Naissance Abel naît à New York troisième d'une fratrie qui comptera sept enfants. Son père ne dit rien d'un de ses fils qui ne ressemble pas tout à fait à ses autres enfants ; sa mère le borde et l'oublie comme les autres.

6 ans La famille Kozlovsky vit dans une école hors contrat où les parents enseignent et voient leur rêve puéril d'éducation universelle et égalitaire s'étioler peu à peu. Plus les années passent, plus les enfants sont mis en compétition avec leurs camarades, puis entre elleux.

8 ans Toustes les adelphes d'Abel excellent dans une matière sauf lui, qui peine à étudier ; ses parents célèbrent au moins la force de son caractère, et font lentement peser sur lui la déléguation de l'autorité parentale à la place de son frère aîné. S'il prend les coups pour ses frères et sœurs, Abel a au moins le droit de les redistribuer et de les rendre, élevé dans la certitude qu'il faut faire apprendre leurs erreurs aux enfants pour le bien commun.

11 ans Abel guérit et berce ses adelphes qui se mettent à babiller et rire comme de très jeunes enfants suspendus à son cou. Cette innocence artificielle le répugne et lui creuse une peur qu'il refuse de regarder. Lorsque sa mère le prend à guérir les plaies de son frère, elle éclate en sanglots et le menace sans qu'il comprenne vraiment sa faute. C'est efficace : Abel tue sitôt ses miracles dans l'œuf. Un jour qu'il promène sa petite soeur, il entraperçoit l'isthme — pas elle — et se contraint à oublier pour ne douter de rien.

12 ans Abel surveille ses adelphes plus que lui-même ; il se bat avec son frère aîné qui a embrassé la fille sur qui il avait jeté son dévolu, et fait mine de ne pas connaître le garçon qu'il a embrassé derrière un bâtiment. C'est un âge confus qui l'étouffe et lui fait peur, lui faisant douter pour la première fois de sa jeunesse. Ses adelphes le craignent, les autres le méprisent, mais personne ne le défie. Comme on rôde et cherche Abel à l'odeur en ville, ses parents le persuadent qu'il ne lui est plus utile de quitter l'enceinte de l'école.

13 ans Cette méthode le protège un temps, mais finit par ne plus tenir ; un incident d'une rare violence survient à l'école lorsqu'on cherche Abel dans les murs, et à la suite de quoi les dysfonctionnements au sein de l'établissement sont par hasard mis à jour. La pression judiciaire préoccupe les parents peut-être davantage que la poursuite des monstres ; refusant de se séparer d'un seul de leurs enfants, c'est-à-dire, leur chair, avenir, investissement et propriété, iels promettent l'accomplissement d'une éducation absolue en abandonnant tout attache. La famille déménage sans arrêt et s'enfonce dans la réclusion. Abel, contenté dans son rôle de gardien attitré, ne se doute pas que c'est lui qu'on fuit, qu'on fait fuir. Malgré tout, certaines choses ne changent pas : on fait école dans les chambres d'hôtel, et on appelle les parents Monsieur et Madame de huit heures à dix-huit heures.

14 ans Un soir où la lourdeur d'un motel de la banlieue de New York est épuisante mais ordinaire, son frère aîné éveille Abel dans la nuit. Il ne sait pas lui expliquer, mais lui révèle simplement qu'il est nécessaire qu'il parte, conclusion tirée de la recomposition des messes basses de leurs parents, leurs regards dérobés, les secrets soulignés au simple accent de leurs mots. Ruben le protège autant qu'il le chasse, il l'exclut de la famille comme des humain·es et éloigne ainsi le danger qui guette les petits en cherchant Abel. Sur la plage de Long Island, c'est la seule étreinte qu'ils se sont fait dont Abel se souvienne ; il retrouve l'isthme et finit le chemin seul. A peine avant son arrivée, il cherche à rebrousser chemin pour rentrer chez lui et se perd dans la Brume qui se reforme. Une nymphe vole à son secours et il arrive à Nausikaa sans soulagement et vide de tout.

15 ans L'île n'a rien de commun avec ce qu'Abel connaît ; la conception locale de l'autorité lui échappe et il se sent étranger de ses semblables. Il anticipe son propre déclassement en asseyant son influence et en forçant son inclusion sociale, mais il ne parvient pas à dépasser l'amertume que lui inspire ce qu'il estime être de l'insouciance.

18 ans et ensuite Il ne craint pas sa première sortie, certain de son propre succès — son arrogance irrite car elle paie, Abel regagne New York en croyant respirer mais retrouve une ville qu'il n'a qu'à moitié habité. Il ne cherche pas le contact de ses adelphes, éclaté·es à travers la ville, ni de ses parents qu'il a renié. Il étudie, sort, fréquente les jeunes adultes et célèbre le mérite par-dessus le divin en cherchant partout à diluer sans succès la latence de sa colère. Nausikaa et le monde extérieur ne sont pas assez pour lui et ne lui rendent jamais le dû qu'il estime qu'ils lui ont volé.