The future's unwritten, the past is a corridor
I'm at the exit, lookin' back through the hall
You are anonymous, I am a concrete wall
Je crois me souvenir de ces jours-là comme des jours heureux : je crois. Il faisait froid — de ce froid venteux qu’on ne ressent qu’au large, et qui ne prend rien de la chaleur de la ville-monde, dont les rues fourmillent loin de nous, oubliées. Quand il neige, comme aujourd’hui, l’horizon disparaît : la ligne du ciel perd son horizontalité pour prendre le flou mousseux des flocons. Tout, alors, devient de ce gris naturel qu’on retrouve dans les couleurs du lichen ou de la pierre. D’ici, chaque paysage est une marine, un beau tableau de mer très plat qui crée en moi un mal que je ne sais pas encore ; un appel d’air, un vide, qui deviendra insurmontable.
Je suis jeune, et ce n’est pas encore le cas.
Je suis jeune, et je ne comprends pas le manque que génère cette absence d’un paysage irrégulier.

Les vagues engloutissent tous les flocons qui effleurent leur crête, et les avalent avec cette beauté insignifiante qu’ont les disparitions. La nature est belle, et toi aussi.
Micaela avait, dans les traits de son visage, tout ce qui manquait à l’horizon d’ici — un beau relief forgé des mains d’un dieu. Si je n’ai qu’un amour terrestre, ça devait être elle : son profil découpé contre le ciel avait la rigueur des falaises de craie, et tout, de la ligne de ses sourcils à la courbe de ses lèvres, gardait la blancheur pure des grands hivers de la pleine nature. J’avais aimé ses cils, et j’avais aimé ses yeux, dont l’écume enviait la couleur ; j’avais aimé ses mains, noueuses comme les pins du littoral.
Ici, d’ailleurs, j’ai pris sa main.
Nous avions marché longtemps sur la côte, longeant ce front de mer préservé du monde où ne poussait que la bruyère — en cette saison, les buis étaient encore couverts de neige. Ici, sur le promontoire où s’arrêtait notre vie toute entière pour plonger dans l’océan, j’ai pris sa main.

Dans ma poche, j’avais un anneau — une de ces bagues en céramique lissées par le feu, un microcosme minéral moulé de mes mains à moi, enfant de mon esprit et de mon travail. J’avais choisi une de ces porcelaines très pures dont le corps ressemble aux os, une de ces porcelaines très pures dont la chair laisse filtrer le soleil avec l’amour tendre des chauds rayons ; j’avais tracé les courbes pour qu’elles embrassent son doigt, pour que l’émail, translucide et froid, se réchauffe à la tiédeur même de sa peau : c’est ainsi que mon art épouse la perfection de sa personne.

Je n’ai rien dit : il a cessé de neiger, et j’ai sorti l’anneau de ma poche ; je lui ai donné, à plat contre ma paume, comme on donne aux dieux qui représentent la nature — une offrande, pas une promesse.

---