À chaque jour suffit sa peine ; j’avais tendance à les accumuler, jusqu’à ce qu’elles débordent. Pour évacuer le trop-plein, j’avais de nombreuses solutions… à court terme en tout cas. Je ne jetais aucun regard à l’avenir quand le présent me giflait au visage toutes les cinq minutes.
Pourtant, ces derniers temps, j’avais l’impression d’aller mieux. Ce ne pouvait être qu’un sentiment passager avant que tout ne s’aggrave ; mais au point où j’en étais. Je ne faisais pas ma difficile. Les événements de février semblaient loin et si proches en même temps.
Je n’avais ni l’envie ni les moyens de changer le passé ; je ne pouvais que l’oublier ou m’y replonger. Il y avait un hic cependant ; un de taille : ma mémoire. Si j’étais béni d’une myriade de merveilleux souvenirs, celle-ci serait ma meilleure amie. Mais non. C’était tout le contraire.
Je me souvenais de toutes les horreurs.
Dans les moindres détails.
Ancrées dans ma rétine, gravées dans ma tête…
Quant à ma chair ? N’en parlons même pas.
Néanmoins… j’étais toujours là ; vivante, j’avançais ─ au rythme qu’était le mien. C’était signe d’un brin de résilience, non ? Si je n’avais vraiment fait que subir, ça aurait pu être encore pire, non ?
Fatiguée de me poser ces questions ; cette énième réflexion existentielle aurait pu me mener dans des abysses opaques, s’il n’était pas venu à ma rescousse… sans même le savoir.
Qui donc ?
Le sang de mon sang : Iseul.
Frère d’un père qui avait toute ma haine, tout mon dégoût.
Mais le frangin n’y était pour rien dans l’affaire.
Je savais aussi faire la part des choses. Raison pour laquelle je l’accueillis avec un simulacre de sourire ─ ou du moins une vaine tentative de me montrer avenante. Ça ne se vit peut-être pas sur mon visage, mais j’étais contente de le voir.
─
Entre. Dis-je, debout devant la porte ; et non assise sur le canapé lorsque je faisais entrer mon marchand de sable préféré.
Je n’osais lui demander comment il allait… de peur qu’il me retourne la question. Alors je tentai une pirouette :
─
Tu as bonne mine, frangin.De mes membres artificiels, je vins l’enlacer tendrement, posant ma joue contre la sienne pour profiter d’un peu de chaleur humaine. Au fond, je ne détestais pas les gens… mais moi-même. Ce faisant, aimer son prochain semblait parfois peine perdue.
Mais la vérité était plus complexe, plus alambiquée que ce simili de simplicité que je lui donnais. L’affronter un jour… peut-être.
─
Restons encore un peu comme ça...Reste contre moi, Iseul. Ne bouge pas d’un iota.
Car quand tu étais là, moi, ça allait.
Je me sentais capable de mettre un pied devant l’autre.
Tant que j’étais avec toi.