Le monde s’esquissait dans les cendres d’hier et dans les lueurs de demain, elles étaient allongés là dans ce présent, insaissables sauf à elles. Ces instants où rien n’existait sauf elles, les étoiles pouvaient bien être des minces échardes d’un verre divin éclaté que Miel n’avait aucun intêret pour cette nouvelle vérité.

Le rire de Leila guidait les êtres perdus vers ses chaleureuses évangiles, de ses mains  maintes fois abimées -jamais détruites, toujours magnifiques- elle invoquait des existences entières que Miel admirait, approuvait et nourrissait de ses propres pensées. Ces êtres ainsi faits de leurs mots s’hissaient sur deux jambes, maladroitement commençait à marcher avant de tomber en poussière.

Elle riait de bon coeur, Miel aussi. De la gaucherie des mondes amorcés par la parole et de leur impérieuse qualité.

Pour Miel, les étoiles, les lunes, les terres, le temps lui même n’avait pas la moindre importance tant que Leila lui montrait ,durant ces nuits où elle était souveraine, les rêves qu’elle dessinnait.

-Oui. Très loin, plus loin les cercles polaires. Juste, loin. Une île oubliée où on aurai besoin de pêcher.

Mains reposées sur son abdomen distendu par la ventrée, un soupir lui échappait. Contentée, elle l’était. Heureuse, sans nulle autre doute.

-Je n’oublierai pas.

Mots lâchés, fugitifs papillons de ses lèvres rosées par le goulot de cette bouteille abandonnée en bas.

-C’est trop précieux pour être abandonné, trop précieux pour être délaissé. Une vie entière n’effacerai pas notre présent, Leila. Et toi, tu penses qu’on va oublier ?

La mélodie des étoiles, le froissement de ses vêtements contre les ardoises du toit de Miel, l’odeur d’une cuisine usée mais oubliée dans son désordre, des choses dont le sens pénétrant marquait les âmes de sa présence.

Emportée, dissolue, Miel se confessait presque.

-Dis moi…ça serai si mal que ça d’oublier ? Pas nos instants, mais d’autres choses.

Ces choses qu’elle avait vu par accident, ses mains touchées et entremêlées durant un instant, ces enfances chahutantes dont le rire des mères logeaient dans son crâne avec insistance. Quelque chose, quelque chose s’était développée en elle, quelque chose de plus puissant que ce qu’elle avait cru contrôler et maîtriser.
 

Le bonheur se dégustait par milles nuances, un amour disloqué par les mains des anges, un visage tant de fois découvert dans les ruines des civilisations antiques, Leila comme son morceau d’étoile auquel elle contait les songes et les méandres de son être et dont elle l’écoutait. Ses confidences rendaient la larme facile car les mots étaient partagés, pour des eternités à déambuler ensemble, leurs mains ne devaient jamais être séparées

car elles étaient reliées par la quintessence même de l’univers.

A l’âmes liées, les rêves ne se volatissent guère plus, oiseau sage dont les têtes d’un saccage pondéré reposent dans les vallons de leurs paumes. Miel eut envie d’embrasser Leila sur les mains, sur les lèvres, sur les joues, sur les poignets, lui déclarer par les gestes des amants sa dévotion à la saveur d’absolu. Mais elle n’en fit rien et des lèvres frustrées, elle lui offrit la promesse d’être avec elle à chaque itinérance de son âme.

A chaque fois qu’une nouvelle Leila hurlera sa vie à la maternité,
une Miel dormira dans le berceau d’à côté, contenté de l’avoir retrouvé une vie de plus.

De sa main douce, Miel vint repousser une mêche de Leila pour chasses les tracas d’une mémoire infidèle et impie. Le gant empêchait le contact tant désiré et Miel lui chuchotait la quiétitude des astres comme seul témoin :

-Tes souvenirs sont toujours là, Leila. Enfoui dans ton cerveau, dans tout ce que considère de beau, il y a un souvenir caché derrière.

Un sourire menteur, presque douloureux.

-Je le sais.

Parce que Miel les lit. Les visionne encore et encore, comme une intrusion dans le “moi” profond de ses aimés, elle se sentait putride à visionner ainsi la souillure et la joie du monde. Mais qu’était-il à dire si ce n’est qu’elle était désolée. Elle était si lasse d’être écrasée par le point d’un destin que sa douce maman lui avait offert comme autre réconfort que les bras froids de Thanatos.

-Non. Parfois, j’aimerai juste être capable d’oublier.

Oublier à quel point Leila était belle sous le crépuscule, à quel point ses idées tiraient le meilleur de ses rires pour tout redecouvrir une nouvelle fois. Mais Mielikki ne le dit pas, ses sentiments flottaient troublés par la boisson et la proximité que Leila avalait. Des questions sincères et douces dans sa voix, elle aimerait lui confier les soupçons même de ses peines, les violences cachées dans l’esprit de leurs amis. Mais Miel ne lui offrit qu’un sourire en mi teinte, caché comme la face d’une lune trop timide pour se montrer.

-Maman Hestia m’a confié la capacité de lire les souvenirs. Avant, je devais embrasser, maintenant en touchat, je le lis. Tout et si loin. Je veux pas faire ça…

Ses mains croisées sur ses genoux sagement tirés vers son visage.

-ça me fait peur, Leila. Vraiment très peur. J’aimerai tout oublier parfois.

Tellement de malheur, tellement de peine et Miel n’était qu’une minuscule femme, sans divinité en elle.
Elle n’était rien. Un morceau de néant.
 

Par delà leurs crânes et dans les ombres des étoiles bruyantes, il lui semblait bien que sa place au sein de cette cosmologie n’existait qu’à grande peine, par des souffles hachées par l’effort et au final le grand silence du désarroi.

Peut être était-ce un désir égoiste entraînant les gestes et les pensées de Miel dans cette volonté d’exister à travers autrui, que ce désir avait été entendu et amplifié à la hauteur de cette punition divine qu’était d’être soi et tout en même temps pas assez. Tant de choses qu’elle taisait d’ordinaire, pensées fantômes et pressantes tant d’hurlants monstres dont la laideur ne prenait forme que dans la régularité de leurs apparitions, mais face à Leila et ses yeux d’une nuit éternelle

Il ne restait face à la nudité que cette sensation
de se mouvoir dans les déserts de l’oubli
et d’enfin trouver une source où apaiser sa soif.

Sa main contre son corps paraissait à Miel d’une simplicité méchante, ces choses dont on ne nie pas l’evidence mais qu’on rejetait autrefois farouchement. C’était bête, c’était tout ce qu’elle avait toujours voulu.

-Alors, je continuerai à être à côté de toi Leila. Pour que tu saches que tu es aimée et qu’on te trouve belle.

Elle froissait un peu ses doigts, sentant la chair ferme sous son toucher et toute émerveillée par le simple fait que la vie avait béni Leila, elle se taisait. Combien d’hommes et de femmes se sont succédés dans le vain effort de créer Leila ? A chaque génération un échec ou plutôt un pas de plus vers elle, des instants qui ont menés à cet instant

Elle pouvait tout voir, Miel.
Tout voir.
Cette famille, ces itinérances de sa vie.

Sa main montait, berçait la joue rebondie de son amitié sans nom et d’un souffle, elle lui offrit l’intensité d’un regard avant de le détourner.

-Un jour, je n’aurai plus peur de tout ça, mais, merci.

De comprendre, d’empatir, d’offrir à Miel la certitude que dans cet océan de solitude, il restait des îles de paix.

-Comment avoir des épaules ?
riait-elle sans joie.

- Je dois avoir foi en ma mère, je le sais mais c’est difficile. J’aimerai être normale et j’aimerai être extraordinaire, comme toi.

Et Leila avait foi en elle, un cercle verteux où Miel refusait d’y reprendre place. Un amour qu’elle rendait, trop habituée à aimer bêtement sans aucun retour. Cette quête d’identité s’étiolait d’inutilité alors elle la chassait le long de ses épaules longilignes.  Mais pourtant dans ces choses qu’on ne dit que trop tard, Miel voulut saisir l’instant pour dire.

-Tu veux que je lise tes souvenirs ? Et que je te les rende ? Je ne te l’ai jamais proposé auparavant mais maintenant, veux-tu ?

Elle désignait, invoquait son gant, ses lèvres, ce qu’elle désirait se saisir pour lui offrir un bref aspect de son passé.

 

Tombées des cieux, les étoiles brûlaient les herbes sauvages pour s’endormir dans les brins carbonisés de la terre trop aimante. La nuit était la mère des mystères, la femme des mélancolies désavouées de la journée, la porteuse des torches de la lucidité tardive. Miel se voulait être une créature de la nuit, toute entière parée des ondulantes ombres pour mieux saisir les peines avivées par la demi lune.

Mais elle n’était qu’elle, enfant diurne aux mains pleines des doutes et des confessions à mi-mots de ceux peuplant son monde. Combien pourrait-elle donner pour se défaire de la raison ? De s’abîmer dans ce qu’elle ne connaissait qu’à travers les excès et les larmes d’autrui ?

Au fond, elle ne donnerai rien d’elle à ces paradis de fumée et de cendres, ces empires de corps débauchés, ces malheurs tout fait par la fuite. Miel se désirait havre et réponse, et elle le serait. Pour aussi longtemps que Leila la contemplait avec ses yeux d’un amour certain, que leurs doigts se serraient, que leurs chairs rougissaient de la tendresse, elle refuserai se céder à ces doutes.

-Garde ton corps pour toi, Lei. J’ai besoin de mes yeux pour te voir toi.

Epaules, yeux, torso, mains, coeurs, lèvres, visage, joue, pieds, jambes, orteils, miniscules cellules luttant pour se multiplier.
Chaque monceau de Leila était digne d’être célébré, et elle aimerai repousser ses dons
à ne pas défaire cette femme pour apprécier l’entiereté mécanique de son origine.
Hephaistos avait conçu dans la chair des hommes, la plus douce de ses androides.

-Je le suis, ne t’en fais pas.

Et pour l’impudence, elle tirait ses gants. La peau de Miel luisait sous le ciel stellaire, peau qu’elle appliquait sur les joues de Leila avant que bien naturellement, elle s’osait à l’embrasser sur ce même front.

C’était intense, c’était confus, c’était des visions troublées avant de se confirmer.
Des choses que Miel ne comprenait que peu ou mal, des mots d’amour prononcés par une femme à la voix sableuse mais trop douce pour être autre chose que des promesses de demeurer.
On voyait ses yeux enfoncés, ce noir épais que des hommes de l’ancien monde auraient pu décrire comme satanique, mais dans l’épaisseur du trait ne dispersait que cette sagacité fuyante sur le monde. Miel percevait cette grandeur toute relative, puis le déchirement, les lointains déserts dont la présence mirifiée n’ornait que les cartes postales accrochées ça et là dans un esprit dispersé.

Trop tout, son visage parmi ce qu’on nommait famille et elle sourit. Bien malgré elle, car désormais debout sur le toit bâti de ses mains

Miel paraissait s’unir avec l’éternité.
Encore une fois.

-J’ai bien vu ta mère.
Et sa main froissait ses cheveux artificiellement roses, magnifique femme offerte à ses dons.

-J’ai bien tout vu. Je suis émue pour toi, elle t’aimait tellement.

Et sur le visage de son aimée sans termes, elle voyait le visage translucide de la femme dont la présence hantait désormais les lèvres charnues de Leila. Oui, elle lui ressemblait tant.


 

À la façon de ses astres tombés, ses bénédictions rocheuses parsemant nos terres, l’amour pleuvait dans la vie des hommes.
La forme était variable, l’intensité diffuse mais les traces demeuraient sur le psyché d’autrui.

Des cratères tantôt vides, tantôt pleins, des formes lascives dont on ne connaissait jamais l’impact qu’en s’éloignant de la surface.
Miel voyait désormais les tracés de l’existence de Leïla, ces amours infinies dont elle fut le réceptacle et l’étrange peine qu’un tel amour créait.


Quelles douces illusions!
Quelles tendresses tapies dans les gestes du quotidien, alors Miel doucement suivait le geste de Leila. Offrait à sa chair bénie l’amour sans fin qu’elle ressentait, comme une vibration de leurs êtres.


Son corps devenait calice de ses larmes, laissant l’eau salée se fondre sur ses vêtements et la tâcher tandis que sa main flattait sa chevelure. Un moment paisible, un moment heureux là où les Moires ne rêvaient que du chaos et du désordre.
Aimer ?
Adorer ?
Ses termes sont bancaux, infidèles.


C’était l’émotion qui faisait que Miel suffoquait désormais, dans ses tremblements de ses paupières, car Leila professait la plus sincère et brutale des vérités. Elle l’aimait et Miel l’aimait, comme on aimait un frère ou une sœur, une amante et une mère, toutes réunies dans les ombres dansantes de Leila.

-je t’aime aussi.

Parce que c’était si simple à dire d’un coup, parce que c’était si vrai.

-Tu n’as rien besoin de faire pour moi, ton existence me suffit. Je voudrais te rendre heureuse tous les jours, Leila, j'aimerais que le monde entier te voit comme je te vois.

Sa main sur sa joue, son front contre le sien. Intime sans impudeur.

-Si rayonnante, si lumineuse. Si tu veux faire quelque chose pour moi, devient chaque jour quelqu’un de meilleur.

Et son pouce ondulait doucement derrière ses longues mèches.

 

Aimer sépare car il existe désormais nous et les autres, la limite ne se veut plus universelle, la limite est cruelle mais magnifique. On s’étend sur le sable de nos pensées et on s’aime, on s’aime car on sait qu’aimer est une étoile.


Un jour, on aimera plus et on se réchauffera sur les lueurs d’un système mort. Mais pour le moment, Miel aime Lei, les noms sont proches car les d.ieux l’ont voulus ainsi ces deux identités mêlées pour devenir celle d’une femme à deux visages, quatre bras et un seul coeur.


Faites pour aimer, faites pour rêver.

Par dessus leurs têtes filaient les astres, de leurs trainées de leur mante gelés comme le symbole du présent fuyant vers le futur aux pieds alourdis d’un passé jamais regardé. Mais Mielikki allait regarder, plonger jusqu’aux tempes dans les affres du temps pour en extraire la douceur de sa vie.

Leila, Ô Leila.

Elle était si désolée, si désolée d’être qu’elle. Dans ses yeux d’ambres millénaires, le chagrin serait ombrage et chaque jour faisait que Mielikki se sentait mourir. Aimer était une scission, aimer était un calvaire, aimer était le fardeau des femmes bien faites pour les femmes d’or et d’encens. Les perles salées, larmes de la nuit, roulaient le long de ses joues et elle suffoquait sans grâce.

-Je ne mérite pas ça Leila, je t’aime tellement, c’est pas juste que je t’aime ainsi. Tu me rends heureuse rien qu’en existant, rien qu’en restant avec moi.

Leila était les femmes auxquelles on devait faire l’amour, mais Mielikki allait lui imposer la guerre, la violence des adieux car elle savait déjà qu’elle allait partir.

-Tant que j’ai confiance en toi, j’ai confiance en moi. Tant que tu me promets que je tiendrai bon, alors je tiendrai bon. On ira visiter les aurores boréales, les dernières lunes, les premiers soleils, on ira là où on le voudra, très bientôt. D’ici là, promets moi de garder mon feu vif et tes pensées claires.

Mielikki n’était pas faite pour aimer ainsi, jusqu’à s’empiécer sous peine et manque. Mielikki….

-Je te reviendrai.


Elle lui reviendra.