qu'artémis la rappelle en-dehors de l'île pour une longue mission, une traque de plusieurs mois au lieu de quelques semaines, habituellement. lorsque dow lintang revient, au début de l'été, l'île est sans-dessus-dessous. "il y a eu des morts", lui dit-on. "a-t-on vu des monstres ?", demande-t-elle.