friday night

il était l'heure : le set était parfaitement réglé, l'équipe technique organisée, les lights allumées, les micro installés, les invités arrivé.es, et winnie -mh. winnie était là. c'était un fait indéniable.
mais winnie, ce soir, n'était pas vraiment winnie. il avait dans sa manière d'attendre l'heure fatidique (vingt heures trente) un malaise inhabituel, une sueur indélicate, un sos au fond des yeux. parce qu'en face de lui se trouvait une de ses hontes.
à l'époque de l'invitation, il avait trouvé que c'était une bonne idée -évidemment ! l'optimisme lui faisait dire que c'était l'occasion de tout effacer, de tout oublier (bien que ça, ça ait déjà été fait partiellement), et de recommencer sur de bonnes bases ; et alors les échanges avaient été polis, courtois, fort agréables, et winnie s'en trouvait fort heureux, mais voilà : dès que monsieur axel de hofburg avait franchi la porte, winnie avait court-circuité.
il avait vainement tenté d'avancer sa main pour la serrer, à la mode new yorkaise, avant de se rattraper en une révérence purement japonaise ; il avait forcé le sourire sur ses joues (ça il était plutôt fort) et avait confié son invité à l'équipe technique pour les derniers détails et explications -c'est que pendant ce temps il devait aller faire quelque chose d'important.
il est allé aux toilettes et il a regardé le mur en silence.
très important, donc.
mais le voilà de retour ! et il fallait assurément qu'il assure, parce que le direct allait commencer. ça irait. il savait faire, ça. et puis, une fois en live, axel ne pouvait pas bien faire quoi que ce soit de grave, n'est-ce pas ?
le jingle retentit, on lui fait signe que c'est à lui. bonsoir !! nous sommes le vendredi 28 avril, la météo est clémente sur nausikaa, le soleil est déjà couché mais nous resterons debout pour encore quelques heures -et des heures bien remplies, je peux vous le dire ! nous avons des invités exceptionnels ce soir, pour une discussion thème culture, aujourd'hui. la culture, oui, et plus particulièrement l'exposition temporaire qui prendra prochainement place dans l'olympus disctrict, jusqu'au 28 juillet -- sobrement intitulée la place du champagne dans l’art international ---hé bien ! je ne m'étais jamais posé la question, mais maintenant ça m'intrigue. est-ce que vous vous êtes déjà questionné sur ça, le chat ? dîtes-le nous, comme d'habitude certains messages seront lu à haute voix, eeet on me fait signe qu'un sondage est lancé donc n'hésitez pas à par-ti-ci-per. il s'interrompt un instant pour prendre un peu d'eau, la gorge soudainement aride. et pour nous présenter cette expo, nous avons avec nous monsieur axel de hofburg ! mécène incontournable de nausikaa, évidemment, qu'on connaît pour sa bonne humeur, sa fouge, sa passion ! et bien sûr, les euh les mots lui manquaient soudainement, à peine une seconde les soirées mondaines pleine de faste et de paillettes, où on il paraît on peut croiser tout et tout le monde. mais aujourd'hui, nous parlerons de bulles ! n'est-ce pas ? je t'en prie, si tu veux rajouter quelque chose, n'hésite pas -- il ne laisse que quelques secondes à axel, pas assez pour vraiment parler, avant d'enchaîner. et sinon, est-ce que tu peux un peu nous présenter l'exposition que tu as aidé à mettre sur pied ? winnie remonte son regard, fais l'erreur de le regarder droit dans les yeux.

soirée déjà beaucoup trop longue

le regard est fuyant, se raccroche rapidement à la caméra à laquelle il sourit, en oubliant peut-être un peu de cligner des yeux. ah. il voyait déjà les commentaires de son prochain live. t'avais l'air super bizarre la dernière fois, c'est bon il a été remplacé par un robot c'est sûr, ça c'est encore un coup d'un enfant de dionysos c'est sûr.
l'autre, en face, avait l'air d'être dans son habitat naturel. comme à son habitude, il disait bien tout ce qu'il lui passait par la tête. et ce n'était que le début.
si l'auto-promo était acceptée, elle n'était pas sensée se trouver là -winnie devait l'annoncer, mais d'un signe discret à l'équipe technique, il leur indique de suivre le mouvement et d'afficher sur les écrans les fameux arobases et autres pseudonymes. mais encore ! s'il ne s'agissait que de ceci ! le voilà qui encourage l'alcoolisme ! et qui insulte toute une partie de la population de nausikaa !
ahahah. et ça venait que de commencer.
les yeux dans le vide face à tant de conneries, winnie se reprend pourtant rapidement. à la moindre seconde de libre, il reprend la parole, accorde son ton mielleux au ton de la conversation -légère, sans prise de tête, pas du touuuut politique. ahaha, hum, et bien sûr, on se rappelle de boire avec modération ! l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. et on dit bonsoir aux spartes qui nous regardent, pour qui nous avons toustes beaucoup de respect, lâche-t-il instantanément, même s'il partageait franchement l'avis d'axel, et qui s'entraînent durement pour ces show à l'arène, entre autres ! pour en revenir à l'exposition, axel -je me permets d'utiliser ton prénom-, j'ai entendu dire que c'était une expérience totalement sensorielle -pas seulement la vue, mais aussi les sons, l'odeur, le goût ... est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur le sujet ? et le voilà qui dévie le sujet, alors qu'il voit sur sa tablette le nombre de commentaires modérés augmenter à toute vitesse. allez, tout ça c'était derrière lui maintenant, n'est-ce pas ?

beaucoup, beaucoup trop longue

imperméable aux réactions de son invité, winnie restait professionnel en les ignorant superbement : il savait que, généralement, les reconnaître n'amenait qu'à pire. mais était-ce le cas avec les gens comme axel ? ceux qui n'en avait que faire de ce qui les entoure ? et qui, visiblement, inventait au fur et à mesure que les questions venaient ?
parce que winnie savait : il avait eu des renseignements sur l'exposition, il n'y avait aucunement de casque de réalité virtuelle, et aussi aucune manière de goûter le champagne "à volonté".
il se devait néanmoins d'admirer l'aplomb avec lequel axel débitait ses conneries.
malheureusement pour lui, c'était son job de s'assurer que ces conneries-là n'allaient pas devenir plus graves que les légers mots (ceux dissociés de toute réflexion) qu'axel sortait à la minute. et encore, l'invité déviait du sujet -pour quelque chose que winnie tenait bien sûr en horreur, vegan qu'il était, mais n'en laissa rien paraître de plus qu'un petit sourire peu habituel, oubliant presque la gêne de leur passif tant la gêne du personnage présent en face de lui l'effaçait largement. les manteaux, bien sûr, pour préparer le rude hiver prochain. faites attention à vous, nous sommes en mars mais les températures restent fraîches. plein de courage à nos adelphes d'hermès et tous les livreur.euses qui nous connectent au monde extérieur. ça faisait déjà un deuxième shoutout en quelques minutes à peine, c'était déjà bien trop. mais en parlant de votre père, j'ai justement entendu dire que monsieur d serait présent à l'inauguration. vous aussi, j'imagine ? quelle est la partie de l'exposition que vous attendez le plus ? peut-être le passage sur Renoir, célèbre peintre français, où les descriptions d'œnologues sont mises en parallèles aux œuvres de la campagne française, avec ce vocabulaire de couleurs, floral, vibrant d'élégance ? là, au moins, axel n'avait qu'à reprendre ce que winnie lui avait dit. c'était assez simple, pour sûr.

et c'est le drame

winnie était plutôt réaliste. vraiment ! il arrivait facilement à cerner les gens pour ce qu'iels étaient, avec un instinct émotionnel qui le trompait rarement. c'était après que démarrait son esprit fantaisiste : il imaginait toujours les meilleures des évolutions. les plus belles des rédemptions. les plus touchants des pardons.
et, axel, il ne le connaissait pas trop. enfin -trop, oui, au vu de ce qui les liait, mais le personnage en lui-même lui était étranger. winnie ne gardait en souvenir qu'un rejet -qu'il loue aux dieux mais qui le rendait étrangement triste en même temps- et surtout une tête à l'envers soignée par ses deux frères.
alors, winnie s'était dit : axel ne peut pas être si horrible ! surtout que le brief qu'il avait reçu lui disait qu'il était fin connaisseur des arts, qu'il participait à la vie culturelle de l'île, bref ! qu'il était, en quelques sortes, un réceptacle du savoir vivre, de l'histoire de nausikaa.
et à la place, il y a -euh, ceci devant lui.
le hein ? laisse winnie de marbre deux secondes de trop, après lesquelles il relance la question en sourire. renoir, et ses peintures de la campagne française ?
le silence qui continue et les mouvements déconcentrés de son invité laissait comprendre à winnie que vraiment, il n'avait pas compris. qu'en fait, il ne connaissait pas l'exposition. que, peut-être, il ne connaissait pas grand chose tout court.
ah.
et, alors que cette réalisation commence à être acceptée par son système, winnie écoute ce qu'axel a à dire. parce que maintenant, maintenant ! il parle avec fougue, avec de la vie derrière les yeux, sans hésitation et sans questionnement ; il était évident que c'était ça qui l'animait : la bouffe, l'argent, et critiquer les petites gens. ah ! comme il était drôle, à parodier le cliché même du mondain qu'il était ! ahahaha d'un rire réel, pour le coup, qui venait du fond du torse. "couper au montage" ! incroyable ! un humour aussi absurde que les jeunes d'aujourd'hui ! "mon statut" ! "mon revenu" ! quelle critique pointue et avancée des ultra-riches !
ah ! si winnie s'attendait à ça d'axel !
... winnie avait encore le sourire aux lèvres quand il comprit que ce n'était pas une blague. pas une plaisanterie. pas de l'ironie, pas du sarcasme, pas de la dérision -rien d'autre que de la bonne vérité sauce "sans aucun respect svp".
comme dans ses anime favori, la goutte coule peut-être un peu sur sa tempe. le staff lui fait signe de continuer, il n'est pas encore l'heure ; mais winnie voit bien que le chat est passé en emot only. as it should.
ahahaha, quel humour ! il utilise son charme pour y faire croire les viewers, et tant pis pour axel. winnie place la main devant sa bouche, comme pour dire un secret, tout en parlant dans le micro : bien sûr, cher Duc de Hoftburg, nous parlerons de tout ceci loin des oreilles des manants ! comme vous n'êtes pas un plouc, vous savez bien que nous sommes en direct et que tout est retransmis immédiatement ! un clin d'oeil appuyé digne des meilleurs dessins animés termine le discours.
hum-hum il s'éclaircit la gorge : il ne faut pas qu'axel rouvre la bouche, alors il garde la main-mise sur la parole. blague à part, winnie insiste juste ce qu'il faut, rajoute un coup de charme pour s'assurer qu'on y croit, nous parlions de la france ! j'ai cru comprendre que vous y aviez des origines ? y êtes-vous déjà allé ? parlez-nous donc de cela avant de terminer votre interview !
pitié, qu'axel ne dise rien de stupide.
pitié, que ce soit la dernière question.
pitié, que winnie puisse conclure après cinq terribles et minables minutes d'interview.

et c'est à nouveau le drame

dévier la conversation sur la personne d'axel ne pouvait pas être une mauvaise idée, n'est-ce pas ? parler de lui, il devait savoir faire ! la france était si lointaine, il ne pouvait pas encore tout rapporter aux égaré-es, spartes, féministes bobo-gauchistes ou aux chômeur-euses ! et puis, il venait de lire les messages de son manager ! il devait décidemment avoir compris qu'il ne pouvait plus faire de boulettes, de vagues, enfin toutes les formes que vous voulez !
comme vous pouvez le constater, winnie essayait de se rassurer comme il le pouvait, mais il était LOIN d'être certain de tous les arguments avancés. il gardait un sourire léger pour la caméra, mais il avait la furieuse envie de mordiller de stress l'intérieur de ses joues.
le début commence bien -c'est charmant, même, cet accent chantant, ce français auquel winnie ne connaît rien, mais qu'il aime pas défaut. oh que c'est chic ! se force-t-il à croire. ah ! comme c'est intéressant, la province !! (qu'est-ce que ça voulait dire ?) ohohoh, de beaux domaines, oui oui, merveilleux ! et puis, évidemment ! la chute (pas celle de la lame de la guillotine).
il ne le montre pas mais winnie est clairement blasé. son sourire paraît toujours aussi naturel, mais ses yeux sont clairement vides ; ils fixent le vide. dans un appel de détresse très peu professionnel, il laisse axel parler et parler et parler, puisque visiblement c'est tout ce qu'il sait faire. un instant, winnie se demande ce qu'axel penserait de son père -ce pauvre électricien qui a toujours galéré à joindre les deux bouts jusqu'à gagner au loto. était-ce un riche correct ? acceptable ? ou était-il un assisté des déités à ses yeux ? fallait-il hériter de tout pour réussir à s'enrichir par l'émancipation du travail ?
bien sûr, winnie ne lui en voulait pas. axel n'avait probablement jamais mis les pieds dans l'atè, et alors il n'avait pu voir les commerces et autres entreprises qui s'y trouvaient -là où personne d'autres allaient, et alors là où il était bien plus difficile de perdurer.
winnie décida alors de jouer à l'idiot aussi. ohhhhh, c'est une tradition française, de faire des barbecue sur les ronds-points ?! incroyable ! on apprend de ces choses ! nous on a les barbecue, aux usa, mais pas trop les ronds-points ahahaha ! et puis, oui, c'est connu, les français-es se plaignent de tout, mais c'est ce qui fait leur charme ! on imagine pas paris sans la tour eiffel !!! il était conscient d'arriver au sommet de la stupidité avec ces réponses-là, et il espérait silencieusement que son équipe avait déjà annulé la rediffusion du live, ainsi que tout ce qui pouvait laisser des traces. mais bon. c'était les internets. rien ne disparaissait jamais vraiment.
et, winnie, épuisé après à peine 5 minutes, serra les dents dans un sourire colgate à la blancheur éclatante. il ne le faisait pas souvent, mais voilà, il craque : il s'auto-bénit pour trouver une question qui lui permettrait de terminer ce live correctement, sans prendre pour cible qui que ce soit dans le monde ou à nausikaa. alors, l'ultime question lui paraît soudainement comme une évidence : pour terminer, vous parlier de votre mère juste à l'instant ! j'imagine qu'elle doit être très fière de vous ? par pitié, que ce soit le cas.

clap de fin

la tension est palpable -y aura-t-il une réponse à garder de toute cette interview ?! rien n'était plus sûr, et le suspens commençait à être difficile à supporter pour winnie. il priait, vraiment -en réalité, presque littéralement, au vu de la bénédiction. il regarde axel, essaie de déchiffrer ses mouvements, d'interpréter le moindre changement, mais il y trouve toujours la même chose : un grand sourire, qui s'actualise par vague, et s'élargit à chaque nouvelle question.
et, alors, commence la réponse.
jusqu'ici, tout va bien, et winnie loue niké (une grande femme aussi, d'ailleurs). finalement, au fil de la réponse se dévoilent quelques éléments d'explications. comme on pouvait s'en douter, axel n'a jamais manqué de rien -et surtout pas d'amour. on sentait le lien fort entre lui et sa mère, et de combien le monde ne semblait qu'être elle et lui pendant bien longtemps. tout comme winnie, on l'avait protégé sans même trop faire attention, avec les moyens à disposition. la différence se trouvait dans ce que cela voulait dire : winnie accompagnait son père au travail, faute de nounou, quand thérèse a choisi de s'installer aux états-unis.
tout son discours aurait pu être touchant -ah ! il l'était, même, un peu- si ce n'était pour cette petite phrase au milieu, que plus personne désormais n'interprétait comme de l'humour, mais pour ses véritables pensées.
hé bien, il n'y aurait alors rien à garder de cette échange, et winnie trouvait cela dommage. cette dernière réponse montrait bien tout ce qu'axel était au-delà de son personna inculte, frivole, détestable. qu'importe -il était temps. ohhh, c'est intéressant, tout cela ! au vu de ce que tu dis, elle a l'air de beaucoup compter pour toi. quelques secondes de vide, pas assez pour laisser axel recommencer. merci d'être passé par ici, axel ! sur ces belles paroles, nous vous rappelons que l'exposition aura lieu jusqu'au 28 juillet et qu'elle s'intitule --- il était temps de passer à autre chose. les caméras ne se tournent plus que vers winnie, et on demande déjà à axel de sortir, de bouger, de s'en aller de cette chaise qui se préparait pour lae prochain-e invité-e.