la nouvelle l'avait laissé aussi perplexe qu'extatique.
devenir ambassadeur n'avait jamais semblé être dans ses plans, mais à son -pas si- humble avis, le rôle lui convenait bien.
et le sentiment s'était maintenu, l'attente de la réunion mensuelle à l'horizon.
jusqu'à ce que le quotidien soit bousculé, certitudes ébranlées.
on avait toujours dit que la brume entourant nausikaa empêchait les monstres d'y entrer, qu'ils étaient en sécurité — l'endroit avait été créé pour cela après tout.
s'était efforcé de garder le sourire, yeon, malgré l'appréhension et la peur qui le ronge.
courage, tout va bien se passer soufflé sur le pas de la porte, baiser déposé sur sa joue, l’observant partir.
et même s’il n’y croyait pas entièrement, ça ne l’avait pas empêché d’espérer.

s’est posé dans le jardin, livre entre les mains, yeon.
passe le temps comme il le peut — c'est que fixer le plafond du salon n’aide plus après trois-quarts d’heure.
puis, lorsque les mots deviennent trop difficiles à lire, s'emmêlent, son regard dévie vers les rosiers, à moitié éclairés par la lumière qui filtre, de l'intérieur de la maison.
elles étaient jolies, les fleurs, cette année, lui ferait presque oublier le fiasco de la précédente.
lui permettrait enfin d’égayer la maison avec les fruits de son propre labeur, au lieu de s’appuyer sur celui des enfants de déméter.
coupe quelques roses, pétales extérieurs commençant à s’ouvrir — devrait survivre quelques jours dans un vase.

à peine est-il rentré à l’intérieur, conteneur fraîchement rempli d’eau et tiges immergées, à réarranger le bouquet, que le cliquetis familier des clés lui fait lever les yeux.
incline la tête de côté, yeon, léger sourire aux lèvres.
air inquisiteur, et puis ? parfaitement lisible sur ses traits.
mais ce n’est pas un compte-rendu de la soirée que sasha lui offre.
il le fixe, sourcils froncés, silencieux dès ses premiers mots.
il tremble.
et c’est mauvais signe.
pas autant que le reste.
son expression se pince, mâchoire contractée douloureusement.
mille et une pensée, toutes plus horrifiées les unes que les autres, à replacer les événements dans l’ordre — force est de constater que ça ne l’avait pas empêché de sortir de nouveau.
faire comme si rien de grave ne s’était passé.
que l’hydre de lerne n’avait été qu’un simple ennui.
et de ne rien lui dire.
litanie de pardon étouffée par la colère et l’inquiétude qui l’habite.

pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt ?

voix faussement mesurée.
ses doigts sont crispés sur les fleurs, menacent de les abîmer.

tu comptais m’en parler, même ?

accusateur, cette fois.
vu le temps qu’il avait mis pour s’exécuter, ça ne semblait pas être le cas.
il suffisait seulement d’une catastrophe pour lui faire cracher le morceau.

j’ai peur, qu’il dit.
moi aussi, qu’il a envie de lui rétorquer.
reste silencieux, ne voit pas l'intérêt d'être mesquin malgré l'orage qui gronde.
baisse les yeux pour observer les roses.
déplie ses doigts, remarque distraitement les minuscules blessures, rouge contrastant avec la peau de ses paumes.
mais son attention revient inévitablement vers lui, push and pull habituel, même dans des circonstances moins reluisantes.
ne parle pas souvent de lyra, sasha.
il ne lui a jamais demandé de le faire, avait su assembler les morceaux au fil des ans et des on-dit.
ses larmes désamorcent l’irritation qui s’était manifestée, brasier pas entièrement éteint, mais gérable.

sasha...

murmure se perdant vite dans son flot de paroles.
elle était délicieuse
c'est aberrant, wrong, d'entendre une chose pareille, n'imagine pas l'effet que ça a pu avoir sur lui.
comprends en partie les raisons de son silence, yeon, la suite ne fait que le prouver.
l'idée de le perdre l'horrifie probablement autant que lui, même s'il ne l'avait jamais vécu jusqu'à présent.
et le voir s'auto-flageller en réponse à sa réaction lui fend le coeur.

inspire, étouffe volontairement la colère toujours présente -s'en occuperait plus tard, seul-, gomme son expression pour n'afficher que l'inquiétude.
sasha avait déjà réduit la distance entre eux, quelques pas timides ponctuant ses mots, s'est arrêté -trop loin-, visiblement incapable de le regarder plus longtemps.
il contourne le comptoir, yeon, s'avance, bien décidé.
contraste avec la douceur de ses mains qui attrapent les siennes, portent celles-ci à ses lèvres.
baisers papillons déposés sur ses jointures avant de les éloigner, les libèrent pour ensuite lui faire relever le menton de son index.
cherche à croiser son regard.

sasha. tu es toujours là, et moi aussi. ça va aller.

ne s'avancerait toutefois pas (plus) à affirmer leur sécurité à nausikaa.
tente plutôt de l'encrer dans le présent et le sursis offert, qu'il ne s'éparpille pas davantage dans ses peurs.
les leurs, au fond.

inspire, expire.
respiration surveillée d'un oeil aiguisé, trouve ses iris une fois rassuré.
il le laisse faire, yeon, n'esquisse pas le moindre geste lorsque ses doigts se posent sur sa taille — sa main quitte son menton, s'appuie sur son torse.
tu as le droit d'être en colère
il l'est.
de m'en vouloir aussi
un peu.
pas vraiment.
c'est compliqué, cet amas d'émotions contradictoires qui s'agitent sous la surface calme, maintenue avec soin.
sasha caresse sa joue.
lui rappelle de ne pas garder tout cela pour lui.
il fronce les sourcils, lèvres pincées, fine ligne qui lui fend le visage en deux.

est-ce que tu as vraiment envie que je m'énerve-

s'arrête tout aussi brusquement, nez plissé.
qu'est-ce qu'il est faible, lorsque ça le concerne.
il se fait pliant, baiser rapide qu'il lui retourne — ne s'abaisserait toutefois pas à quémander plus, reste immobile, aussi statique que sasha.
mince sourire offert, moi aussi soufflé silencieusement.
il s'efface toutefois dans un soupir, alors qu'il baisse les yeux pour ne plus croiser les siens.

t'as merdé, oui.

qu'il lance, tout bas.
sa voix n'est plus aussi accusatrice, fatiguée plutôt.

je n'arrive juste pas à comprendre pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt. pourquoi tu as fait comme si de rien était, après avoir croisé l'hydre et qu'il ait... marque une pause, hésite, avant de reprendre -sait qu'il sait-, je ne suis peut-être pas fragile, mais un heads up aurait été apprécié.

c'est que sasha connaît aussi cette paranoïa qui lui colle à la peau, dès qu'il met un pied hors de nausikaa.
qui allait le suivre même à l'intérieur, désormais.

tu avais peur, je le conçois, ça.

ne saisit pas sa décision de le tenir dans l'ombre, de leur avoir fait courir des risques inutiles à tous les deux, même s'il ne s'était rien produit de grave cette fois.
son regard qui s'était détourné revient finalement vers lui, mine bien sérieuse.

alors pourquoi ?

se fait patient, yeon, attend sa réponse aussi désirée que redoutée.
il commence doucement, lui rappelle son état ce jour-là — ses yeux s’étrécissent, étouffe péniblement l’ordre de lui cracher le morceau.
c’est qu’il se souvient bien de cette fameuse soirée, réveil en douceur où il l’avait serré contre lui, mille et un baiser déposés dans ses cheveux, sur son front, son nez puis ses lèvres.
sommeil rapidement chassé, oublié, trop occupé à peindre sa peau d’une myriade de tons rouge et violet.
d’eux deux, sasha était peut-être le musicien, mais il sait comment lui tirer une mélodie, harmoniser sur celle-ci.
ça le rend juste malade de savoir que ça avait été un prétexte pour se distraire de sa peur.
sa réaction est hypocrite.
il aurait fait la même chose, à sa place.

statue de pierre qui ne cille pas, ne bouge pas non plus, ses doigts toujours perdus dans ses mèches.
semble imperturbable, ne voit pas l’intérêt de réfuter son constat, en accord avec celui-ci.
sa main trouve la sienne, la gauche, pouce caressant l’épiderme abîmé.
geste qui apaise légèrement sa colère, l’espace d’un instant.
parce que duke est un nom familier.
duke est un rappel qu’ils ne sont pas invincibles.
duke est un sourire amusé imprimé dans son esprit.
duke est une marque, un avertissement, qu’il porte, que sasha est en train de tracer doucement.
duke était- est l’hydre de lerne.

tu-

ça s’écorche dans sa gorge, n’arrive pas à s’en extirper.
s’anime finalement, yeon, recule brusquement — regrette déjà sa chaleur et sa présence, bien qu’incapable de rester plus longtemps dans son étreinte.
yeux écarquillés, poing serré instinctivement ramené à lui, contre son coeur.
ce dernier pulse trop vite, trop fort.

tu as vu- duke, et tu ne me l’a pas dit-

voix faible qui gagne en volume, contraste avec leurs murmures précédents, bulle de calme qu’il éclate sans le vouloir.

tu ne voulais pas m’affoler ? j’ai l’air de faire quoi maintenant ?

plus venimeux qu’il ne l’aimerait, rancœur familière s’immisçant sans être invitée.

il s'excuse, sasha.
encore et encore, s'apparenterait presque à un disque rayé.
le problème, c'est qu'il les lui arrache, yeon.
les exige, les demande, au gré des vagues d'une frustration qui n'est pas entièrement sienne — a hérité bien malgré lui des colères capricieuses de sa mère.
sait, au fond, qu'il est réellement désolé, que ses actions n'étaient pas mauvaises, seulement justifiées par une peur viscérale.
ça n'étouffe ni ne tempère la rancoeur d'avoir été volontairement tenu à l'écart.
plisse les yeux, dents serrées, sans détourner le regard.
le laisse poursuivre sans rien dire, détachement presque clinique en remarquant tous les signes de nervosité qu'il présente.
lui aurait fendu le coeur, d'ordinaire.

il lui rappelle que l'hydre a dévoré lyra.
que l'hydre lui a aussi fait du mal — air courroucé s'assombrissant, mord l'intérieur de sa joue pour retenir le je sais qui menace de lui échapper.
qu'il semblait s'en prendre à son entourage, que ça l'avait fait paniquer.
la sincérité qui anime ses iris lui fait finalement baisser les siens, fixe le sol.
il a envie de lui en vouloir, d'être blessé, indigné, mais sa voix reste coincée dans sa gorge.
la suite achève de muter son ire en honte.
aurait-il agit différemment, à sa place ?
n'en sait rien, yeon.
n'a perdu personne jusqu'ici, diablement chanceux s'il devait comparer son sort à celui de certains.
à sasha.

je-

je suis désolé
je comprends
je n'aurais pas dû m'emporter
ça lui brûle les lèvres-

j'ai besoin de prendre l'air.

c'est soufflé sans éclat, fragile.
ses mains tremblent toujours lorsqu'il les laisse retomber le long de son corps.
bien incapable de le regarder en le contournant, fuyant.
lui et ses prunelles bien trop sérieuses.
la quiétude du jardin qui l'accueille, une fois la porte fermée derrière lui, n'est pas aussi bénéfique qu'escomptée.
c'est que seul avec lui-même, il a tout le loisir de ressasser ses mots, les événements.
s'assoit dans les escaliers, yeon.
remarque les pétales éparpillés, probablement tombés lorsqu'il avait emmené les roses fraîchement coupées à l'intérieur.
esquisse un faible sourire, étire le bras pour en attraper un et le faire tourner entre ses doigts.

les minutes s’égrènent, et avec elles, les derniers restes de sa colère.
n’a plus que la honte et, au fond, l’inquiétude.
ce n’est pas une grande surprise, d’entendre la porte qui s’ouvre derrière lui — tourne légèrement la tête pour l’observer s’approcher, expression prudente qui s’adoucît lorsqu’il pose la veste sur ses épaules.
merci soufflé alors qu’il bouge pour l’accommoder, frissonne quand son nez effleure son cou.
pardon
inspire, yeon, ferme les yeux.

c’est moi qui m’excuse.

sasha l’a bien assez fait pour aujourd’hui.
le laisse se draper sur lui, en profite pour se caler plus confortablement, mains posées sur ses avant-bras quand il l’enlace.

moi aussi.

sa voix vacille presque autant que la sienne, coeur abîmé de l’entendre ainsi.
de le sentir trembler contre son dos.
mais sasha continue.
parle de sa volonté de voir l’aigle, qu’il ne souhaitait pas qu’on la torture.
empathie si grande, même pour les monstres.
la perspective ne l’enchante pas vraiment, le rend plus anxieux qu’autre chose, mais il devrait normalement être en sécurité.
tente de se convaincre, yeon, de ne pas laisser ses pensées l’entraîner trop loin dans une spirale d’appréhension.
espère en tirer quelque chose, qu’il dit.
pour se rattraper.

tu n’as pas à le faire pour ça… fait le pour l’île, pour les autres. pas pour te rattraper.

c’est qu’il a des devoirs maintenant.
aurait préféré qu’il soit un peu plus égoïste, mais son opinion ne change pas : le rôle lui convenait bien.
ses doigts trouvent les siens sur une promesse.
plus de secrets.
porte l’une de ses mains à ses lèvres, yeon, embrasse le dos de cette dernière.
cherche à le rassurer une fois que ses mots lui font défaut.

tu ne vas pas me perdre.

certitude.

je reste là, avec toi, d’accord ?

et ça, c’est un serment.