Le problème avec les promesses, c'est qu'elles peuvent rapidement s'étioler avec le temps ; n'avoir que le poids de leur intensité, prononcées lors d'une soirée arrosée... mais dans le banal du quotidien, elles perdent de leur sens. Aussi, Dean avait oublié sur le moment qu'il avait bel et bien une vie en dehors des fêtes étudiantes, et que le championnat de fin d'année approchait à grand pas. Les entrainements étaient de plus en plus fréquents et prenants, les révisions aussi. Si bien que le mystérieux chapitre Pascal Petit devint une anecdote lâchée à sa mère, puis se mua en quelques lignes en bas de page. Une annotation, rien de plus.

Mais à la veille du deuxième week-end succédant la rencontre, Dean se rappelle soudainement de son intérêt. C'est allongé sur son lit, dans le studio que lui paie Micaela, qu'il songe à son envie de sortir. Pas voir ses amis, ah non ! Ça, il en prédit l'ennui dès lors que l'idée lui traverse l'esprit. Il préférerait braver les rues bondées de New York pour rejoindre ce lieu où travaille Pascal. Le Danaé.

Vendredi soir. Il est certain que Pascal y serra. Avec le samedi, c'est le jour qui témoigne de la plus haute fréquentation du casino.
Dean passe aisément les contrôles à l'entrée de l'hôtel ; se présente à Ikal et décline son identité, sous-entend plus que ça - sa postérité. Il ne sait pas si ça s'est compris, mais on lui pointe du doigt l'arche aux moulures d'or, encadrées par deux palmiers aux troncs peinturés de dorées. Tout brille. Tout pue le fric et l'indécence. Ça l'attire.

Le legs enfonce ses mains dans ses poches puis pénètre l'antre du casino. Ça lui fait un choc - les sons l'agresse. La magie que renferme ce lieu l'oppresse. Une chance qu'il dépasse d'une tête tous les brigands entassés autour des tables. Il végète, happé par l'odeur étouffante des encens et de la nicotine.

Il ne tarde pas à remarquer Pascal dans la foule. Soudain, son visage s'illumine en le voyant. Rassuré de pouvoir enfin s'ancrer dans le réel. Il a failli oublié ce dont il s'est souvenu récemment - le vol, la course, la promesse, le goût des bonbons alors même qu'il aurait bien goûté à ses lèvres. Ah ! La musique doit lui taper sur le crâne, voilà qu'il pense à des conneries. Et Pascal Petit a l'air d'une brindille mal fagotée. Nerveux, c'est la première chose qu'il lui dit, d'ailleurs : Ma parole, ça te va pas du tout.

Il s'en veut un peu, au début. Il ne voulait pas être méchant ; seulement lui signifier que ... J'veux dire, t'es plus cool avec tes jeans et tes sweats. Là, ça fait pas naturel.

Ok, à mieux y regarder - ça lui donne un style.
Dean lui tapote la tête de sa grande main, ancre sa paume sur son crâne. Pascal a une petite tête. Dean rougit.

Il faut s'adresser à qui pour boire un verre ?

Il hausse un sourcil, naturellement interloqué par la façon dont Pascal exprime ses émotions sans pudeur. Lui-même est un caractère plus réservé, plus modulable. Il a l'habitude de se caler sur les personnalités des autres pour incarner avec cynisme ce qu'ils fantasment de lui, dans l'instant. Le problème avec Pascal Petit, c'est que Dean n'a aucune idée de ce qu'il voudrait qu'il soit. Il se retrouve pris au piège et se force à incarner ce qu'il croit être ; c'est le malaise.

La vérité j'avais oublié. J'étais sous l'eau.

Au moins, il ne ment pas en disant qu'il est occupé. Dean a un emploi du temps de ministre avant l'heure à Columbia. Gérer l'équipe de baseball et en parallèle, maintenir sa moyenne haute - il n'a parfois pas le temps d'y penser qu'il exécute comme un automate. Ça lui va, ça lui évite de stresser. Ses aptitudes naturelles le poussent à s'imposer, et alors la journée des autres se calent sur la sienne.

Mais ça me fait plaisir de te revoir.

Il ne se penche pas plus sur cette déclaration - s'empresse de se tourner de trois quart pour dissiper la tension qu'il a pourtant lui-même installé.

Ah, cool ! Je te suis. Non seulement j'ai le ventre vide, mais j'ai une soif... je me suis perdu dans le métro pour venir, ça m'a pris une heure de plus.

Il n'a pas voulu utiliser le chauffeur privé de sa mère pour ne pas qu'il l'informe de sa petite virée.

Une fois au bar, il s'assoit à côté de Pascal. Ses grandes jambes cognent contre le comptoir, et il se tasse un peu. Pascal commande un soft, Dean sort un billet de sa poche. Comment ça ? Ça me dérange pas de payer. Il se rappelle un peu tardivement que les pauvres n'aiment généralement pas qu'on leur rappelle qu'ils le sont. Alors il se tait. Il accepte comme si de rien n'était. Moi, un thé glacé. Il ne lui fera pas l'affront de commander un cocktail hors de prix.

Ouai, on est quitte. Tranquille.

Il lui donne un coup de coude.

Alors ? Tu bosses là depuis combien de temps ? C'est vrai que... que la fréquentation est... enfin, tu vois de quoi je parle.

Il espère que c'est le cas.
Le barman, de l'autre côté, leur jette des regards circonspects. Il porte le même uniforme que Pascal. À lui, il s'adresse en faisant glisser les deux verres transpirants sur le marbre noir. Petit. Que le patron te surprenne pas en train de flâner avec ton pote trop longtemps. On est blindé ce soir. Et si les clients du boss se plaignent... je donne pas cher de ta peau cette fois.

Dean fronce les sourcils. Il attend que le barman soit occupé ailleurs, par une jolie rousse ne se rappelant pas du nom du cocktail, pour glisser à son nouvel ami : Cligne deux fois des yeux si t'es en danger. Le visage proche du sien, les regards qui se jaugent, les lèvres qui se tentent. Dean oublie la notion d'espace vital et envahit le sien, le temps d'une farce aux allures de défi.