Les rues de New York sont assourdissantes ; elles grouillent de vie, dissimulent sous un flot continu de paroles et de klaxon la mort qui se profile au milieu de tous. Pavel est un être semi-divin parmi les hommes, mais plus que jamais il se sent humain. Il est l'imposture d'Hestia - elle l'a choisi lui parmi d'autres orphelins, mais pourquoi ? Plus les années passent et plus Pavel regrette son choix. Il ne se sent pas digne de faire parti de la population de Nausikaa, il ne se sent pas digne de Vivienne, de Seraph, de Johann ; encore moins d'Ethel et des autres traqueurs.

Mais la dignité n'est pas égale à son honneur. Alors Pavel, sous les traits d'un gros chien noir, arpente le trottoir et slalome entre les passants pour suivre la trace qu'il piste - ou fuir celui qui le trace.

Pourquoi est-ce qu'Ethel le suit aujourd'hui ?
Pensait-il que sa discrétion légendaire échapperait à son radar ?

L'incompréhension fait naitre en son sein des braises de colère. Il se demande, à mesure que ses pattes le portent et le perdent sur les vieux pavés new-yorkais, quelle erreur il a pu faire pour provoquer chez son meilleur ami un élan de méfiance, nécessitant qu'il le surveille à distance ?

Pavel veut et va savoir. Il se détourne volontairement de sa mission pour tourner au hasard dans une ruelle adjacente à l'avenue, mal éclairée et malfamée. Il redevient humain et se cache, envoie rapidement un message à Imogen pour qu'elle croise la route de sa cible. Il attend, patiemment, que le blondinet se pointe.

Au moment où ses chaussures explosent une flaque, Pavel l'attrape par le col. Il le colle brusquement contre le mur sale, non loin d'une benne à ordure. Sur la défensive, Pavel grince des dents. Il plaque ses deux mains de par en part de la tête d'Ethel. La douceur des traits de son ami l'adoucit un instant, mais il ne se laisse pas envahir par l'élan d'empathie qui pourrait encore une fois, le mener à sa perte.

Pourquoi tu me suis ?

Craché agressivement, le regard luisant.

Je sais que tu es en repos aujourd'hui.

À peine cligne-t-il des yeux que Pavel se retrouve à son tour prisonnier. Il heurte le mur dans un râle discret et frustré. Ethel avait eu l'habitude de lui montrer avec d'autres, ce petit tour de magie qui lui valait d'être plus rapide que tout le monde - insaisissable petit diable. Pavel fronce les sourcils même quand il s'éloigne. Il se masse les épaules, douloureuses et toise Ethel. Son attitude désinvolte le tend et il prend sur lui pour ne pas devenir méchant.

Bien sûr, tu te balades à New York, au hasard. Et on se retrouve dans la même ruelle, au hasard.

Il n'apprécie pas son manque d'honnêteté. C'est clairement de la mauvaise foi ! Car Pavel ne brille pas de sa vérité. Ça le frappe comme une évidence ; il détourne le regard et abdique sans sentence.

C'est bon, laisse.

Il inspire et expire longuement par le nez ; l'écoute lui poser des questions sur sa mission. La mission ! Pavel sort son rainphone pour vérifier qu'Imogen a bien lu son message.

J'ai un peu de temps. Imogen est sur le coup. Si tu me disais clairement ce que tu es venu faire dans les parages Ethel ?

Parce qu'aussi déloyal Pavel est dans cette affaire, sa patience s'effrite et l'ignorance le torture.

Tu me testes ? Je ne suis plus à la hauteur, c'est ça ?

Il s'empourpre face à l'évidence de sa propre bêtise. Ethel souligne son manque de discrétion et Pavel se sent piqué dans sa fierté - il a vraiment du mal à être remis en question, c'est son plus grand défaut. Il serre les poings et grince des dents. Est-il touché par l'instinct de protection d'Ethel ou au contraire par l'estime qu'il se fait de son propre instinct de conservation ? Une chose est certaine : Ethel l'a percé à jour et fait semblant de croire à un hasard - preuve de sa dévotion.

Ethel le traqueur sait reconnaitre son ami le labrador de tous les autres chiens errants de New York... Félicitations ! Tu mérites le titre de super traqueur.

Si un jour les traqueurs devaient un avoir un chef ou un guide, Pavel espérait que ça soit Ethel.

Merci de me rassurer...

Il passe une main dans ses cheveux, dans un geste éprouvé, qu'il maquille par de la fatigue.

Je n'ai rien à me reprocher, non.

Lâche-t-il sèchement, sur la défensive - le ton du parfait coupable.

Tu sais tout de ma vie Ethel.

Et là il a honte de mentir, il a honte de sourire. Il a honte d'être cet ami là qui prétend que tout va bien alors que tout s'effondre derrière lui.

Sa propre absurdité le fait rire jaune. Il fixe son ami, sur la défensive. Pavel n'a pas pour habitude d'être aussi agressif - en particulier avec lui. Parce qu'Ethel a su s'imposer comme un pilier dans sa vie, en quelques années seulement ; il a soigné à sa manière les blessures ouvertes et béantes de son histoire avec Johann. S'il a su écouter, soutenir, accompagner pour ce cas-ci ; Pavel pense qu'il a dépassé les limites et que tout ce qu'il a vécu dernièrement ne mérite pas d'être entendu.

((ne mérite pas d'être pardonné))

Tu es au courant des grandes lignes. C'est suffisant.

Les doigts d'Ethel dans ses boucles brunes lui font louper un battement. Pavel déglutit et le fixe avec une certaine défiance. Comme un gentil chien, il s'apaise finalement au bout de quelques instants, au rythme des caresses - qui le récompensent de son bon comportement.

C'est l'image que je renvoie ? D'être préoccupé ?

Il gagne du temps, mais l'expression figée de ses traits marqués trahit une certaine forme de vérité. Il confirme sans le vouloir et légitime l'intrusion d'Ethel dans son quotidien mouvementé.

Tu as peut-être raison...

Il porte une main à son front.
Il ne peut pas trahir Orion - il peut au moins parler de tout ce qui alourdit son coeur.

Ethel. Est-ce que pour toi, un crime peut s'avérer nécessaire ? Est-ce qu'il est notre fonction de pardonner ceux qui n'ont pas eu d'autres choix que de fauter ?

L'odeur dans la ruelle commence à devenir insoutenable. Ce n'est pas un lieu propice à une discussion. Pavel oublie l'heure, oublie sa montre, son téléphone, sa mission. Il n'y a qu'Ethel dans son champ de vision. Ethel et son inquiétude - Ethel et ses grandes questions ! Pavel se sent coincé. Il est au pied du mur, il ne conçoit pas craquer de nouveau. Seraph sait et c'est suffisant. Ce que désire Pavel avant tout, c'est protéger ceux qu'il aime ; aussi se protéger de tout ce qui pourrait le séparer d'eux. Il ne veut pas renoncer à sa vie, encore moins à ceux qui la rendent plus supportable.

Écoute, Ethel. Je te remercie, mais je n'ai besoin de rien. Ni d'aide ni d'une oreille attentive, ni d'une épaule sur laquelle pleurer.

Il se tient droit, remet le masque de certitude qui le sied bien. Il s'est laissé déconcentrer mais ça n'arrivera plus.

Ta réponse me suffit. Ça me rassure et je te jure que ça me fait du bien. Ethel je- ... Hm.

Il sort son téléphone et check les messages envoyés par Imogen.

Elle a récupéré l'enfant. Elle est avec lui et l'escorte à Nausikaa. Tout va bien, tout va bien...

Il ne sait pas ce qu'il fait - il aurait dû être avec eux plutôt que de se lamenter auprès d'Ethel. Il aurait dû être présent plutôt que de nier ce pourquoi il se lève.

Tu avais quelque chose de prévu à New York ? Je veux dire, en dehors de me pister. Je veux qu'on rentre ensemble.