Le ciel s’étirait pareussement par dessus sa tête, une immense toile cirée d’un bleu presque outrageux uniquement tâché par les malicieux nuages. Allongée dans son jardin, Miel se fondait doucement avec la terre. Riche mère, injuste mère, fertilisée par la main habile de Déméter et nourrie par les efforts des divinités du ciel, Une journée qu’elle s’accordait à rien faire, à juste devenir morceau du néant sous les coquelicots qu’elle avait jeté par brassés dans le jardin. 

Leurs robes se plissaient doucement dans le vent, offrant au nez de Miel leurs ridules carmines. Elle riait simplement, les yeux plongés dans son livre, tentant de faire sens des phrases d’un arabe bien trop en avance vis à vis de son piètre niveau, elle ne s’en souciait guère. 

Car Miel appartenait à ceux qui aimaient le dernier croissant de lune avant la pleine lune, ce moment où seule la lutte d’un absolu comptait. A la récompense, Miel ne chassait que la poursuite, la sensation d’une puissance rare avant d’enfermer ses doigts autour de l’objet béni par son regard. 

Egarée au milieu des arabesques d’écritures, elle n’entendit que si lointainement le portail tintant à ses oreilles, annonçant la présence d’un invité. Elle ne vit pas l’ombre gracile d’une femme remontant à ses côtés, évitant de son pas fin les gerbes de ses fleurs tant aimées. C’était enfin lorsque ce parfum d’une rare subtilité vint frapper ses narines qu’enfin, elle daigna repousser le livre de ses yeux. 

à quelques pas d’elle se tenait Minseo, brillante de tout ce que les cieux pouvaient créer et espérer de plus beau. Ses lèvres roulaient d’un Bonjour tout français, avec la splendeur de ces perles abandonnées là au fin fond des mers. Ses vêtements parfaitement coupées, donnaient à sa stature ce je-me-sais-quoi qui faisait frémir les pensées de Mielikki. On dit de ces femmes qu’elles ne sont pas des ordinaires, ces beautés banales qu’on oublie dès que vint l’ouragan. Car l’ouragan était les femmes comme Minseo.

Non.
Dire les femmes impliqueraient plusieurs, et Minseo était unique. Magnifique. 

-Bonjour!

Miel lançait à son tour, se rejettant de sa position lascive pour s’asseoir un peu plus dignement. Une honte sourde lui rougissait les joues tandis qu’une main maladroite, elle faisait tomber la terre parsemant son dos.

-Minseo, un bonheur de te voir. Tu es rayonnante aujourd’hui.

Français toujours aussi voluptueux entre ses lèvres, elle l’avait appris à ses côtés après tout, voici bien l’un des rares présents qu’elle peut lui offrir. 

-Je peux t’aider à quelque chose ?

C’était avec inquiétude qu’elle posait cette question, main couvrant ses yeux du soleil moqueur. 


 

Minseo gouvernait le monde de ses doigts éternels, le rire de ceux ne connaissant de la répartie que la définition bien austère des livres de savoir. On apprenait à ne pas lui désobéir comme elle enseignait qu’on l’abreuve d’attention et d’affection, Miel en débordait de cet amour innocent.

Coupe fendillée, noyant l’âme amputée de sa douce amie. Combien savait-elle de ses peines et de ses langueurs, ses mains tant effleurées de ses lèvres lui avait offert tout les secrets. Alors elle lui offrait de son visage les largeurs d’une noyée, ses bras ne frappaient plus en rythme la surface cruelle de l’eau.

Mielikki se laissait absorber dans l’éternité continue de l’existence de Minseo. Cela lui convenait tant qu’elle lui offrait ses rires de plaisir et ses mimiques exagérées d’émotions surjouées. Une adolescence nouée par l’idée que Mielikki se complaisait à lui être indispensable.

-Oh ? Il est comment ?

Pièce de théâtre déjà bien huilée, joue posée sur ses genoux remontées, elle la contemplait attendait la chute de l’histoire. Un défaut quelconque, une épouse au milieu de sa félicité, un façon de manger qu’il ne plaisait pas à sa déesse, Mais elle ne jugeait pas, ses yeux entrouverts ne trempaient guère dans le doute et la tromperie. Si Minseo prenait le bonheur en noces, alors Miel lâcherai les colombes.

Un rougissement lui parvient, délicate coloration de ses racines et de ses joues. Chaque attention était un poids autant qu’une malédiction, méritait-elle ? Désirait-elle ? Alors, elle bafouillait quelques mots.

-Je…Minseo..il fallait pas, vraiment pas… Je ne saurai vraiment pas comment te rembourser, merci beaucoup.

L’amitié la touchait, la coquetterie flirtait parfois dans son inconscient. Elle aimait s’imaginer jolie, désirée et désirable, les cheveux attachées dans ses tresses si compliquées. Mais la bouche restait entrouverte.

Elle ? Rousse ?

-Rousse ? Comment ça c’est la mode ?

N’ose pas contrarier mais elle ne voulait pas s’imposer, elle penchait, se balançait, tergiversait

-Cela t’irait mieux qu’à moi, j’en suis sûre. J’aime bien blonde, c’est mignon, je trouve.

Avouait-elle à mi-mots.

 

Minseo valsait avec les astres, de ses longs bras, elle semblait saisir la lueur même des étoiles lointaines et les suspendre  dans les fossettes charmantes de son sourire, dans les bords humides de ses yeux de jaspe et toute entière, elle radiait de l’inconditionnelle vérité de son existence.

On se tenait à ses côtés, frémissant, attendant d’être aimé et regrettant parfois de ne pas l’adorer assez pour offrir à ses pieds des prodiges de perles et de rubis, du moins, c’est ce que Miel pensait sous le silence de sa bienveillance. Elle la voyait dénouer sa nouvelle histoire, cet homme au visage déjà oublié par les divines mémoires de Minseo, cet homme dont la seule vertue se tenait dans les ressemblances à ce que Minseo consummait avec joie.

Des clichés, des histoires préfaites, déjà mâchée.
Comme le coeur de cet inconnu, bientôt mâché, bientôt recraché.
La tristesse enserrait brusquement le coeur de Miel, pour cet créature n’ayant probablement jamais offensé nulle divinité avant de croiser celle-çi. L’enfant béni d’Aphrodite et la protégée des cieux.

Ses lèvres ne bougeaient qu’à peine, revelant le tourment dans lequel les confessions la plongeait, elle comme une âme trop tendre face aux jeux impitoyables de l’amour.

-Je vois. Du moment que tu as passé un bon moment, tu devras me raconter les nouvelles modes de New York.

Une façon de détourner, une façon de canaliser, une façon d’entendre la voix de Minseo retentir dans les lieux comme un vent dont la sainteté ne pouvait se quantifier. Le sac de papier lourd reposait sur ses côtes et d’une curiosité dont Miel ne pouvait réfréner la présence, elle plongeait sa main pour ressentir ce tissus dont la transcendante douceur jurait même avec la rugosité de sa peau. Milles précautions tiraient la robe du sac, la déposant sur sa peau claire pour mieux apprécier le contraste des tons pastels sur son corps de craie. Le souffle était coupé, tout admirative de ce qu’elle n’aurai jamais pu s’offrir sans elle.

Avec la plus sincère des reconnaissances, elle leva les yeux. Etouffa un merci qu’elle ne saurait prononcer sans trembler mais dans toutes ses manières, la gratitude éclatait s’exprimait, se taisait par ce trop plein.

-Elle est très jolie.

Balbutia t-elle un instant. Et encore plus doucement qu’elle l’a remit dans le sac, se promettant de la mettre un jour où elle se devait d’être belle. Et c’était prise dans ce geste qu’elle ne vit pas Minseo venir à elle, tomber à son niveau pour lui sursurrer ses paroles.

Le roux, ses cheveux, les paroles sirupeuses dansaient au fond de son être, délogeant avec la cérémonie douceureuse des conquêtes d’un soir ses propres pensées. Alors c’était sans se rendre bien compte de ces gestes, qu’elle commençait à hocher la tête. La joue brûlante de ce contact, ces cheveux voltigeant dans le vent de l’après midi malgré la perfection froide qui les maintenait sous ses doigts.

-D’accord.

C’était presque une hésitation, presque un fredonnement.

-Je veux bien essayer ?

Elle y croyait de plus en plus, persuadée que ces mots mis en elle venait de ses propres songes, une pensée persistante de son reflet roux qu’elle trouvait tout à fait charmant.

-Tu… comptes le faire à la craie ? Je te fais confiance.

Miel l’avait lu, dans les journaux rapportés par Minseo, ces méthodes et ces techniques. Mais elle n’y connaissait rien alors son regard tourné vers elle, tout entier dévoué à son image, attendait ses prochains mots.


 

Miel souriait ses lèvres cousus dans le motif du silence, gondolée par les désirs et les envies d’une déesse née d’hommes. L’idée d’adorer serait bien réductrice pour déployer, recouvrir, serrer en quelques petits mots le périmètre de cette affection brûlée. Miel aimerait se saisir des joues tendres de Minseo, lui promettre d’éteindre chaque astre pour que sa figure Sélenite puisse luire dans le ciel nocturne. Mais cet amour la laissait glacée, cette amitié l’enchantait sans qu’elle ne puisse jamais définir si cela était le fruit d’une accoutumance, d’un don usé sur sa personne ou simplement si elles étaient ainsi faites.

Amies car l’ordre du monde n’aurait guère pu les rendre aigries.

Aller à New York avec Minseo lui paraissait idyllique, des rues parcourues à son bras profitant avec proxy de sa gloire d’enfant de l’écume. Elle s’imaginait rougir de la fierté de se dire qu’elle était l’amie de cette femme. Alors Mielikki lui sourit, signifiant par cet instant qu’elle désirait y aller.

Un jour peut-être, quand l’aube sera clair et les vents doux
Elles iront ensemble à la ville, et Minseo lui montra l’étendu de son empire.

Mais loin était désormais l’instant de ses considérations car Minseo s’avançait à elle, tendait ses longs doigts vers son crâne et toute envoutée, toute domptée, Miel ne dit rien. La craie n’était qu’un artifice, le mensonge était tout entier contenu dans les techniques employées pour teindre. Non, Minseo appuyait ses doigts sur son cuir chevelu, et Miel ne s’attendit à rien. Les yeux écarquillés, l’odorat étiolé par cette fragance, elle ne se rendit pas compte qu’elle changeait.

Modifiée, transformée, la blondeur devint rousseur, tâchant la laiteur de sa peau d’un éclat vivace. C’était quand elle reculait que Miel respira, le souffle tapi au fond de sa poitrine craignait de la déranger. Puis Minseo se fend d’un compliment, le sourire écrit su son visage comme une ode à ce qu’elle était devenue.

Sa main prit une mèche, incompréhension complète de ce qu’elle fut devenue. Une pensée diffuse et perdue envers sa mère qui l’eut enfanté et sa chevelure de blé. Puis le miroir tendu de Minseo lui réflétait l’air doux d’une étrangère.

Elle le saisit, sourit à son reflet, l’amour instillé refusait de se défaire.

-Je ne me reconnais pas, tu fais vraiment des miracles.

Elle s’ébrouait, admirant la courbe de ses cheveux dans le soleil déclinant.

-J’ai…l’air pas comme moi ? Suis-je plus belle ?

Et dans ces termes indécents, elle demandait la confirmation, les questions dansant solitairement au fond de ses iris fauves.

-Mais ça va bien à ma peau! Je devrais peut-être mettre ta robe maintenant… qu’en penses tu ?

Elle sera la poupée de Minseo pour aussi longtemps qu’elle acceptait la garder au creux de ses mains.


 

La beauté était creuse, une notion passagère et fuyante prisonnière des iris de ceux les regardant, Mielikki ne s’était jamais considérée comme belle car être belle signifiait être regardée. Alors elle abandonnait toute vanité pour regarder Minseo, combien d’années aurait-elle voulu contempler encore Minseo ? Sans doute une infinité.


Alors comme ces poupées assises sans but sur les étagères de fortune, Miel se levait. ondulait comme ce rayon de soleil glacé sur le grain de beauté de son amie. Lui souriait des lèvres usées à force d’aimer et secouait la tête sans oser lui dire l’inverse de ses voeux.

-Si je suis belle pour toi, le reste m’est égal.

Et cela n’apparaissait pas à Miel que cela était le piège des enfants de l’Amour quand elle s’engouffrait sous son toit, quand elle repliait avec soin le tablier ornant son corps, quand elle drapait la robe aux couleurs tendres autour de son corps. Quand elle se regardait dans le miroir, elle voyait l’inconnue prête à tomber et à chuter, mais mère seule savait à quel point elle souhaitait s’effondrer.


Sous emprise.

Elle revenait à ses côtés, lui tendait son corps comme un bouquet des fleurs les plus odorants, la pudeur se mêlait à la peur.


-Qu’en penses tu Minseo ? Que penses tu de moi ? Je ne comprends pas pourquoi j’aimerai autant que tu me flattes, d’habitude, je n’aime pas ça mais…

Au soleil dans le ciel,
aux herbes pliées dans le vent.


-Peut être que je t’aime toi.


Tout simplement.