Sous tes yeux, ta mère s'éteinds. Le sang repeint ton visage, alors que tu appelle Emon par réflexe, ton grand-père te prenant la main et commençant à courir vers l'Isthme, essaie vain de te protéger.
Tu sens la brume t'appeler, t'attirer, souhaitant elle aussi te protéger.
Et dans le téléphone sans même prévenir, tu hurles.

"SPHINX ! ENTREE DE L'ISTHME !"

Tu utilise ta télékynésie, attrapant un banc proche afin de l'envoyer dans le monstre pour la ralentir, quand ton grand-père t'échappe des mains.

"NON ! FAFA !"

Tu tends la main, prêt à te jeter dans la gueule du monstre pour protéger ton grand-père.
Oui, ta seule famille qui te reste.

"Ερμής ! ΕΡΜΉΣ ! ΕΡΜΉΣΣΣΣΣ !"

Tu appelles ton père mais ce n'est pas lui qui vient. Ce n'est pas lui qui te retiens. Non, ce n'est pas son père qui l'empêche de se jetter à la suite de son grand-père dont le corps se fait démembrer face à lui. Encore une mauvaise réponse Stian. La rage te faire voir flou et tu te débat. Hurlant en grec ancien, couteau en main.

"Lâche moi ! Lâche moi ! J'vais l'tuer ! J'vais me faire ce putain de sphynx !"

En vain. Et les larmes coulent, innarrêtable, le digue se rompant alors qu'un hurlement primale quitte ton pharynx.

"Οχιιιιιιιιιιιιιι !" (non)

Puis se fait plus faible.

"Οχι"

Puis une supplication.

"Ils sont tous ce que j'ai, s'il te plaît non..."

Un murmure.

"Οχι...μαμά" (non...maman...)

Stian. Devant la perte, tu deviens un enfant.

Tu te laisses aller dans les bras de ton ami. Tu deviens une poupée de chiffon, à peine capable de te mouvoir alors que le pouvoir de la sphynx pénètre ton esprit plus perméable que jamais.
Maléable à souhait.

"μαμά..."

Le murmure est presque inaudible, tout comme les larmes silencieuses qui inondent ton visage. Un sursaut de réalité, mais la voix d'Emon est si lointaine... Tu tentes de le repousser avec le peu de forces qu'il te reste.

"ça va."

Non, ça va pas.

"Je vais juste corriger mes erreurs."

Ta propre voix te paraît lointaine alors que tu le repousse avec un peu plus de force. Oui. Elle a raison. Cette voix si douce. Oui, tu peux corriger ton erreur. Rejoindre ta mère là où elle siège désormais.
Oui, être cajolé dans ses bras.
Comme un enfant que l'on endort.

"Ah. Désolé de t'avoir dérangé, la réponse est juste là..."

Oui, la réponse à sa dernière question. Tu relève ton visage encore ruissellant de larmes, comme si ton âme tenait à se raccrocher à une dernière réalité. Mais l'étreinte d'Emon est si rassurante. Veux-tu vraiment la quitter ?
Tu as l'air confus, un instant, ton esprit se réveillant et te secouant telle une ondée inannoncée. Alors tu t'adresses à Emon, dont tu ne vois pas le visage au milieu des larmes, couinant comme un enfant.

"J'veux juste les revoirs Emon-"

Tu t'agrippes à son épaule, refusant de relâcher la pression si réconfortante, et en même temps, ressentant le besoin impétieux de répondre au Sphinx qui semble envahir tes pensées. Puis soudainement, l'idée fait son bout de chemin, dans ton esprit embrûmé alors que par réflexe, tu pousses la brume à s'épaissir autour de vous, projettant diverses images de votre propre position, vous masquant à sa vue. Emon est le fils d'Hadès. Il a accès à son ascendance infernale. Lui aussi peut te permettre de les revoirs. Dans votre malheur, tu te félicites de l'avoir appelé lui et pas quelqu'un d'autre. Car il est désormais la seule ancre qui te permets de te raccrocher à la réalité. Ton nez se met à saigner, probablement à force de résister à l'hypnose. Tes yeux aussi ont soudainement l'air envenimés, le sang montant à ses derniers.
Ta main se resserre sur son épaule.

"il faut... Il faut que tu me promettes aussi sincèrement que possible que je vais pouvoir revoir mes parents. Sinon-"

Tu sens tes forces te quitter. Ta propre voix se fait à nouveau lointaine alors que la brume s'épaissie toujours plus. T'es depuis longtemps au delà de tes limites. Mistique mais pas invincible. Le souffle est si petit, qu'il en est presque inaudible.

"... sinon... je vais lui dire oui..."

Et alors, soudainement, tu succombes à l'hypnose, tentant de prendre un pas au travers de ta propre brume pour rejoindre la promesse d'un meilleur lendemain. Moins douloureux, moins ardueux.
Oui. C'est la bonne décision.
Tu veux juste
revoir
tes
parents.

Tu n'as aucun moyen de détecter le mensonge, heureusement, sinon cela aurait brisé tout le principe que tu avais tenté de mettre en place. Et alors qu'elle rétorte, tu hurles à pleins poumons, t'adressant une dernière fois à elle alors que tu ignoreras sa main tendu dans la brume.

"VA TE FAIRE FOUTRE LE SPHYNX !" La voix tremblante, la rage au corps. "Je jure, je jure sur tout les dieux, qu'ils en soient témoins, Némésis entende mon message, que je vais te retrouver, et te faire payer. Je vais te retrouver et te tuer, te rayer définitivement de la carte !"

Les mots d'Emon te rassure aussi. Non, elle ne t'auras pas. Pas maintenant en tout cas. Mais ça, tu ne le sais pas.
Alors tu te laisses aller dans les bras de ton ami, les larmes se mettant à couler de tes yeux meurtris, relâchant la pression que tu maintenais sur la brume d'une main de fer, les doigts tremblants, les oreilles sifflantes.

Un sourire malgré toi, alors que tu tentes une touche d'humour.

"Je t'ai pas appelé pour que tu viennes me chercher en boîte cette fois. Ah ah..."

Mais ça ne fonctionne pas et tu reste le dos tourné au carnage, refusant de réaliser ce qui vient d'arriver. Tu as envie d'hurler à nouveau, mais tu te retiens. Ou bien tu n'en a plus la force, tu ne sais pas. Entre deux sanglots, ton esprit embrûmé te souffle qu'il faut rentrer. Pas le temps d'enterrer dignement tes parents, il ne reste presque plus rien d'eux de toute façon. Tu te redresses, observant le ciel étoilé, la nuit belle malgré ce qu'il s'est passé. La lumière de la ville seulement obscurcie par tes larmes.

"C'est trop injuste."

Et si ton corps n'est pas âbimée, ta psychée est brisée. Incapable de calculer ce qui est à venir, ce qui est passé. Est-ce que tu n'aurais pas juste tout rêvé ? Tu te pinces la joue dans une mimique ridicule, alors que les larmes se remettent à couler.

"Meh, c'est même pas un cauchemar. Quelle vie de merde putain."

T'essaies de rester joyeux mais t'y arrives pas. T'essaies d'être comme d'habitude pour ne pas l'inquiéter, pour ne pas qu'il réalise à quel point les mots du sphynx t'ont ébranlé. Peut-être même que tu tente de l'ignorer, pour te conserver.
Tu t'éloignes de lui, d'un pas, puis deux, les yeux ternes alors que tu sèches tes larmes d'un revers de ta manche de veste en jean couverte de sang, étalant celui déjà présent sur ton visage sans le réaliser.

"Il faut qu'on rentre." Malgré ton traumatisme, tes oreilles sont toujours orientés vers la brume, qui si elle ne hurle plus comme une sirène, est assez bavarde ce soir. "Le boucan à attiré d'autres monstres."

Heureusement, vous êtes à quelques pas de l'isthme menant à montauk puis à nausikaa. Là où tes parents te laissent - te laissaient - habituellement.
Tu as besoin de marcher, pour retrouver tes esprits. Pour éviter de penser à cette nuit.
Il ne ferait pas bon de te laisser seul. Pas après les pensées que le sphynx à ingrainé dans ton mental jusqu'à là plutôt intact. Oh tu avais vécu des choses. Mais rien d'aussi traumatisant que de perdre ta famille sous tes yeux sans rien pouvoir faire.
Les questions du monstre te tourne dans la tête aussi, t'empêchant de réfléchir clairement. Mais c'est actuellement impossible. Tu prends trois pas avant de vaciller.
Non, il faut que tu penses à demain. Tu te force à penser. Que demain, tout ira bien. Que tu iras au travail l'air de rien.

Tu ne tombe pas. T'arrête pour jeter un regard à Emon, absent, comme si tu n'étais plus complètement là.

"Viens. Rentrons à l'Atè avant que je ne m'effondres complètement."

Un brin lucide. Sourire insipide. Sans savoir que tu ne craqueras pas ce soir. Pas demain, mais qu'une fois que leur absence t'auras vraiment frappée. Qu'une fois que tu aurais réellement intégré la tragédie qui s'est déroulée.