tw : maladie.
4 ans plus tôt.
Saint Francis Memorial Hospital.
San Francisco.
(musique)

Il m’aura fallu du temps. Autant pour me décider qu’organiser un périple pareil. Seul, ça aurait probablement été infaisable ; mais j’ai pu compter sur une aide précieuse. Je devrais leur être redevable… quelle plaie.

Mais c’est un voyage important ; j’oserais même dire primordial, si je veux tourner la page une bonne fois pour toutes. Il est fort possible qu’il n’attende pas ma venue ; je ne sais même pas s’il va me reconnaître après tout ce temps.

Laissant mon escorte à l’accueil de l’hôpital ; c’est vers la secrétaire que je me dirige pour lui demander où je peux le trouver. Deuxième étage, chambre 201. Je remercie gentiment la dame d’un sourire courtois ; même si je remarque son petit regard en coin.

Ce n’est pas tous les jours qu’on croise une grande perche aux cheveux d’une teinte pareille… sans doute que ça n’aide pas non plus de rester discret quand mes lunettes de soleil sont collées sur mon pif.

Ce n’est qu’arrivé devant la chambre, que je prends le temps de les enlever pour les mettre dans la poche intérieure de ma veste. Je vais pour frapper à la porte quand celle-ci s’ouvre et on me rentre dedans.

— Oh, excusez-moi monsieur ! Une infirmière, jeune, mignonne… mais le regard triste comme si elle venait tout juste d’apprendre une mauvaise nouvelle, ou coupable d’en délivrer une ?
— Ce n’est rien.
— Vous venez pour voir monsieur Kovačić ?
— Oui, c’est mon père.

Je vois sur son visage, un mélange de surprise et d’incompréhension. Elle m’invite à la suivre et nous faisons quelques pas nous éloignant de la chambre. Elle s’approche pour me chuchoter quelques mots :

— Il passe une très mauvaise journée. Le docteur est venu le voir ce matin.
— C’est grave ?
— Oui, malheureusement, il a commencé ses traitements bien trop tard, son cancer à atteint sa phase termine.
— Phase terminale…
— Je suis désolé.

Un soupir, et dire que j’allais le voir pour lui souhaiter d’aller mieux, l’ironie est savoureuse. Je reprends toutefois très vite ma contenance ; une question me brûle les lèvres.

— Combien de temps il lui reste ?
— Quelques semaines, un mois tout au plus.
— Je vois… merci. Je peux le voir ?
— Oui, il doit être réveillé.

Un léger signe de tête en guise de remerciement. Ce n’est qu’une fois devant la porte que j’hésite à l’ouvrir… je sens mes mains trembler, sans comprendre pourquoi. Encore un de ces moments où l’on réalise que parmi tous les monstres qui peuplent ce monde et ailleurs… le temps est le plus dangereux d’entre tous.

Une longue inspiration, je retiens mon souffle comme si j’étais en apnée, comme si je m’enfonçais dans les abysses d’un océan. J’ouvre finalement la porte ; mon regard se baladant un peu partout dans la chambre, je n’arrive pas à affronter le sien ; l’impression que dès que je tournerai mes yeux vers lui, tout ce qui me semble irréel deviendra son contraire.

Je tourne enfin mes pupilles vers lui, je remarque qu’il est aussi grand que dans mes souvenirs, il m’a toujours donné l’impression d’un géant, un roc inamovible. Ses pieds dépassent même du lit et ça me donne envie de me marrer.

Il remarque enfin ma présence… et me parle comme s’il m’avait vu la veille, comme si nous ne nous étions jamais quittés.

— T’as bonne mine fiston.
— J’aimerais pouvoir te retourner le compliment.

Il se marre. Il a toujours pris les choses à la légère, et voilà où ça l’a mené. Je suis prêt à parier que c’est une fois que sa maladie a empiré qu’il s’est enfin décidé à consulter. Ça corroborerait ce que m’a dit l’infirmière.

— Tu… ça te fait quel âge maintenant ?
— Qua… un petit râle de frustration. Quarante-six.

Il prend le temps de réaliser en me regardant, remarquant ce que tout le monde penserait après une déclaration pareille.

— Tu ne fais pas ton âge.
— Il faut remercier ma mère pour ça ; elle et ses bénédictions. C’est aussi à cause d’elle et ses petits copains que nous sommes traqués comme des bêtes. Je prends un gros risque de venir te voir d’ailleurs, mais…

Je n’en aurais plus l’occasion après.

— Tu joues toujours ?
— Hm ? … parfois. Dans les playgrounds de la grosse pomme, faut bien s’entretenir.
— Tu regardes toujours ?
— Quand je le peux. Je n’en suis pas encore au stade où je m’endors devant.

Puis le silence. Je suis resté à son chevet quelques heures ; le temps qu’il s’endorme. Quelques discussions échangées, entrecoupées de longs instants de mutisme. L’impression d’être revenu des décennies en arrière où je n’avais même pas besoin de parler pour me faire comprendre.

J’ai conscience que c’est la dernière fois que je le vois… je pensais avoir tant de choses à lui dire qu’il nous aurait fallu des semaines pour tout couvrir. Mais lui et moi sommes allés à l’essentiel, et je ne le regrette pas.

Son temps est compté, comme tant d’autres comme lui. Tous n’ont pas ce privilège qu’est le mien, de ne pas redouter ses effets. Il emporte tout sur son passage… et m’attacher aux éphémères ne peut que me faire du mal. Je finirai par souffrir, pleurer la perte de mes êtres chers ; et continuer le même cycle, encore et encore et encore.

J’en viens à me demander si tout cela en vaut vraiment la peine, s’attacher à eux. Si j’en suis déjà à ce stade avant même d’avoir atteint une moitié de siècle… je n’ose imaginer ce que ça donnera dans des centaines d’années.

Bah… qui vivra verra.