comme le rivage immobile, tu n’avais pas bougé de la journée. à la porte principale ou dedans, tu ne quittais pas l’îlot qu’était le labyrinthe, essuyant le vent marin sans te plaindre. et dans ce vent écouté mille fois, le son des vagues battant contre les falaises semblent les mêmes que d’habitude, le craquement des arbres les mêmes que d’habitude, sans entendre que dans ces bruits se cache des monstres messagers de la mort.

ignorant, tu n’offres aucun requiem, restant immobile sur les rivages du labyrinthe.
soudain Pachinko à tes côtés se redresse, aboie, tu penses qu’elle a repéré un intrus mais tu n’as pas le temps de demander “qui va là ?” qu’elle se jette sur l’intrus en question. qui ne pouvait pas être plus familier. cette chevelure rouge, cette pâleur, cette voix, tu ne les oublieras jamais, surtout sa voix. elle n’avait plus cet aspect rauque qu’elle avait eu autrefois, maintenant c’était une voix comme tant d’autre, entraînée, capable d’exprimer tant d’émotions, et quelque part tout au fond de ton cœur tu ne peux t’empêcher de regretter qu’elle n’était plus comme avant.

tu t’approches du duo, Pachinko, le museau enfoui dans la chevelure de Seren, la queue battant fortement de droite à gauche pendant que Seren lui offrait des caresses. c’était comme si rien n’avait changé, alors que tout avait changé pour vous. Seren. tu réponds, et sûrement avec ton arme et ton uniforme tu avais l’air imposant alors tu t’accroupies pour être à leur niveau, les observes tous les deux avec un léger sourire, comme tu avais pu le faire tant de fois avant.

tu relèves le regard vers Seren, hoches lentement la tête ouais… ça fait quoi ? un an ? que c’est devenu si dur de se parler. tu ne le réprimandes pas car après tout il n’avait jamais proposé de se voir mais toi non plus. il n’était pas passé te voir, et toi non plus. vos échanges sms étaient courts, sans détails. tu étais tout aussi fautif que lui dans ce silence radio beaucoup de choses se sont passées... comme pour vous justifier.

qu’est-ce que c’est bon de le voir. et en même temps, qu’est-ce que ça t'agace ; ton sourire, cette proximité, ces faux-semblants comme si de rien n'était. votre relation n’a jamais été aussi parfaite, il y en avait toujours un qui criait, qui plantait ses griffes dans la chair de l’autre, qui blessait avant de se précipiter pour lécher les plaies à peine ouverte. et tout était pardonné avant que cela ne recommence.
votre amour et votre violence n’était qu’un envers l’autre.

Pachinko entre vous n’était pas dupe de cette tension entre vous deux. sa queue balayait toujours le sol mais avec moi de force, elle avait sa tête posée sur l’épaule de Seren mais parfois elle se redressait pour jeter un regard sur toi avant de reprendre sa position initiale. si elle pouvait parler, sûrement elle vous aurait forcé à dire les non-dits qui pesaient sur vos cœurs et que vous étiez trop fiers ou trop peureux pour révéler à l’un l’autre. mais tu l’ignores comme tu ignores les tempêtes dans ton cœur.

et vous auriez pu rester comme ça en silence, jouant les ignorants, mais non Seren a oublié le goût des silences, il était devenu avide de paroles et de sons avec toi — serait-ce donc à toi de te taire ? pour restaurer cette balance entre vous ? faire comme si tout était comme avant ? pas grand chose… ton regard se pose sur vos environs avant de revenir dans celui de Seren, j’travaille ici maint’nant, j’ai été recruté par Ambrotos, mais ça tu dois déjà l’savoir. tout se sait rapidement dans l’Atè, entre les égarés. j’ai aidé à tuer Cerbère aussi… dit avec une certaine nonchalance, comme si c’était si simple, comme si ça n’avait pas vraiment été utile au final - part de vérité puisque ce dernier est revenu à la vie ! - mais tais que certaines nuits tu faisais encore des cauchemars, tais ta colère contre les Olympiens pour vous avoir volé Tau, tais tes bagarres de ruelles. toi ? demandé d’un ton sec qui t’étais si usuel.

tu suis son regard, déplie quelque peu les mains de tes genoux - plus des mains d’enfant mais pas d’adultes non plus, et pourtant si meurtries - les regardent avec une certaine distance, habitué à avoir une peau couleur galaxie où ta blancheur naturelle formait seulement des étoiles par endroits. hm ? tu ne comprends pas trop sa remarque avant qu’il ne presse sur un ecchymose tout nouveau. tu aspires entre tes dents, sifflant légèrement de douleur ça va tu t’amuses ? tantôt sérieux, tantôt amical c’est pas nouveau, j’ai toujours eu les bras et les mains pleines de cicatrices et de bleus… on dirait t’as oublié nos années aux camps. parce que depuis, tu n’avais pas tant changé ou plutôt, tu avais progressé lentement sur le chemin de la violence plus simple que celui de l’amour.

du feu, des cris, des coups et du sang, tu en as à revendre, pas la peine de le voler aux autres. qu’il amène juste l’huile sous forme de mots ou de coups et tu lui révèlera ton arsenal ! et Seren n’est plus timide ni muet, donc il pourra facilement alimenter le feu de ton cœur pour s’y brûler.
mais cette fois, tu n’étais pas sûr d’avoir la même gentillesse de panser ses brûlures.
parce que cette fois Seren ne pansait pas ton cœur avec son amour, mais y plantait les griffes pour le meurtrir et l’enrager encore plus.

vous n’étiez plus fils de l’Amour et de la Vengeance, mais tous deux fils de la Colère.

tu secoues légèrement la tête, ennuyé, pas la peine. de te féliciter, car ce n’est pas tellement ce que tu voulais, faire parti d’un groupe qui avait les idées trop grande pour ses moyens, avoir la tête de Cerbère au lieu de celle de Zeus, devenir un chien de la loi, près à mourir pour défendre cette île, tous ces exploits dûs au fait que tu voulais, espérait, protéger une personne chère. mais pas les exploits que tu voulais à ton nom. donc tu n’as pas besoin de fêtes, ni aujourd’hui,
ni demain.

puis tu hausse légèrement les sourcils, t’étonnes un peu qu’il ait été présent à cette soirée - est ce qu’il te l’avait dit ? tu ne sais plus. le temps était bien cruel -. un “ah” allait t’échapper quand il te raconte son côté de l’histoire, mais tu te retiens de justesse, ne voulant pas paraître insensible à ce point, surtout que tu savais à quoi ressemblait cette douleur de pleurer une personne aimée. mes condoléances. simplement à la place, car savoir ce qu’était cette douleur ne voulait pas dire savoir exprimer son empathie. c’est pas grave. ‘fin dans le groupe de personne avec lequel j’me suis retrouvé ce soir-là, y’en a pas mal qui ont rien pu faire ! essaye de le rassurer, pas très convaincu puisque tu avais horreur d’être inutile mais en contrepartie y’en a d’autre qui peuvent faire quelque chose, ou au moins essayer… et ces derniers mots là se perdent dans sa phrase, dans sa pause.

un silence de quelques secondes s’écoule, le temps que tu réalises la pesanteur de ses mots, que tu réalises son regard sur toi. tu alors ton regard dans le sien ”tu aurais pu si” quoi ? un sourire en coin se traçant sur tes lèvres - un tic presque, la colère grimpante - pendant que tu secouais la tête prends pas c’ton là… me r’garde pas comme ça Seren ! tu aboies presque, l’expression sombre fait pas comme si j’t’avais pas écrit pendant un an, fait pas comme si j’t’avais jamais demandé “ça va ?” ou quoi ! tu te relèves, recule d’un pas ou deux, entre colère et terreur - colère et terreur envers lui de le voir si changé, si méchant, colère et terreur envers toi pour croire que tu aies pu être absent pour ton ami - j’ai essayé ! j’ai essayé et t’as pas voulu parler donc j’ai pas forcé c’est tout ! alors remets pas la faute sur moi Seren !! qu’il soit fier de ne pas avoir simplement alimenté le feu, mais d’y avoir jeter l’huile !
cette tombe qu’il a creusé, tu n’y laisseras pas vos corps, mais vos cendres.

le temps est un concept bien étrange; il fait des amis proches, de ceux qu’on pensait connaître presque par cœur des étrangers. son regard, son sourire, tu n’y reconnais pas le Seren de tes souvenirs. il était la muse de tableaux calmes, aux traits posés, colorés, mais là il te force à peindre des toiles turbulentes aux couleurs bien sombres, aux traits bien grossiers. il te fait peindre la colère, cette colère qui pousse à sortir les crocs face à quelque chose dont on a peur, face à quelque chose qu’on ne comprend pas — ton instinct trace Seren comme un ennemi.

un rire sec quitte ta gorge ouais t’as bien appris à parler hein ? tu vas même jusqu’à mettre des mots dans ma bouche ! tu voudrais lui arracher les cordes vocales pour insinuer de telles choses, le rendre muet pour toujours pour l’arrêter de planter le doute dans ton esprit sur tes propres pensées. tu voudrais le faire taire à tout jamais pour te montrer ta culpabilité. tu n’étais pas coupable. tu ne pouvais pas être coupable puisque ta Mère t’a mit des balances en main.

Seren se lève, tu le suis du regard, lui rend sa colère, sa vengeance. mais tu vacilles, à ses yeux tu es le plus coupable des deux. je- sais pas. je ne m’attendais pas à ce que tu dises ça. je n’ai jamais appris à lire entre les lignes. c’est- possible que je ne sois jamais venu. tu voudrais le faire taire à tout jamais pour te montrer ta cruauté. tu reprends pieds, refusant son verdict. je vais pas vers les autres quand on m’demande pas !! parce que j’sais pas quoi faire, l’Amour c’est pas mon truc ! tout ce que j’sais faire c’est frapper, gueuler — fais pas genre tu sais pas quel genre de gars j’suis Seren !! des excuses, des excuses, des excuses pour ne pas changer, ton obstination à ne pas changer devenait ridicule. mais pourquoi changer quand tu avais raison ? quand ta violence était divine, faisant de toi le messager de la justice de ta Mère ?

la justice de ta Mère est bien cruelle, mais elle est vrai. donc et tu sais quoi !? crié en attrapant Seren par le col de son haut avec les deux mains - serrant fort, si fort, c'était comme si tu voulais l'étouffer -, provoquant des grognements et des aboiements de la part de Pachinko que tu ignores totalement - tu veux ma colère ? et bien tiens ! - oui, j’préférais quand tu parlais pas. avec avec une certaine méchanceté dans la voix tu sais pourquoi ? parce que j’préférais comment c’était avant — quand on était ado, quand c’était plus simple, quand on avait pas à être mêlés dans des intrigues politiques à la con, à faire face à des monstres, à la mort, quand les injustices étaient pas si flagrantes, quand on avait pas à s’battre plus que ça pour s’faire traîter comme des gens !! essoufflé, tu le relâches avec une certaine force, sans te soucier s’il tombera par terre on était p’t’être ignorants et on vivait p’t’être dans une illusion mais ‘tain c’était mieux que c’qu’on s’tape ici… les derniers mots presque marmonné.

la maison de la Colère je la connais par cœur. prends ma main, je t’y guiderais, je te montrerais tout de cette maison des horreurs.

crier tu le faisais déjà, ta voix grondant dans l’espace du labyrinthe mais le frapper ? rêve toujours. tu craches. tu étais violent oui, il l’était encore plus et méritait sûrement ton poign dans sa figure faussement angélique mais tu ne pouvais pas frapper un ami. aussi pourri soit-il tu ne pouvais pas te forcer à lever la main sur lui. ce ne serait pas juste.

et voilà que lui aussi se met à crier, à frapper, à te regarder droit dans les yeux ! et voilà que tu prenais plus de plaisir à cet échange, à ses morsures et son venin car il ne se cachait plus dans le ton de sa voix, il te le crache en plein dans le visage ! et qu’il plante ses ongles dans ta chair, comme avant mais plus pour aspirer ta rage mais pour montrer la sienne, tu prends ses avant-bras dans tes mains et serre, pour le retenir ou l’inviter à mordre plus fort, dans tous les cas, le premier qui lâche alors sera le plus faible. partir ? tout abandonner et partir ?! tu souffles un rire et partir où, hein ? j’retourn’rais pas dans mon bled et toi non plus j’pense pas que t'en aies envie ! retrouver vos parents humains qui ne voulaient pas vous connaître alors et ne vous reconnaîtraient encore moins maintenant. puis passer le restant de nous jours à se faire traquer par des monstres ? non merci ! j’t'avoue qu'en un an j’en ai eu assez de courses, d’insomnies et de cauchemars ! Seren savait ce que c’était que d’être traqué par une entité inconnue mais menaçante, une entité à portée de main mais contre laquelle on était impuissant, une entité qui ne s’arrêterait pas tant que ton sang n’avait pas coulé ? ça s’voit la vie dehors tu sais pas c’que sait. c’était peut-être il y a dix ans, mais parfois il te semblait que ce n’était qu’hier, parfois tu te réveillais de peur que le toit sur ta tête ne soit que faux, que la faim, la soif te hantent à nouveau partir s’rait encore plus compliqué que d’rester. tu préférais cette cage en or que vos corps, son corps, crucifié dans l’espoir d’une vie plus libre dehors.

mais là c’était toi qu’il crucifiait, plantant ses ongles - ses griffes ! - dans ta peau, mais ce picotement, ce sang qui perlait de ta peau rien de cela ne te faisait vraiment mal au contraire un grand sourire se trace sur ton visage — tu t’en sentais presque plus vivant.
puis quand un ami frappe, ce n’est que juste de frapper en retour, n’est ce pas ?

un champ de force se forme autour de toi au moment où tu lâches les avant-bras de Seren, le projetant à nouveau au sol, à quelques pas de toi et cette fois avec plus de force. à peine par terre, tu t’avances vers lui. les derniers rayons de Soleil projettent encore vos ombres sur le sol et la tienne s’agrandit menaçante avant que Pachinko ne se place devant Seren et grogne, aboie, dans ta direction. mais sa loyauté est partagée entre toi et ton ami donc elle ne t’attaque pas, espère simplement te faire peur, te sortir de cette colère. tu t’arrêtes, ne lui dis rien, la fixes simplement dans les yeux pendant que ton ombre continue de s’étirer, se fraye un chemin dans celle de Seren pour le contrôler, le forçant maladroitement debout, comme une marionnette, tout en entravant ses poignets et chevilles.

qu’est ce que tu fais ?
ce que Seren a voulu de toi, non ?
il a voulu que tu cries, il a voulu que tu le frappe et bien voilà ! qu’il savoure ta colère !
il ne l’a pas voulu si forte ? oh mais toi tu ne connais pas la retenue ! et peut-être c’est parce que tu l’aimes tant que tu fais si mal, parce que les plaies qu’il t’a fait aux bras ont directement transpercé ton cœur te faisant mal, si mal, parce que c’était Seren; Seren qui avait été comme un phare, te ramenant sur les rivages du calme mais maintenant t’amenait plus loin vers la mer ouverte, si loin que tu n’entendais plus ton nom, ses cris, les sanglots dans sa voix.

c’est étrange comme sensation d’être le Méchant de l’histoire. sous tes yeux Seren semblait adolescent à nouveau, encore plus frêle que maintenant, englouti dans ton ombre qui semblait gigantesque, écrasé par ta présence qui semblait dix fois plus grande que ce qu’elle n’était.
c’est étrange comme sensation de vouloir faire mal à son ami.
c’est étrange comme sensation de lui vouloir tant de mal et en même temps, tant d’amour et à cause de ces “tant”, ne plus l’entendre.

“arrête”, qu’il dit.
“ARRÊTE”, qu’il crie et, enfin, sa voix t’atteint. sans le contrôler, les entraves autour de ses poignets et chevilles se desserrent, laissant leur prisonnier libre. ton ombre déformée reste autour de la sienne, menaçante mais inoffensive tant que leur maître n’en faisait rien. il t’a fallu un instant d’immobilité physique, de vide mental pour réaliser que Seren avait utilisé ses pouvoirs sur toi. mais comment lui en vouloir quand tu venais de faire de même ? non, ce qui enflamme ton cœur c’est ce qui suit ! te détester, toi ? pourquoi ? tu lui avais donné ton corps à brûler, à enterrer, tu lui avais pris la main pour le guider dans la maison de la Colère, tu avais crié, frappé, tu lui avais donné ce qu’il attendait de toi et c’est comme ça qu’il te remercie !? ooh donc c’est de ma faute maintenant ? bien sûr… bien sûr ! tu ris, presque maniaque c’est toi l’gentil, l’innocent, de nous deux ! même ta colère à toi est sainte, est justifiable ! bah p’t’être que moi aussi j- j’te déteste ! tu aurais voulu finir mais un Dante ! résonnant dans le labyrinthe vide te coupe. tu te retournes à l’appel de ton prénom, et vois arriver Leta pressée, l’expression sombre dépêche-toi : le devoir n’attendra pas. le Lion est ici et nous devons agir. et tout de ta carrure change, bien que ton expression reste sombre, tu sembles d’une certaine manière plus posée, un soldat docile. tu te tournes vers ton ami, Seren, prends Pach’ et restez ici, mettez vous à l'abri dans les locaux. mes collègues vous guideront. ferme, avant de suivre aussitôt Leta. il n’y avait pas une minute à perdre.
l’amour, la colère, la haine, ce mélange d’émotions, de mots et de non-dits qui pourrissent vos âmes, tout ça devra attendre.