Pas ordonné, ta régularité prenait les accents de criminalité quand tu arpentais ces lieux. Ton ombre épousait les hautes briques des murs sur le chemin pour que ta disparition fasse pleurer ses pierres perpétuelles. Le soleil brûlait le ciel, ayant consommé les nuages pour ne laisser son royaume vide de ces sujets tantôt colériques, tantôt paisibles, d’un bleu acéré. Il aurai été aisé pour toi de teindre cette ardoise de tes velleités, mais tu ne le fis pas. Souterrains avalant ta carcasse sans un souffle de contentement, les gouffres désiraient toujours plus.

Tes pas étaient pressés, échos d’une tâche dont tu aimerais voir le crépuscule avant de t’attabler au reste de tes tâches.

Seraph, un être lunaire et distant, un être à la réputation passée et dépassée, au fond un être que tu connaissais fort peu et en même temps, bien assez.
Cette nuance se dessinait dans ton esprit à grand peine, tu chassais d’un mouvement de tes épaules ces pensées sans but.

Seraph était et cela suffisait, pensait-elle. Un chef sans gloire autre que son mystère et sa singulière présence, tu n’obéissais pas, tu écoutais, pensive créature debout dans la pénombre du soleil. Ainsi apparaissait-il à ton regard, sombre et droit, visage plissé dans des pensées qui se souhaitaient inaccessibles.

-Liu. Me voilà.

Salutations sans formes, contenues et détruites dans ces quelques mots trop souvent prononcés.

-Qu’avons-nous à parler si ce n’est certains mouvements de ceux inquiétant ton regard?

Tes os s’entrechoquent, roulent sous tes omoplates rondes. Seraph n’était guère homme politique et ces mimétismes t’agaçaient plus que les mots pouvaient teindre.


 

Seraph Liu, son mépris t’amuse. Des mots creux, acidifiés par la vacuité de ses positions et de sa colère. Orienté vers les cieux de son sang d’arès, comme le marqueur de son origine absolue.

Il te dénude du nom pour se donner contenance, cela se sait et tu ne lui tiens guère rigueur. La crainte était la marque définitive de l’inférieur, du sujet face au souverain alors que tu ne lui offrais à la face de son offense qu’un mine grave et une sérénité paisible. Tu n’avais rien à prouver face à lui, ses doigts avaient parcourus les longs tracés d’encre décrivant ses gloires et ses offenses.

Tu te présentais entière à son regard, qu’importe combien il amputait ton nom et ta présence. Ne prononçait-on pas le nom des choses nous dépassant ? Ainsi avait-on invité les épithètes et les lieux-dits pour ne pas offenser la créature reposant ses os las dans les ombres.

-J’avance à la vitesse que j’estime bonne, Liu.

Ta sagacité se diluait dans l’air, tes yeux fixés sur la couronne brune de sa chevelure, peau du crâne que tu apercevais sans chercher à la fixer. Sagacité irritante, tu le sais bien mais personne n’avait le droit de t’ordonner Divine.

Parmi les flots du monde, il n’appartenait qu’à toi de décider à qui tu offrirais ta nuque, et Seraph Liu ne se comportait guère comme un homme digne de ton genou plié. *

-J’apprécie ta sollicitude mais nous savons fort bien qu’un guerrier assis n’est pas un guerrier utile. Je resterai debout. Que désires-tu entendre de ma part, si nulle choses t’inquiètent et te troublent ?

Moue sans émotion sur ton visage du marbre, ton corps fait du même métal que les ancres des navires désaxés.

 

Les péchés des pères, ce serment inscrit dans tout ceux dont tu croisais le regard car nulle n’aimait admettre ses sursauts d’âmes. La fierté est à Sparte le fer et la lance de chacun des soldats composant leurs rangs, sans cette féroce velleité à montrer au monde qui l’on désire être, les Spartes n’étaient rien de plus qu’une armée de volonté désorganisée et éparpillée par l’union maladroite de leur intêret unique.

Liu incarnait le groupe qu’il affirmait méner, ses manières rigidifiés par ton refus tranquille ne trahissait pas les tourments dans lesquels il baignait désormais. Cela n’attirait aucune sympathie en toi, Divine. Tu n’étais pas de ces créatures à te soumettre à celui aboyant plus fort et plus loin, ayant trop vécu dans les ombres de ceux qui se nommaient mentors mais dont la valeur n’était rien de plus que la répétition d’un vécu parasite.

Tes épaules se soulevaient sans grâce quand il posait cette question inquisitrice. Les ennemis étaient autant les autres sans cesse nombreux que la paresse, l'oisiveté et le mépris couvant qu’il semblait se décider à incarner dans sa posture de tyran éclairé. Tu n’avais guère de bijou à manipuler comme lui maniait ses bagues, tu te tenais là consciente d’être assez par ta simple existence. Ne confondons pas tes émotions, Divine. Nul mépris animait tes pensées, juste l’insupportable sensation d’être une parure et une répresentation face à l’homme.

Tu t’approchais souplement, ton poing se posait à plat sur la table de chène noirci par les usages. De ta hauteur, de ta position debout, tu le contemplais. Une réplique désirait sortir mais tu l’as tu comme tu avais tué les monstres et les légendes à ton époque de gloire insolente.

-En effet, nos objectifs sont nombreux. Et tu es celui devant les mener à bien.

Tu concédais, un pas offert pour en dévorer dix.

-Cependant Liu, certaines choses doivent être dit. Je revendique la pleine intégrité des miens et de leur travail. Ma personne peut être attaqué avant toute la fureur que tu estimes juste mais je ne permettrai aucune offense à ma milice. Est-ce clair ?

Tes ordres fusaient entre tes lèvres, et tu le toisais. La milice était ton oeuvre, ton armée, ta chair mobile. Chaque attaque, aussi voilée et dissimulée soit elle, méritait le feu brûlant des vérités.

-Ainsi commençons nous notre rapport. Les olympiens sont plutôt calmes, David Feuerbach se tient droit dans ses promesses mais quelques ambassadeurs désirent la jouer solitaires. Les égarés bougent beaucoup, montées des actes criminel de basse et moyenne augure. Beaucoup de jeunes demi-dieux ont le feu sacré, certains seront recrutés dans mon équipe. On soupçonne la présence de monstres, les patrouilles se font nombreuses et les entraînements plus réguliers.

Mains que tu remis le long de ton corps, ton air se fait circonspect :

-Voici les informations que je peux t’offrir à l’heure actuelle.

Certaines choses n’appartenaient qu’à toi malgré tout.

 

La colère filait avec injustesse l’apparence de la vengeresse, la colère se désirait saine mais elle ne faisait que se rebeller, une révolution vaine car tournée en son nombril apathique. On se rappelle toujours de la colère mais bien rarement la raison de celle çi affrontait et vainquait le temps. Ta raison, ta raison de sentir ton souffle ainsi s’aggraver en ta poitrine rutilante, de sentir ce sang amer en tes veines dilatées, ta raison…

Tu le savais.
Ton ennemi était un enfant de l’ara.
Ce lieu troublé où les chairs tantôt avivés par la vie la plus aride récividaient dans la passivité de l’utérus de leur mère, sans plus jamais gracier le monde de leurs mouvements!

Seraph était l’enfant de ce fléau, l’enfant de ce lieu où la gloire se défaisait sous les sonorités des trompettes apocalyptiques. Et tu sentais en ton pancréas troublé, en cette bile sèche mordant ton palais, qu’il utilisait ses dons sur toi.

Ta raison, elle avait été trouvée. Ta colère pouvait désormais prétendre à devenir saine, car tu lui donnais un but. Il te souillait par cette volonté de t’avilier à tordre ton visage de la colère. Tu le lisais dans ces yeux fauves à la pupille dilatée par le désir suffisant de démesure contrainte par ta propre force.

Voici ce jeu dont ils s’épuisaient à manier les pions. Tu le respectais assez pour oublier ces égarements, mais l’ardoise ne s’effaçait guère. Toujours souillée par des tracés et ces conjectures de ce qu’il t’impose comme règles à son nom.

Vive Sparte!
Vive cette violence sanctuaire!
Corps sain, esprit sain, âme malsaine!

Entre tes dents, ces mots tournaient pour faire grimacer ton visage en une vaine moquerie d’un sourire.

-Se moquer des miens serait futile après tout.

Car dans l’armée amassée sous tes mains, tu savais, tu devinais que chacun des êtres étaient une arme et une absolue réponse à chaque honte jetée à la ton visage. Tu ne désirais pas être ce tyran éclairé, cette force brute comme Seraph l’incarnait ici et là.

-Et réciproquement Liu, j’affirme la pleine productivité de notre coopération mutuelle.

Ton regard maîtrise se laissait dérailler, ode à cette formidable rage dont tu refusais de poser les limites désormais. La subordination fut l’une des valeurs le splus essentiels, mais le rappel de la voix de l’Artificiel était crude. Une laisse qu’il tirait autour de ton cou épais mais dont ta pleine volonté empêchait de mordre la trame de cette corde. Divine, tu savais que malgré tout, il existait un lien ténu.

Impossible à ronger, impossible à massacrer.
Celui de cette confiance mutuelle teintée par leurs immodesties communes.

-Cependant. Je n’apprécie pas que tu utilises tes dons sur moi. Un rapport teinté par la colère n’a aucun intêret.

Ta main craquait, écho de ton âme mouvementé.

-Cette méthode fonctionne sur Midas, ton précieux chien, mais pas sur moi. Et je n’apprécierai pas que nos rapports deviennent laids.

Tu crachais la vérité, tendue, prête à frapper. Prête à détruire à l'adage passé de l'époque où tes pas d’adolescente furent pris pour ceux d’une enfant d’Arès.

 

Il tourmentait de ses doigts sans grève ton humeur, imposait à ton sang ce bouillonnement disgracieux. Tu détestais ce sentiment, cette haine gangrenée sans cette force de changement, juste la noirceur de la violence sans la clarté d’une volonté.
Il se savait roi, il se pensait empereur, tu ne le considérais moindre que l’insecte parcourant les jardins le dos alourdi de la substance du jour. Mais la vertue de ton juron retenait les mots, retenait ce corps tendu par une force alienne à ta conscience.



Puis il relâchait l’étau, les pensées étaient claires sous la surface de ton anima et pourtant, pourtant.
L’humiliation d’être chose te rendait actrice, clairvoyante. Tu ne prétendais nullement à l’orgueil des dieux, voyant dans l’effort d’une vie entière la preuve que la seule divinité auquel tu songeais à te réclamer était ton nom, tu ne prétendais pas être de ces reines dont le nom doit être sanctifié par les vivants et les morts. Non.


Mais tu prétendais au respect.


Ta fierté en souffrait trop.

Ses yeux ondulaient sans mouvement dans sa fatuité toute acquise, ce trône soutenant son poids brûlant le regard du paien le contemplant. Il se penchait à peine, aigle aux ailes plombées par les minéraux arrachés à la terre mère et pourtant, il semblait si gracile. Il se mouvait comme s' il considérait les vents dûs et les étoiles comme servantes.

Tu t’approchais, appuyant tes mains sur son bureau, ton ombre écrasant les nuances des néons sur son faciès blanchâtre.


-Liu. Je ne crains que vous n’oubliez une certaine chose à mon sujet. Je ne suis pas Midas Warren, je ne suis pas un autre de vos molosses dont la menace et la récompense suffisent à faire avancer leurs pattes. Vos ordres, je les entends, vous êtes le chef de la faction à laquelle j’ai juré de soutenir. Cela ne fait pas de vous mon supérieur, ni mon chef.


Tu ne grondais pas, tu soutenais son regard creux de tes yeux de sang. Ta voix se posait tranquillement, comme si rien de tout cela n’était chose importante.

-Quant à ma servilité à votre égard, Liu.

Ta main volait, marquait sa joue de son empreinte noire. Le son était ingrat, sec, une mère punissant un fils capricieux ou une guerrière rappelait son chien à l’ordre.

- ma servitude ne revient qu'à votre père si il la réclame et à sa demi-sœur, la déesse aux yeux gris. Je ne suis la servante que des dieux et vous n’en êtes pas un. Si je n'étais pas magnanime, vous mériterez mon mépris et mon antipathie. Mais je comprends que vous ne désirez qu’asséner votre puissance et votre influence, alors je garde pour vous considération. Mais n'oubliez pas Seraph Liu, que je ne suis pas vôtre à humilier.


Et tu te reculais, s' il fallait partir, tu partirais. Car Divine de Guisé ne connaissait guère deux fois le manque de respect aux mêmes endroits.