Tu ne t'es jamais considéré comme quelqu'un de particulièrement puéril. Au contraire, ce trait particulier avait toujours eu matière à te dégoûter. S'abaisser à de telles bassesses alors qu'il y avait tant à faire, que l'esprit pouvait s'élever plus haut, que vos vies pourraient être le théâtre d'accomplissements bien pus grands ! Seulement voilà, Johann, force est de constater que tu n'es pas le plus puissant et sage des hommes. Depuis peu, le puéril polluait tes jours et tes nuits.

Tu avais identifié le problème comme étant le suivant : tu voulais faire payer à Pavel le prix de ses trahisons. Tu voulais le voir à tes pieds, occupé jusqu'à l’obsession par sa sainte mission de te sauver. Tu voulais le voir couper de la réalité pour, enfin, pouvoir lui assener un coup fatal et mérité. Car quel culot il avait, ah ! Venir jouer les preux chevalier alors même qu'il avait tenté de t’occire avec sa propre lame ! Tu ne lui avais pas pardonné. En vérité, tu ne le pourrais jamais. Mais le voir aussi prompt à se concentrer sur toi t'avait du bien et avait fait n'être, tout du reste, ce fameux puéril que tu exécrais.

Alors depuis votre confrontation, tu avais pris un malin plaisir à apparaître plus souvent devant lui. Tu avais pris plaisir à le voir gorger de frustration à te voir si souriant et efficace dans ton travail, si consciencieux et irréprochable. Ce soir, l'envie t'avait pris de frapper un grand coup. Non seulement tu voulais te venger, mais tu voulais aussi que Pavel souffre. Tu étais trop intelligent pour ne pas avoir remarqué la confusion dans ses yeux, la dernière fois, lorsque tu lui avais menti (avoué) en lui disant l'aimer. Tu te pensais en pouvoir de le rendre jaloux. Parce que quelque part, Pavel ne pouvait pas ne pas avoir de sentiment pour toi. Libre fou que tu es de croire que tu seras le seul à sortir de ce jeu indemne. Mais tu as toujours été persuadé d'être le game master, après tout.

Alors attablé à cette table, conscient que Pavel était là, conscient qu'il te surveillait, tu avais choisi de te mettre en danger. C'était un pari, non, une expérience ! Pavel était le sujet, toi l'élément perturbateur. Tu avais bu plus que de raison, suffisamment pour endormir tes propres réflexes. Lorsqu'un homme t'avait abordé, l'alcool t'avait fait oublier Pavel, aussi l'avais-tu sincèrement trouvé charmant en dépit de son côté trop entreprenant. Il t'avait amené à sa table, avait veillé à ce que ton verre ne soit jamais vide et sans que tu ne saches réellement comment, tu t'étais retrouvé sur ses genoux, ta tête contre son épaule, grisée et abrutis par l'alcool. C'est drôle, tu ne sais même plus pourquoi tu es là... Une expérience tu crois ? Tout est flou, brouillé, tout ce que tu sais c'est que tu es bourré. Tu glousses, stupide. Ça a l'air de plaire à ton compère car il te glisse.

— Je te ramène chez moi ?

Johann. Le vrai. Celui de Pavel. N'aurait jamais répondu oui.
Johann. Le vrai. Celui que Pavel observe répond :

— Hmmm... Chez moi ? ... Haha... D'accord...

Embrouillé par le flot de l'alcool, tu ne te rends plus vraiment de compte de ce que tu fais. Le plan semble lointain. Tu es assez malin pour comploter des projets insensés mais pas assez pour ne pas prendre en compte tes propres limites. Ta mère serait déçue. Oh, mais elle l'est déjà. Allez trop loin, voilà un reproche qu'elle t'as déjà fait.

Tu glousses contre la nuque de ton Don-Juan. C'est drôle comme tout te semble hilarant. Mais alors qu'il passe ses doigts dans tes boucles tu entends, loin, la voix de Pavel.

— Hm ?

Tu penches la tête en arrière, fronces les sourcils comme pour remettre un nom sur son visage.

— Ah... Pavel. Bonzoir... Heu, Bonsoir.

Tu lui souris. De son côté ton compagnon ne semble pas être très ravis.

— Qu'est-ce que tu nous veux ? T'es qui ? Son daron ?

Tu hausses un sourcil, même soul, la remarque te sembles si idiote que tu ne peux pas ne pas la relever.

— C'est absurde, il a 30 ans. Il m'aurait conçu deux jours après sa naissance ?

Tu glousses, tournes la tête vers Pavel.

— Toi ? Mon père ?

Puis soudain, un détail te chiffonne. Tu tournes de nouveau la tête vers ton compagnon.

— Comment tu t'appelles, déjà ?

Tu restes sérieux quelques secondes avant de porter une main devant ta bouche et de pouffer comme un adolescent avant de nouveau tourner ta tête vers Pavel.

— Ce gars veut me sauter et je ne connais même pas son nom !

Tu bats des cils, l'hilarité te fait tourner la tête. Tu observes Pavel d'un étrange sourire.

— Toi aussi tu veux me sauter ?

Face à l'autorité de Pavel tu siffles, impressionné, un brin insolent. Tu lances un regard vers ton compagnon l'air de dire "il est sérieux, tu as vu ?" avant de glousser. Cette démonstration de dominance t'amuse et te plaît. Lorsque tu demandes sans aucun filtre s'il a l'attention de te mettre dans son lit, c'est avec une innocence que seule l'alcool permet. Tu hausses un sourcil, dans l'attente de sa réponse. Pavel semble déstabiliser et tu ne comprends pas pourquoi. Après tout...

— Ah bon ? Pourtant tu es amoureux de moi, non ?

Tu penches la tête sur le côté, ton regard gris brillant d'intelligence malgré la brume de l'alcool. Au contraire, tu sembles y voir bien plus clair dans ses sentiments que lorsque tu es sobre. Pour toi, ta théorie est la bonne.

— Oh- Oh !

Pavel te saisit et tu te retrouves debout. La brusquerie du geste te fait tourner la tête. Tu te votre contre lui, en perte d'équilibre. Ton nez s'écrase contre sa chemise. Il a une odeur musquée de transpiration. Tu trouves que ce n'est pas désagréable.

— Tout le monde nous regarde...

Tu susurres, un sourire aux lèvres.

— Les gens adorent voir des chevaliers blancs sauver la veuve et l'orphelin...

Tu glousses, finalement te laisse tomber contre lui et soutenir pour marcher à l'extérieur. Il pleut des cordes et tu as laissé ton parapluie à l'intérieur. Tu t'avances de quelques pas, laisses ton visage offert à la pluie. L'eau semble rafraîchir tes idées. Le frais sur ton corps te revigore. Et qu'importe qu'elle te trempe, attaque tes vêtements. Tu tournes la tête vers Pavel.

— Tu as quitté tes copains... Oh non, vont-ils me détester eux aussi ?

Tu sembles triste. Titubes vers lui pour t'appuyer sur lui.

— Plus personne ne m'aime depuis que tu es parti.

Tu souris à l'ombre de son épaule.

— Tu m'as vraiment tout pris.

Un rire sec irrita sa gorge. Quand il posa son regard sur Pavel, Johann se fit la réflexion qu'on ne pouvait pas être aussi naïf ou déconnecter de la réalité. Ne le voyait-il pas ? L'amour dont il débordait ? L'absolu dévouement qu'il leur vouait à tous ? Johann était un serviteur zélé. Il était l'instrument loyal. Il faisait ce que tout le monde, même les dieux, avaient peur de faire.

— Tu n'es pas sérieux ?

Il secoua la tête, sous la pluie ses boucles blondes se faisaient lourdes et tombaient sur ses yeux.

— Pourquoi ne vois-tu pas, Pavel ? Pourquoi refuses-tu de me prendre au sérieux quand je te dis que tout ce que je fais : c'est pour nous ?

Il poussa Pavel et tituba sur quelques pas avant de se tourner vers lui.

— Je n'ai tourné le dos à personne. J'ai travaillé comme personne ne l'a jamais fait, on ne fait pas plus dévoué que moi !

Mais non, Pavel ne voyait rien. Triste, Johann baissa la tête. Il revint vers son ami pour se coller à lui et agripper sa veste.

— Moi je te voulais toi. Je n'ai jamais eu besoin de rien d'autre que toi.

Dans son regard passa un voile, sa bouche se tordit dans une moue blessée.

— Si, tu m'as tout pris. Tout ce qui comptait pour moi, du moins.

Il laissa sa tête tomber sur son épaule. Son souffle, lui, effleura sa nuque.

— J'aimerai tellement... Que tu me reviennes.

En ça, Johann est d'accord. On ne défie pas les dieux, mais uniquement parce que les dieux avaient l'ego trop fragile pour encaisser le poids de leur propre médiocrité : voilà la leçon qu'il avait reçue de sa mère. Et pourtant, Johann continuait de l'aimer et de l'admirer. De l'admirer avec mépris, parce que ça ne serait pas Johann sinon.

L'odeur de l'appartement de Pavel l'enivre. Il hume discrètement l'air, reprend contact avec des flagrances familières qu'il pensait perdu à jamais. Il est trempé, mais avance s'en soucier. Son regard scrute avec la même curiosité qu'autrefois l'endroit.

— Tu utilises encore les mêmes bougies. Et la même lessive.

Ses boucles alourdies par la pluie, gouttent sur le tapis. Johann se retourne, dévisage Pavel dans un silence pesant.

— Alors arrête moi.

Il tend ses poignets joints, les lèvres bleuies par le froid, les joues rougies par l'alcool et le corps secoué de léger tremblement.

— Parce que je vais faire n'importe quoi.

Pour qu'il le remarque, pour qu'il cède, pour qu'il reste. Parce que "n'importe quoi' est la seule solution viable de ce foutu problème.

— Sauve-moi. Tu m'aimes.

Il penche la tête sur le côté. Depuis qu'il est là il ne fait rien pour se réchauffer.

— Il n'y a que toi... Pour me sauver de moi-même.

Il sourit, tremble davantage.

— Pavel... Regarde comme j'ai froid.

Tu es bourré.

Johann étire un sourire triste, mais dans lequel se cache un soupçon de reconnaissance. Il observe les gestes pudiques, la distance que Pavel instaure, qu'il perçoit comme frustré et énervé. Johann baisse les yeux sur ses chaussures et trempées. Il glisse un regard vers le reflet d'un miroir où sa figure pathétique se reflète avec cette espèce de grâce absurde. Parce qu'un enfant d'Athéna ne saurait être ridicule, hein ?

Il souffle du nez, secoue la tête.

— Tu es toujours quelqu'un de bien, Pavel.

Il se tourne vers son ancien ami, occupé à installer son lit de fortune.

— Je crois que ça m'énerve. Cela fait des années que je panse mes blessures en t'imaginant méchant.

Mais Pavel n'est pas méchant. Pavel est bon. Pavel est pur. Pavel n'a pas changé. Le garçon au regard fuyant et brillant de timidité de la bibliothèque du camp est encore en face de lui. Ce même garçon que Johann avait vu et pour qui son cœur avait sauvagement battu.

— Je ne te manipule pas, tu sais, quand je dis que je suis encore amoureux de toi.

Il secoue la tête, fini par s'impatienter et pousse Pavel sans méchanceté, loin du canapé.

— C'est bon. Tu ne mérites pas que je te torture ou que j'abuse de toi en jouant sur la pitié. Je n'ai plus envie de jouer, tu ne mords pas. Tu n'as pas changé. Tu es toujours ce putain de chevalier en armure.

Il retire ses chaussures en titubant un peu. Se tortille pour retirer son haut et défaire son pantalon. Ce manque de grâce, presque adolescente n'est pas quelque chose qu'on voit souvent de lui. Il se laisse tomber dans les plaids du canapé, fatigué. Il constate que le lit est confortable, chaleureux, rien à voir avec ses draps fins et froids de son appartement rangés et impersonnel. Il s'enroule de dans. Son esprit est un peu groggy, la fatigue le gagne un peu. Il se force à garder les yeux ouvert, mais sa langue n'est plus soumise au moindre contrôle.

— C'est chaleureux... C'est parce que c'est toi. Je crois que c'est ce qui me manque le plus... Avant, le monde était chaleureux.

Il ferme les yeux, soupire.

— Je ne sais pas si je veux être sauvé... Mais en attendant, je ne peux que constater que nous n'avons jamais été aussi proche que depuis que tu essaies....

Il entrouvre son regard gris pour capter la silhouette de Pavel.

— Va te coucher, tu pues l'alcool des autres.

Et alors, il laisse entrevoir une faille. Son beau. Son grand. Chevalier moralisateur, laisse un interstice dans son armure. Johann l'observe, curieux. Il aurait été simple pour lui de tourner des talons et de mettre fin à la soirée mais, visiblement, quelque chose dans ses mots ont heurté quelque chose chez Pavel. Le fils d'Athéna se redresse sur un coude, curieux, attentif, comme lorsqu'une nouveauté, un nouveau problème, se présente à lui. Il tait, cette excitation qui monte. Pour la première fois, il a l'impression de sentir Pavel accessible, à portée de main. Il n'a qu'à tendre le bras pour pouvoir le toucher vraiment. Mais il ne fait rien. D'un neutre, il demande simplement.

Qu'as-tu fait ?

Son ancien ami tombe à genoux, comme assommé par le poids des crimes qu'il clame avoir commis. Johann écarquille brièvement les yeux, qu'avait-il fait ? Qu'avait-il fait de si atroce ? Il lui avait brûlé le dos, l'avait trahi, mais à entendre Pavel, ce n'était rien. Il avait eu "raison" de le faire. C'était "pour le bien" de Johann qu'il l'avait fait. Alors le fils d'Athéna se demande ce que diable Pavel avait commis pour oser tomber à genoux devant lui.

Qu'as-tu fait ? répète-il sur un ton plus froid et dur, presque peureux. Raconte-moi.

Il a peur. Il a peur et il est jaloux. Qu'avait-il fait Pavel, de pire que lui ? Qu'est-ce qui avait surpassé chez lui le drame de l'incendie ? Johann ne peut le tolérer, il le refuse. Si lui n'est plus le centre de sa culpabilité alors à quoi bon ? Il avait besoin que son drame personnel soit aussi celui de son ami. Il fronce les sourcils, pose une main hasardeuse dans ses cheveux qu'il caresse maladroitement.

Je ne suis pas d'accord. Je ne suis pas maudit. Tu m'inquiètes, ce ton ne te ressemble pas. Parle-moi.

Il a honte, dit-il.
Il a honte.

Honte de quoi, Johann n'en peux plus d'attendre. Il s'impatiente, tremble, qu'il lui dise, qu'il crache. Qu'avait-il fait de si grave ?

La honte, Pavel, ce n'est pas en la taisant qu'on l’absout.

Parle, parles, parles, parles ! Voilà ce qu'il voudrait lui hurler. Mais Johann se refuse à perdre son calme, se refuse d’être en tout point ce que Pavel dénonce. Alors il attend. Les nerfs lâcheront bien. Et, en effet, ils lâchent. Ils lâchent d'un coup de poing sur le canapé qui fait sursauter Johann. Puis Pavel cri, hurle et confesse. Le fils d'Athéna écarquille brièvement les yeux. A-t-il bien entendu ?

Tu... il fronce les sourcils, septique, comme-ci la vérité apportée contenait une inexactitude. Tué. Pavel a tué. Pavel a tué son frère. C'était toi... ? Il le fixe, l'observe. C'était donc cela, le visage d'un tueur ? Pourtant, il est adorable. Ainsi donc, un monstre peut être beau ? Les fous aussi peuvent-ils l'être ? (lui, peut-il être fou ?) ... Je...

Johann repousse ses couvertures et bondit hors du canapé. Ses pas se font lourds et pressés dans l'appartement.

Pourquoi ? Assène-t-il brutalement en lui pointant du doigt. Je veux que tu m'expliques pourquoi lui ? Pourquoi toi ?

Il est bouleversé. Quelque chose ne va pas. Johann aime ses frères et sœurs, tous. En dépit de la décision de sa mère de le rendre indigne d'eux, il les aime. Son frère, il se souvient de lui. Ils n'étaient pas proches, mais il était de son sang. Johann tape du pied, pressé.

Pavel, j'ai posé une question. Je veux une réponse. Il balbutie quelques théories pour l'encourager. Tu t'es défendu ? Tu l'as fait pour quelqu'un ? Quelqu'un qui n'est pas lui. Par Apollon, il est mort de jalousie. Je veux comprendre.

Il lui tourne le dos pour lui montrer brièvement un autre de ses crimes. Puis il se retourne et fond sur lui pour encadrer sévèrement son visage entre ses mains.

Tu me traites de monstre, tu me dis dangereux. Et il ne pourra en être autrement si tu ne parles pas, alors parles. Fait moi comprendre. Pavel !

Non, il ne dit rien. Pas dans les premières secondes, ni dans la dernière minute. Il se contente de fixer, absent, non pas absent, pleinement là, mais ailleurs, le sol. Il digère les nouvelles, les vérités crues, improbables, lancées. Il digère et analyse avec froideur ce qu'elles provoquent chez lui. Il se fait observateur du propre sujet qu'il est. Et les conclusions qu'il tire de ses observations ne l'en rende que plus perdu encore.

Donc... Commence-t-il, rauque. Tu as été complice. Puis tu l'as tué quand il est revenu. Pour te défendre. Il lève les yeux vers lui, fronce les sourcils, comme incertain. C'était lui ou toi.

Il cherche dans son regard la lueur coupable qui pourrait lui faire dire que Pavel ment. Il cherche en lui quelque chose dont il n'est pas certain de la forme précise. Quelque chose pour l'aider à savoir s'il le déteste ou si son amour pour les siens, pour ce frère en particulier, n'était pas aussi sincère qu'il se l'était présumé.

Johann s'approche, gagne lui aussi le sol pour s'asseoir en face de Pavel.

Ma mère m'a puni pour moins que ça. Les dieux considèrent qu'une complicité de meurtre et un meurtre valent moins que la recherche du progrès.

Il a l'air dégoutté.

Je ne sais pas si je te déteste. C'était mon frère. Il détourne le regard pour accrocher, au mur, un cadre photo qu'il connaît bien. Johann se souvient qu'il connaissait la plupart des possessions de Pavel. Et tu as le culot malgré tes crimes de venir me prendre de haut, de venir me faire la morale, de venir me traiter de monstre alors que, moi, je n'ai pas le sang d'une victime sur les mains. Moi, je n'ai jamais pris sans prévenir, je n'ai jamais tué. J'ai exposé les risques, je n'ai jamais menti.

Il revient à lui, assène, froid.

Tu as raison, Pavel, tu n'es pas quelqu'un de bien.

Peut-être se venge-t-il qui sait. Il fixe de nouveau le sol.

Est-ce pour te pardonner que tu tiens à me sauver ? Est-ce par pitié envers toi-même ? Il glisse, plus doux, plus triste. Vas-tu me tuer, moi aussi ?

Sincèrement ? Je te crois capable de beaucoup de choses Et c'est affreux comment il le pense, comment il dit vrai. Quand il observe Pavel, il voit autant de douceur que de sang, autant de chaleur que de rage. Peut-être pourrait-il lui faire du mal. Sans doute lui en ferait-il au nom de ce sauvetage qu'il s'évertue lui réussir. Le fils d'Athéna dévisage son ancien ami dans le noir. Finalement, il soupire. Je suis fils de la déesse du savoir. Tu as été bien naïf de croire que je ne me jetterais pas dans les flammes pour tenter de préserver un peu de nos découvertes.

Et il sourit.

Tu as merdé. Il le dit, avec une pointe d'amusement. Merdé... Quel mot... Léger pour parler d'un meurtre. J'imagine que tu as merdé, oui. Mais ceci ne règle rien à la question. Que veux-tu que je fasse ? Je n'ai pas le pouvoir de t’absoudre de tes propres péchés et tu refuses mon amour et tout le restes. Il secoue la tête. Sincèrement je ne sais pas si je suis jaloux ou simplement perdu. Tu me traites en étranger pour me confier ton plus grand secret. Pavel, à quoi joues-tu ?

Peut-être ne le sait-il pas lui-même. Ce serait affreusement pathétique. Ce serait à leur image. Le fils d'Athéna tend la main pour caresser la joue de son ancien un ami. Il y découvre une peau rêche par endroit, mal entretenue.

Tu es plein de paradoxe fils d'Hestia.

Il claque sa joue avec douceur avant de se redresser.

Tu veux entendre que tu puisses être pardonné ? Qu'as-tu à offrir pour mériter un tel traitement de faveur ? Je t'écoute.

C'est d'accord.

Le regard du fils d'Athéna est clair. En face de Pavel, il glisse une main contre sa joue.

Le deal me va.

Car c'est tout ce qu'il a jamais voulu avoir de lui, sa loyauté. Loyauté qu'il pensait avoir perdue dans les flammes, des années plus tôt. Loyauté qu'il comprend que Pavel est prêt à lui offrir. Et Johann doit se faire gardien et bourreau pour l'obtenir, alors ainsi soit-il. Parce que Pavel n'a pas de prix.

Je jure. Je t’arrêterai si tu vas trop loin. Je te ferai payer tes crimes. Je serai le couperet de la justice.

Il inspire, le cœur battant.

J'en conclut donc que tu ne vas plus m'abandonner ?

Il penche la tête sur le côté et souffle.

Tu sais que si ce n'est pas ce soir, demain je t'embrasserai ?

Évidemment, que tu peux compter sur moi. Il étire un sourire. Contrairement à toi, ce n'est pas dans ma nature de trahir.

Il aime le piquer, lui rappeler ses fautes, le noyer dedans. Il estime que c'est là une juste punition. Qu'il ploie sous le poids de sa culpabilité. Qu'il la craigne tant qu'il décide avec abnégation de se racheter. Après tout, c'est comme ça que tout fonctionne ici. Leur parent procède exactement de la même façon. Une pensée s'envole pour sa mère. Il pense, espère ingrate, j'espère que t'es fière.

Son regard se pose sur Pavel. Pavel qu'il désire, Pavel qu'il déteste. Pavel qu'il veut garder pour lui, car il a eu tellement mal de le voir partir. L'idée même qu'il a pu... Non, il ne veut pas y penser. Le fils d'Hestia penche la tête en avant, pour la première fois Johaan sent son cœur se soulever d'excitation. Il reste une seconde muet. Alors c'est bon ? Il peut le posséder ? Il peut l'avoir ? Il peut le retrouver ? Dieu qu'il lui avait manqué. Son tendre. Son cher. Son fidèle. Son meilleur ami. Pavel.

Tu m'auras manqué.

Il se penche à son tour et pose ses lèvres contre les siennes. Au départ timidement, avant de les entrouvrir pour chercher un contact plus marqué. Là, il glisse une main contre la joue de Pavel et se redresse sur ses genoux pour s'approcher un peu plus. Son autre main vient finir d'encadrer le visage de son ami. Il finit par rompre le baiser.

Est-ce que tu as cessé de rêver, Pavel ? Est-ce qu'on est condamné à ne plus se comprendre ? Est-ce que pour qu'on résonne de nouveau ensemble il faut que j'écarte les cuisses et que je te montre ? Qu'on peut encore recoller les morceaux ? Qu'au final rien n'a vraiment changé ?

Il écarte du front de son ami quelques boucles brunes avant de secouer la tête.

J'aimerais que tu arrêtes de me regarder comme un monstre.

Il murmure.

J'aimerais que tu me regardes comme avant.

Ce n'est pas parfait. Voilà ce que Johann se dit. Ce n'est pas encore parfait, car c'est encore nouveau, incompris. Ça pourrait être bien plus. Johann dessine déjà les esquisses  de ce que représenterait, pour lui, l'absolue perfection de leur relation. Le doigt qu'insère Pavel dans sa bouche en est une première ébauche. Johann glisse son regard vers celui du fils d'Hestia. Il se souvient de leur première rencontre, du regard timide de Pavel, de cette fragilité magnifiquement humaine qui l'avait subjugué. Aujourd'hui, il constate que Pavel n'a plus grand-chose de fragile. En revanche, il déborde toujours autant d'humanité. Dans le jeu de regard, dans l'apparente domination de son geste teinté de l’incertitude de la timidité. Ça lui plaît. Tous ces paradoxes ! Tous ces nœuds à décortiquer ! Il aime la complexité. Et Pavel est affreusement compliqué pour lui. Il est cette énigme terrible qu'on ne peut pas s'empêcher de vouloir résoudre. Insolent, sans le quitter des yeux, Johann joue de sa langue. Il entrouvre la bouche, saisit délicatement le poignet de Pavel pour l'écarter.

C'est pas mal. Mais pas encore parfait.

Johann s'approche et profite de leur proximité nouvelle pour s'imposer un peu plus, pour s'asseoir sur lui.

Et toi alors... ? Est-ce que c'est ce que tu veux... Que je te regarde comme ça ?

Il frisonne en prenant de nouveau sa main pour remettre son doigt à sa juste place. Johann lève des yeux innocents vers Pavel, bat doucement des cils, comme pour se faire plus biche que rapace.

Pavel.

Il souffle.

Ne détourne plus le regard.

Plus jamais.

Sinon je te tuerai.