quand il foule le sol du domaine, on sent chez lui une volonté de blasphème à chaque fois qu'il tape du pied ; quand il passe dans les couloirs, il frappe les murs, y laissant l'empreinte de son indignation ; il tempête et se fait remarquer, sans l'embarras qu'on trouve d'ordinaire aux mortels qui connaissent le divin.
seraph a su dès lors qu'il l'a vu rouler dans le sable de l'arène qu'il voulait l'avoir dans ses rangs. ainsi il n'est pas contrarié d'entendre son nom invoqué sans révérence, déformé à renfort de cris. il s'immobilise simplement dans l'attente que cette fureur le rattrape.
il n'a jamais vu cette expression sur le visage d'àlvaro. silencieux d'abord, il incline la tête à la façon d'un animal curieux de sa découverte. il écoute, acquiesce presque, le menton levé. les voilà, les questions sans réponse : elles sont traîtresses, puisqu'elles ne se satisferont de rien. seraph sourit à peine, d'un sourire qui pourrait vouloir dire tout et son contraire - qui ne veut rien dire, donc. dis-moi ce que tu n'as pas compris, je te l'expliquerai. sa voix est posée, raisonnable, en écho négatif à la fureur des protestations. ses mains sont confortablement enfoncées dans les poches de son jogging.

confronté à ce rejet absolu de ce qu'il incarne, il veut se réjouir de voir àlvaro devenir l'un des siens. il ne se demande pas d'où vient sa révolte : il se souvient avoir lui aussi, au même âge, grondé et montré les crocs pour faire entendre son nom. il reconnait ce désir optimiste et propre à la jeunesse de se dresser contre vents et marées. les bras croisés, il encaisse les accusations sans sourciller. t'aboies bien en tout cas. c'est trop facile, même seraph le sait alors il ne s'amuse pas spécialement de le dire. il comprend aussi l'animosité qui presse et s'impatiente. c'est qu'il suffirait d'une excuse pour qu'àlvaro la libère ! il croit l'apercevoir au fond du regard qui soutient le sien sans avoir peur, sans être même tenté de s'y dérober. seraph sait ce que fait cette colère - celle qui tient en vie quand tout le reste n'existe plus. personne ne te force. tu es là parce que tu l'as accepté. dis-moi pourquoi ça ne te convient pas. par habitude, il n'interroge pas et se contente d'ordonner. cette suffisance lui est si naturelle qu'elle en devient presque naïve. aucun de ces mots n'est porté par la volonté de nuire : c'est juste ainsi.

en vérité, seraph se délecte de la violence qu'àlvaro lui donne en spectacle. étrangement, il en apprécie le scandale, l'irascibilité - peut-être parce qu'il y trouve la couleur d'une dignité qui refuse de fléchir. cet emportement, sublime dans ce qu'il a de déraisonnable, le fait imperceptiblement vibrer. s'il condamne souvent amèrement ces éclats, il lui arrive parfois de les envier. il demande à en voir davantage. tu veux me frapper ? ça n'a d'une question que l'apparence. tu veux me frapper, je le vois bien. tu veux me frapper. avoue-le. ou frappe-moi, qu'on en finisse ! et que toute l'injustice que tu récuses soit enfin justifiée.

bien sûr, le fils de la victoire fut gladiateur puis milicien avant de devenir sparte : il ne saurait briller sans donner à voir le spectale de sa démesure. seraph ne bouge pas, ne dit rien. il attend qu'àlvaro se taise ou qu'il hurle plus fort encore. qui sait ! toujours est-il qu'il le laisse faire, lové dans une certitude confortable - àlvaro n'a pas besoin d'aide pour que la violence le suive, fidèle.
quand le coup part enfin, seraph le reçoit sans broncher. son ego se déchire entre la satisfaction que lui procure le fait d'avoir raison et le besoin urgent, écrasant, irrépressible de dominer. qu'importe que cela ne fasse pas mal, l'action, parce qu'elle est publique, compte plus que les dommages. c'était ce qu'il voulait - ce qui le pousse à devoir châtier, sans aucun doute. sa main se referme autour du poignet d'àlvaro, qu'il tient à hauteur de visage. tu vois, tu n'es pas mieux, même pas différent. t'as bien ta place ici. sa prise se resserre sans effort, suffisamment pour lui faire subir la douleur mais pas assez pour lui briser les os. seraph les sent résister sous ses doigts et n'admettra pas y prendre plaisir. il ne veut pas qu'àlvaro regrette son impudence, non, il fait simplement ce qu'il faut ! et il le fait avec un sourire presque imperceptible, l'un de ces rictus qui ne prend vie qu'au coin des lèvres. tu devrais comprendre facilement que je te préfère comme ça plutôt que muselé quelque part. sinon, comment pourrais-je te dresser ?

à nouveau, seraph secoue doucement la tête. non, vraiment, je ne comprends pas ce qui t'énerve tant. il le soupire, l'air de dire que tout de même, c'est vraiment regrettable. son regard ne s'est pas une seule fois dérobé : il fixe àlvaro droit dans les yeux. il s'accroche à la colère qu'il y voit, s'en régale plus qu'il ne devrait, la convoite peut-être. c'est vrai - seraph se fait étrangement cupide ces derniers temps.
ça te rassure, de te lamenter sur ton sort et de t'imaginer qu'on t'a forcé ? c'est dommage. bien sûr, c'est plus facile de te dire que tu n'as pas le choix. mais ce n'est pas comme ça que ça marche. voilà, c'est ainsi, il veut àlvaro dans ses rangs, à portée de main, là où il peut le voir tempêter et l'entendre aboyer. il veut lui apprendre ce que fait cette colère-là quand on sait l'asservir ; lui faire voir ce que vaut cette violence quand on ne la craint plus.