It's in the blood

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c’est absurde et futile, ça ne sert presque à rien. redoubler d’efforts pour quoi au final? Susano a beau penser s’être résignée à recevoir quelconque reconnaissance de son père, au fond, elle ne s'entraîne pas par simple plaisir de jouer au bûcheron. si elle n’avait pas cette rage de vouloir se prouver auprès de ceux qu’elle juge comme étant plus chanceux qu’elle, elle ne prendrait pas le temps de s’adonner dans des compétences qu’elle perfectionne depuis jadis, un temps où même ses souvenirs n’existaient pas encore. et si elle souhaite prétendre arriver à la cheville de ceux contre qui elle se bat sans réciprocité, il lui faudrait encore des années de lutte contre l’écorce charnue de l’arbre qu’elle avilit. à défaut de laisser une larme amère ruisseler sur son visage, des gouttes de sueur s’égouttent de son front ainsi que de son corps tout entier. elle maugrée et s’acharne sans discontinuer depuis l’aube déjà. une routine qu’elle a installée dans son quotidien depuis au moins quatre ans maintenant. si elle ne travaille pas, elle s'entraîne. au final, à ses yeux, ce sont deux choses qu’elle considère comme étant les mêmes.

habituellement solitaire, cette solitude se brise dans un bruissement de pas arpentant l’herbe verte et dense que le vent froid caresse. Eshal. elle ne se retourne pas mais reconnaît cette voix familière. tous les jours. à vrai dire pas exactement, presque tous les jours serait plus précis. mais elle n’est plus à ça près.

elle scrute avec minutie le fils du Soleil lorsqu’il évalue les blessures éreintées de l’arbre, trop imparfaites et clairsemées aux yeux de Susano, espérant qu’il sera clément dans son verdict. ce dernier ne la déçoit pas, mais il n’a pas tort. taillader de myriades de coups, un tronc immobile n’ayant même pas la capacité de riposter, c’est presque une perte de temps. elle se voit alors ravie, presque honorée, que son ami se désigne à la place.

dès lors que son arme se transforme en une extension de son bras, il n’est plus Eshal l’ami de Susano. à sa place, se dresse Eshal Al-Shennawi, membre du Clan Sparte. c’est moi qui vais te montrer. fière, Susano brandit à son tour sa lame qu’elle érige devant elle, mettant son visage à l’abri de quelconque estocade adverse tandis qu’elle recule, laissant les arbres qu’elle a brisé hors de danger. dans son esprit, elle fait le vide et transforme sa sagesse mentale en force physique. elle se sait forte et droite, enchaînant des mouvements puissants et justes mais elle reste consciente de la potentielle dangerosité de son actuel ennemi. et ne me ménage pas parce que je suis une femme. ça pourrait te tuer. elle a conscience qu’Eshal ne l’a jamais traité comme telle. et si d'autres considèrent le fils d'Apollon comme un homme indigne, le portrait qui est en train de se peindre dans les plaines est en réalité une bataille d’homme à homme.

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en temps de guerre, tous les coups sont permis. bien que non théâtrale, Susano se donne tout de même en spectacle face à son ami Sparte. et que l’herbe verte de ce paysage se retrouve peinte du vermillon de leurs corps si c’est c’est le nécéssaire à faire pour élire un vainqueur de cette guerre pacifiste ! une bataille sans blessures n'est rien d'autre que la paix. frivole si l’on souhaite que les choses changent.

de nouvelles plaies se dessinent alors sur le corps de Susano. les premières, elle avait pour habitude de les compter, se disant qu’elles symbolisaient ses efforts acharnés. si d’autres avaient le privilège de voir leur dur labeur porter ses fruits dans des muscles naissants, Susano comptait sur sa souffrance pour lui apporter des résultats. malgré sa déception à la vue de certaines caractéristiques de son corps, ces marques indélébiles lui permettaient de prendre le contrôle. elles lui permettaient de se dire ça, je l’ai voulu. aujourd’hui elle a perdu le compte des traces ornant son corps. une blessure ne signifie rien de plus qu’un vestige d'un entraînement autrefois douloureux. d’ici quelques mois, elle ne sera même plus capable de différencier ces coupures fraiches des plus anciennes. elles ne seront que quelques-unes parmi tant d'autres autres. venant d’Eshal, c’est presque un signe d’amitié. pas mal pour un homme. lui lance-t-elle d’un ton équivoque à la sensation des coups infligés.

Susano garde une distance raisonnable entre eux. leurs cris, amusés ou plus sérieux, transforment la plaine en champs de bataille dont ils sont les seuls guerriers. si Eshal se bat avec la possibilité d’honorer les spartes du bout de son arme, Susano, elle, n’a d’autre admirateur que son adversaire lui-même. en fin de compte, pour trouver l’estime qu’elle recherche tant ailleurs, nul besoin d’arpenter terres et mers, nul besoin de gravir des montagnes ou traverser quelconque sentier sinueux. car pour trouver cette estime, il lui suffit de croiser le regard félin de celui avec qui elle croise le fer.

et d’une taille au torse bien maîtrisée, une goutte de sang déferle de son ennemi. mais cette traînée rouge émise par le corps d’Eshal n’est pas la seule à se joindre à la fête. tout autour d’eux, tombent dès à présent des larmes d’Ouranos. dès la première goutte entrant en contact avec la chaleur de sa peau, elle réagit. quelle ironie… une telle météo contre le fils du Soleil. mais cela ne l'arrange pas pour autant. la pluie viendra se confondre avec la sueur qui aurait prouvé ses efforts. pour perpétuer ce désir caché d’impressionner, elle doit maintenant darder ses coups avec d’avantage de force.

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à quoi est-ce que tu joues? bats-toi ! nous n’avons pas terminé ! il te suffit d’une pluie pour te relâcher? brandis cette arme devant toi ! tranche moi avec la pointe de celle-ci ! mais Eshal a raison. si la pluie dissout la sueur et le dur labeur, pourquoi donc perpétuer le combat? dans son esprit qui ne veut rien d’autre qu’en découdre, cette réflexion évite Susano. alors que le Sparte abaisse son arme et la plante dans la terre plutôt que dans la chair, le bras de Susano reste en suspend dans le vide, droit devant elle. à l’entente de ses paroles, son visage ne se froisse pas. il reste de marbre, mais elle recule d’un pas. tel un animal prit au piège, elle a l’impression d’être dans une impasse. d’un tempérament habituellement calme, Susano réagit sur la défensive. ce n'est pas contre toi, Eshal, mais tu penses sincèrement que j’ai envie de me mêler à des membres de ma fratrie et d’autres gars dans leur genre? probablement. je ne suis pas comme vous. mais elle aimerait l’être. je n’ai pas besoin de ça ! si elle se joint à eux, elle appartiendra à quelque chose.

son arme s’abaisse enfin et se plante à son tour jouxtant ses pieds dans l’herbe humide. si elle comptait partir et fuir cette conversation qu’elle pense insipide, elle aurait fait demi-tour sans même laisser une chance à Eshal de terminer sa part du dialogue. quelque chose la retient. au fond, n’est-ce pas ce dont elle a toujours rêvé? s’épanouir ailleurs que dans les plaines vides. non pas que sa solitude l’attriste. si on lui promettait une vie solitaire à jamais, il lui faudrait encore un moment avant qu’elle ne sombre. c’est ce que l’on croit lorsque l’on ne connaît pas la vraie solitude. et Susano n’est pas seule en réalité. elle a des amis et fait même face à l’un d’eux. elle a un travail qui lui plait. se salir les mains ne la dérange pas. alors bien sûr au lieu d’être à la merci des guerriers et de leurs armes, elle pourrait être de ceux qui lui les abîment et les brisent. on lui donne la possibilité d’être deçà-delà de la guerre, de devenir celle qui répare ce qu’elle casse, alors pourquoi n’accepte-t-elle pas? elle a toujours voulu d’une vie où elle se fondrait dans la masse, où elle serait sur la même place du podium que ses adelphes. en réalité, elle craint. en restant à l’écart du combat, elle reste loin de de son paternel, celui qui ne veut pas d’elle. si elle évite ce qui lui rappelle la cause de ses tourments, alors elle ne souffrira pas. mais un vrai guerrier n’abandonne pas son objectif. serais-tu faible Susano?

son regard dépoli n’ose même plus aller à la rencontre de celui de son ami. elle laisse la pluie laver son chagrin — et sa rage — qui auraient été immédiatement mit en lumière quelques minutes plus tôt. si c’est une proposition que tu me fais là, et ça sonne tout comme, désolée mais c’est non.

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mais Eshal, ne comprends-tu pas? j’ai abandonné il y a des années de cela. l’arme de Susano quitte la terre où elle se reposait un instant. elle en saisit le manche et pointe l’extrémité tranchante sous le menton de son ami. son visage vire à la colère. en l’espace de quelques secondes seulement, cette sagesse accumulée depuis tant d’années s’évapore dans l’air, laissant place à une Susano plus féroce. si Eshal a pu la trancher de sa lame sans qu’elle n’y voit d’inconvénient, faire de même avec des paroles est quelque chose que Susano supporte moins lorsque cela touche à sa corde sensible. tu n’es rien d’autre qu’un imbécile ! elle hausse le ton. moi qui pensais que tu venais simplement te battre pour le plaisir de le faire. comme quoi même sans le vouloir, elle reste la fille de son père. tu as fais tout ce chemin pour me convaincre de rejoindre ton stupide clan ! elle est l’imbécile dans l’histoire. elle a honte ! elle a honte !

à son tour elle fait reculer Eshal. leur bataille ne ressemble plus à ce tableau chevaleresque qui se peignait il y a quelques instants de cela. maintenant il n’est qu'abstrait. il ne ressemble à rien, il est laid, brouillon. au final c’est ça la guerre. c’est sale, ce n’est pas noble. la guerre c’est voir le sang couler sans même être capable de discerner à qui il appartient. c’est donc aussi entendre des mots sans savoir s’ils ont été profanés par un allié ou un ennemi. poussé par Susano et son épée, Eshal se retrouve maintenant adossé à l’arbre esquinté, la lame toujours nichée près de sa peau, toujours prête à l’abîmer lui aussi. ils se retrouvent alors au point de départ. près de ce même arbre qui a démarré leur interaction. tout est pourtant si différent. la rage se logeant à l’intérieur de Susano gronde plus fort qu’un orage et pourrait même étouffer le clapotis des gouttes s’écrasant contre la verdure.

elle lâche prise sur son arme. l’épée fait un plat contre le sol, suivie de près par une larme dégoulinant de la joue de la triste guerrière. elle se l’autorise car elle sait qu’Eshal ne la verra pas. elle pleure comme il pleut car elle sait qu’il a raison et que même en cherchant au plus profond de son être, aucune répartie ne s’offre à elle. les bras ballants, la mâchoire serrée et les ongles plantés dans la peau de ses mains; Susano s’avoue vaincue.

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ses paroles résonnent comme une lame dans la chair. ils sont invisibles mais plus douloureux. un silence s’installe et plane un instant. Susano rembobine les dernières minutes passées ici. elle pose le pour et le contre. elle aimerait tant dire non, mais elle ne peut pas. ses lèvres s’entrouvrent mais aucun mot n’en sort. elle ne peut plus maintenir le regard d’Eshal. elle ne peut pas non plus diriger son œil au sol. seuls les perdants font ça. et si elle lui tourne le dos, il aura l’opportunité de s’en prendre à elle par derrière. une honte. alors Susano élève son regard vers les cieux. la pluie persiste mais lorsque l’on y prête attention, on remarque que le ciel est lumineux. le soleil se fraye un passage à travers les nuages clairsemés. même lors d’intempéries, la lumière reste présente. son rai percute le fer que son ami a ramassé et se reflète en leur direction.

elle repense à ces mots qui l’ont mise en rogne juste avant d’éclater en sanglots. t’es la première à vouloir renverser les normes et maintenant que je t’en donne l’occas tu te dégonfles? se le répéter ne calme pas sa tempête intérieure. mais il faut se rendre à l’évidence, Eshal dit vrai. se battre tant de temps pour des raisons bien à elles. s'entraîner de l’aube jusqu’au coucher du soleil pour espérer caresser l’espoir de recevoir la reconnaissance de son père. toutes ces années d’efforts pour au final se dégonfler lorsqu’une opportunité concrète s’offre à elle. elle s’est d’abord dit que si le clan sparte était sa solution, Eshal aurait été celui qui a résolu ses soucis et sa fierté l’empêche d’accorder la gloire d’un combat qui ne concerne qu’elle à un homme. mais en y réfléchissant, elle est celle qui décide. elle est celle à qui la décision finale revient. Susano se calme pour de bon et en vient à la conclusion que ce croisement de fers n’était pas que physique. il était personnel, intime, amical, et ils l’ont gagné tous les deux. Susano saisit le manche de l’épée que son ami lui tend et la range à sa ceinture. la guerre est finie. les gouttes continuent de ruisseler sur eux mais il ne pleut plus. j’accepte. lui répond-elle finalement en maintenant son regard.

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