tu crèves.

pour bien trop de raisons, suffisamment pour ne plus savoir comment les avouer sans qu’elles ne te transpercent, de l’âme au cœur.

tu es debout, droit, sur les marches d’un frère qui bientôt aura le dos courbé par la douleur, les genoux tremblant par la peine, la force annihilé par un deuil qui prendra place sans que l’on ne l’ai jamais aimé,

comme toi.

tu déglutis, il est sincère dans sa haine, toi authentique dans ta peur. tu crains la colère mais pas la douleur — tu es déjà en miette à l'intérieur. toi tu as vu la mort, son immondice, son bourreau, ses restes. tu inspires, tes yeux cherchent à apaiser les siens mais rien n’y fera. précieux martin aurait sûrement préféré apprendre ta mort. mais tu ne peux lui céder.

je suis désolé

c’est tout ce que ta parole ose cracher. quand tu inspires ça commence à frissonner, le timbre de ta voix s’effrite, ta gorge est atrophiée mais tes lèvres luttent pour former des mots — que tu n’arrives pas à dire.

précieux, je. je suis tellement désolé ? les sanglots s’invitent, tu ignores si c’est la peine seule qui les a conviés ou si son regard assassin les a provoqués. nous étions dans new-york et, je comptais l’aborder, discuter, simplement discuter, une conversation badine comme on en a toujours eu avant notre rupture mais nous étions ? tu trahis ton obsession mais tu es incapable d’enrober tes erreurs. quand j’ai osé l’approcher c’était déjà — enfin ? tu… tu sais ?

c’est trop dur à dire, tes yeux se perdent, tu ignores qui regarder, quoi dire. tu recules, descend une marche de plus. tu as peur, tu regrettes. une lettre aurait été plus simple que de devoir le dire et l’entendre à nouveau. tu inspires pour te calmer, mais aucune bouffée d’air ne saurait la faire revenir. rien ne te sauvera du désespoir que tu t'apprêtes à répandre.

elle

la lèvre mordue, le visage déformé par une grimace qui n’aura jamais meilleur nom que celui de détresse, tu passes une main rigide sur ton front avant qu’elle ne couvre ta bouche. c’est impossible de verbaliser pour toi une raison de plus pour laquelle tu crèves.

précieux ordonne des mots de ta part mais la cacophonie dans ta tête absorbe tout ce que tu pourrais dire. il y a sa voix, douce et amère, la tienne quand elle sonnait encore pleine d’amour, et puis celle du cerbère, mêlée aux immondices que tu as pu dire par obsession ; des choses que tu n’oserais répéter sous aucun prétexte.

et toi qui revois le puzzle de son cadavre, sans réussir à mettre le mot dessus. toi qui aurait pu la sauver si tu ne t'étais pas interdit d'être intrusif — quelle ironie ! pour un homme qui l’avait chassé nuit et jour et gardé captive par passion !

et tout ce que tu fuyais désormais te faisais face, agrippé par un homme qui porte sur lui le fardeau de la vérité et qui t’accuse de ne pouvoir l’annoncer. tu frissonnes,

rêverai de t’évader, de voir dans l’avenir son renouveau mais il n’y en a plus. c’est terminé. deux vies que tu as laissé emporter par la mort, sans le prédire, sans l’en protéger.

tu n’avais jamais été digne

d’être son homme, d’être oracle, d’être parmi ce peuple

tu renifles, malade des évènements qui se chevauchent, les yeux rouges où se logeaient des larmes qui ne sauraient trouver de fond à leur peine.

morte !

tu cries et ta voix tremble, brisée par chacune des syllabes qui déchirent ce qu’elle fut pour toi, pour lui. morte. dévorée. tu pourrais peindre ce que tu as vu d’elle tant ce souvenir est tout ce qui existe en toi à présent.

morte.

tu renifles, soutiens son regard pour y lire quoi que ce soit — la prophétie d’un renouveau, d’une fille de dionysos qui aurait son odeur. mais rien. rien ne la ramènera à toi. tes mains maladroites se meuvent étrangement, comme un appareil désuet et tu ne parviens pas totalement à te libérer de son étreinte ; tout glisse quand il te faut toucher précieux. tu essayes de reculer, tu veux disparaître, devenir poussière, qu’il ne pose plus son regard sur toi et que tu étouffes en silence et en solitude.

j’aurai tout fait pour elle mais j’ai pas pu empêcher le cerbère ! est-ce que j’aurai dû l'empêcher de sortir de l’île ? oui ? est-ce que j’aurai dû la garder en cage pour qu’elle ne rencontre jamais ce monstre ? peut-être bien, oui ? et tu m’aurais détesté tout autant quoi que je fasse !

tu grognes benedict, ta culpabilité prend le goût des reproches et idiot tu voudrais te dédouaner ; de toute façon tu n’as jamais été le bon pour elle, et ici dans tes bras ou dans la gueule d’un autre, c’est sur tes épaules que demeure le poid de la haine.

régis par tes émotions plus que par la raison, tu craches le peu de rancœur qui subsiste en ton âme, parce que les yeux de précieux te provoquent ce dégoût du monde qui pourtant ne t'appartient pas.

tu penses pas que je suis déjà fou, précieux ?

aucune peine, aucun deuil ne saurait convaincre ton interlocuteur que tu aurais préféré embrasser la mort à la place de ta veuve, sa sœur. (mais est-ce vraiment de ta faute?)

il te dépeint sale et dégoûtant, une ordure qui porte le nom d’homme mais qui n’en a plus l’aspect. tu existes, difficilement, quand il te réduit à l’état d’immondices — tu penses qu’il a raison, tant il s’acharne ! mais mourir à présent ne la ramenerai pas. que peux-tu faire, alors, tenu comme un déchet à bout de bras ?

ton visage laid par la grimace, ton souffle étouffé qui peine à te garder vivant, et ton corps épuisé par la tristesse finira par te laisser au sol quand précieux aura décidé que ta place y est. tu ne fais qu’attendre qu’il cesse de te tenir coupable du monde, toi qui t’estime déjà coupable d’assez d’erreurs — celle ci tu l'endosse depuis votre rupture, depuis qu’elle a dit adieu, depuis le dernier baiser que tu lui avais volé. sa mort a pré existait quand vos chemins se sont séparés et il a tristement raison, quand il t’accuse assassin avant l’heure : mais tu n’as pas besoin de l’entendre, tu l’as vécu, et maintenant qu’il l’a formulé si crûment, tu te dis

peut-être la fin de tout cela vient marquer ton renouveau ?

certes, il est tâché de sang, des bavures et de non-dits qui devront être étouffés et étranglés jusqu’à ta mort mais

elle n’est plus là, et ce qui l’a tué deux fois, tu ne peux plus la tuer maintenant.

qui aurait cru que pour accepter son départ il eut fallu que tu subisses la foudre d’un fils de dieu ?

ça suffit précieux tu es encore tremblotant, yeux et lèvres ne peuvent faire disparaître tes sanglots. je l’ai tuée si c’était là les mots qu’il désirait entendre pour te libérer, soit. je me suis rendu à toi mais tu as déjà purgé ta peine il y a des années. ton propre discours t’as suffit à te convaincre. il suffit, maintenant plus horrible que ses mots ce serait la mort. et il y en a eu assez.

ta tête est lourde, elle ne tient plus droite. tes épaules sont lâches, ton regard est détruit par le chagrin et la détresse. précieux t’as annihilé, laissant ancré dans ta mémoire l’infecte individu que tu es — mais dont tu ne saurais te défaire.

pour ne pas devenir plus fou encore il faudrait fuir, mais peut-être aspire-t-il à t’achever ? tu acceptes ce qu’il s’apprête à te laisser : la liberté dans les ténèbres ou le désespoir dans l’abject. quoi qu’il en soit tu es déjà maudit d’exister ; mais incapable de t’arrêter.

défiguré par la détresse, le teint pâle et le corps plus frêle que jamais. il te maudit de bien des façons — par sa voix qui t’accuse par ses mots qui te condamnent et par son regard qui te tue. mais rien n’est plus douloureux que le souvenir qui t’accompagne nuits et jours et précieux l’ignore peut-être à cet instant mais il finira par y songer ; il finira par le comprendre

qui que tu aimes ton cœur est famélique et seule deux morts sauront te combler.

après l’humiliation que tu mérites tu te redresses par des gestes maladroits et épuisés, n’offrant plus un regard pour l’homme qui doit maintenant porter le fardeau du deuil que tu lui as laissé, lâche. tu tires tes cheveux en arrière, racle sa gorge, observe une seconde le crachat qui décore ta veste. tu ne saurais contester sans paraître ingrat. tu choisis donc le silence qui lui donne raison.

des offrandes à dionysos tu en feras quelques-unes, avant qu’une autre silhouette n'obsède ta démence. quand à l’oublie qu’il te demande de faire oh précieux il ne pourrait pas être plus simple tâche pour un homme de ton espèce.

quelques jours suffiront — tu estimes avoir déjà assez pleurer sa famille pour désormais pleurer la tienne.

sans craindre d’hypothétiques derniers assauts tu t’éloignes, fébriles, dépassants les vivants qui observaient votre querelle avec curiosité tout en sachant que les plus téméraires viendrait prier à tes pieds que tu leur révèles si le désespoir qui t’a animé ce jour-ci est présage de plus de malheurs. mutin comme un ange tu seras l’oracle qui annonce l’esquisse de quelques desseins sans t'épancher sur la mort qui a frappé ton propre monde.

et ils seront heureux de prier hécate et son sang pour se savoir bien heureux, quand ils viendront joindre leurs mains auprès du fils qui voit toutes les morts sans être capable de les arrêter.