Le regard se perd dans les papiers, de la paperasse délaissée sur ce qui en tout point ne ressemblait plus à ce que l’on pourrait appeler un bureau. Un endroit où, avec le temps, les stylos avaient pris la forme de crayons de couleurs dans un petit seau mal peint. Un endroit où la lumière se frayait un chemin au travers des grandes vitres surplombant la pièce pour venir éclairer de toute part les étendards et les fiches d’activités pour la semaine à venir. Mais à cet instant, ce n’est pas sur le dossier d’un enfant de la colonie que l’attention de Ray’n était portée et ça bien qu’il ne soit bercé chaque jour un peu plus par leurs éclats de rires et leurs chamailleries -parfois interminables- qu’il avait appris à apprécier.
Non, le nom sur la fiche n'était connu par personne d’autre que lui ici, l’identité d’un jeune garçon dont il avait croisé le chemin au cours de ses escapades à New York. Un parcours similaire au sien, un gamin laissé-pour-compte dans la violence d’un récit qu’il ne pouvait plus que murmurer et qui ne pouvait compter sur un père divin pour s’en sortir.

Ça te dit quelque chose.. non ?

Voilà ce qui avait suffit à l’égyptien pour s’efforcer de l’aider, à passer plus d’heures qu’il ne pouvait en compter dans ce bureau, entre ces mêmes crayons de couleurs et ces mêmes rayons de soleil qui lui brûlaient les yeux, comme un rappel cruel qu’il manquait sévèrement de sommeil. Jusqu'à en oublier le reste l'espace de quelques instants, l'objet de ses intérêts et la source de ses derniers rêves. Peut-être parce que sans le vouloir, il le ramenait face à l’enfant qu’il avait un jour été, celui qui ne supportait plus qu’on le laisse crever en silence sous les murmures de la non-nuit. Alors c’est vrai, ce jeune homme n'était pas facile à vivre, tendre ou simple. Mais il était comme lui, avec ses failles et ses blessures cachées, brisé de différentes façons. Ils étaient mal assortis, sans doute, avec leurs bords tellement irréguliers qu'ils leur arrivaient de se couper mais ce n’étaient certainement pas quelques éraflures qui allaient le faire reculer.

Alors les heures défilent sous le bruit d’un stylo qu'on use sur une feuille, à la recherche de ce lieu, de ces noms et de cette aide qu’il aurait aimé offrir à l’enfant qu’il était et qu’il souhaite désormais offrir aux enfants qu’il guidera. Les vas et viens des sangs-mêlés sont fréquents mais Ray’n ne dévie pas, se contentant de leur répondre de sa nonchalance habituelle et de ce sourire qui ne le quitte jamais. Il ne les sermonne pas non plus, préférant s’adonner joyeusement aux tourments qui leur font prendre jambes à leur cou entre deux fous rires. C’est peut-être aussi pour ça qu’ils n’ont pas peur de se confier à lui lorsque la réalité les rattrape et que ces rencontres, étonnantes de par leurs simplicités, se montrent plus importantes et éloquentes pour Ray’n qui ne vise qu’à leur épanouissement au sein du camp.
Puis survint le bruit sourd d’une porte qui s’ouvre au beau milieu de l’après-midi, et c’est presque instinctivement que Ray’n lève les yeux vers la nouvelle venue. Peut-être aurait-il le droit à quelques minutes de répit après cet entretien ? Voilà, Han Minseo, va pour des secondes. Pourtant ses yeux ne quittèrent pas une seule fois les siens dès lors qu'elle franchit le pas de la porte et il ne lui fallut que quelques instants, futiles dans l’espace d’une vie, pour reconnaître ce visage qu’il appréciait déjà de trop.
En vérité, cela faisait maintenant plusieurs semaines qu’elle avait pris cette habitude de venir à sa rencontre et Ray’n, de son côté, s’était laissé prendre à ce jeu qui d’apparence ne pouvait rien lui prendre de plus de ce qu’il avait déjà perdu.

La naïveté dangereuse d’un prélude annonciateur.

Après tout Minseo était de ce genre de femmes, celles qui vous laissent toujours espérer que vous obtiendrez plus avant qu’elle ne vous le refuse toujours. Sa compagnie était pareille à de l’alcool fort, tonifiant. Il valait mieux s’en abstenir si on n'était pas certain de tenir le coup. Et pourtant, même si tout ceci ne se révélait n’être qu’une simple farce, une comédie illusoire pour combler à son ennui, Ray’n continuerait de s’y complaire avec l’incertitude de la revoir le lendemain. Parce que d’une manière ou d’une autre, il garderait le contrôle sur la situation comme il l’avait toujours fait.

Alors lorsque Minseo, aux bords de l’agacement, commence à lui reprocher des maux qui dépassent l’entendement, Ray’n ne put se retenir de sourire.

- Où avais-je la tête ?, s'enquit-il de répondre sur un ton faussement approbateur, à la limite de la découverte. La prochaine fois, rappelle-moi de consulter un oracle d'Hécate avant ton retour, je ne suis qu’un homme après tout. Plein de charme et de courage, c’est vrai mais..

Face à cette réaction disproportionnée, nullement surprenante venant de la fille d'Aphrodite, Ray'n se contenta de laisser échapper un petit rire.

- J'aime te garder sur le qui-vive. De ce que j'ai pu entendre, ça assure un teint de pêche.

Il aimait la considérer comme le soleil après la tempête, imprévisible, étonnante et dévastatrice. Du moins, c'est ce qu'il s'amusait à penser lorsqu'elle trouvait le temps de se plaindre de la pluie et du beau temps. Puis, et c'est sans un mot de plus, qu'il se mit à grapiller les quelques mètres qui les séparaient l'un de l'autre après s'être levé de sa chaise.

- Dois-je en conclure, que les hommes de New York ne suffisent plus à combler ton intérêt ?

Il s'était penché vers elle pour murmurer ses mots au creux de son oreille et ce, avant de lentement se redresser, la surplombant de toute sa hauteur. Son regard n'avait pas quitté le sien et il fit mine de se masser la nuque, l'air de réfléchir.

- Je comprends. reprit-il. La colonie est vraiment l'endroit le plus attrayant de Nausikaa et je peux te trouver une tonne d'activités qui te tiendront occupées jusqu'à ce soir. Tu seras certaine de ne pas t'ennuyer.

Son sourire trahissait le grand amusement qu'il pouvait ressentir à chaque fois qu'il avait l'occasion de la chercher comme il le faisait.