Terré au nid de nulle-part, les ombres pour cadre qu’il sort des cascades nocturnes qui roulent sur sa peau. Au-dessus de lui, le phare céleste embaumait le ciel ; lui était sorti plus brûlant de vie que jamais, la sueur qui s’était étendue le long de son échine et le sang qui avait frappé contre ses poings, résonnant autant que ses coups. Autour de lui, des flambeaux vivants fourmillaient, exaltés d’effleurer une parcelle de cette chair si vivante - Ashe lui pourtant les ignorait, car ils étaient d’une banalité déconcertante. Sous ses pas grondants pourtant, une fragrance suprême - une odeur divine dont il sait l’identité avant même de l’avoir deviné, dont il imaginait déjà son naseau remuer dans les entrailles d’un corps vivant dans la mort.

Comme son esprit vivait à travers la mort des vivants, il se dessinait sous son regard luisant d’envie une traînée de sève rouge dont il suivit la trace aussitôt qu’elle lui apparue ; jusqu’à sa destination. Le demi-dieu se dessinait sous son regard - le dos courbé, l’attention ailleurs. La sienne cependant, lui était toute accordée ; Ashe donnait l’impression qu’une décennie était passée depuis. Sa frustration elle, était telle qu’elle lui rongeait la cervelle, l’empêchant presque de redouter les présences qui l’encerclaient.
Un mouvement brusque contre son épaule lui avait pourtant suffit à ne pas commettre le péché ; un passant certainement, pourtant ses yeux ne prirent pas la peine de rouler jusqu’à lui. Cette fois-ci, il dévorerait ce fils de Poséidon - c’était une bénédiction de le retrouver ici, les Dieux ne réfléchissent donc ils jamais avant de s’aventurer sur des terres qui ne leurs appartiennent nullement ?

— On s’est déjà vu quelque part, non ? Tu ressembles à mon prochain repas. Qu’ils se reverront autant qu’il le faudra, car le Minotaure le traquera toujours. Comme il les traque tous, les inconscients, les vivants, les déjà morts - l’approche la moins subtile est la meilleure, et il n’est qu’une question de temps avant qu’il l’attire dans un recoin moins grouillant de vie pour le dépecer éhontément.

Son sursaut le fait rire - un rire silencieux qui gronde dans sa gorge, un rire qu’il se réserve d’avoir pour le grand final. La grand final, très bientôt - car la traque est longue le chasse doit alors être parfaite, mais la cruauté de la réalité l’empêchait de dévorer le demi-dieu ici ; la foule gonflait à vue d’oeil, mais sa patience ne faisait que s’amincir. Combien de temps avant qu’il ne lui saute à la gorge pour le dévorer ? C’est qu’il était ennuyé de son quotidien près des humains, toujours si redondant quand lui n’en avait que faire de leurs banalités. Le sang et la chair, voilà tout ce qui l’intéressait ; il n’avait d’yeux que pour les expressions des êtres torturés par ses doigts, ceux qui subdivisent la chair et condamnent les corps.
Et en le voyant ainsi, Ashe se demandait quelle expression gouvernerait son visage lorsqu’il le dévorerait ; il l’imaginait se débattre, sans succès, il imaginait les suppliques, celles que lui offraient tous les demi-dieux qu’il dévorait. Il imaginait toujours les doigts plongés entre les tripes, à en déconstruire sa propre réalité car le sang des sang-mêlés était un breuvage qu’on ne trouvait nulle-part ailleurs.

— Ça va. Car tout va toujours quand on est au sommet de la chaîne alimentaire, quand on dévore à ne plus voir l’horizon mais ce n’est jamais assez, pas vrai ? Alors toujours plus, jamais assez il faut traquer et c’était pour cela qu’il était né ; traquer et tuer, chasser et mourir rassasié, puis répéter la boucle infernale. À y réfléchir, ça lui suffisait - il lui fallait rendre les chasses intéressantes, les morts uniques. Il repensait à cette arme à son effigie - à cette arme qui lui ferait détruire des corps, et il en rêvait. Ça n’a pas l’air d’être ton cas. Rire moqueur, car quid des problèmes des hommes - il serait bientôt mort et le Minotaure ne vivait qu’autour d’une seule et même idée ; il vivait pour être dévoré par lui un jour.

— Tu devrais faire attention si tu vas par là. Attention car les monstres apprécient les petites ruelles, celle qui donnent sur les grandes rues où personne ne s’intéresse aux autres. Même si tu veux nourrir les chats errants, j’te recommande pas. Évidemment qu’il n’avait pas l’air d’être ici pour ça ; mais feindre la bienveillance à force de vivre parmi les Hommes - était presque trop facile. Mais au fin fond de son regard, il ne pense qu’à découper sa chair. C’était peut-être l’occasion rêvée, celle où il pourrait enfin se retrouver seul à seul avec lui, celle où ni la foule ni lui-même ne l’empêchera d’en faire son repas.

Les mortels ont tellement de problèmes futiles qu’il pourrait s’indigner de chacun, qu’il pourrait tous les résoudre seulement en leur ôtant la vie ; cette alternative lui paraissait agréable, mais sans doute ne serait-ce pas le cas de tout le monde. Les mortels ont tant de choses à faire, et Niraj passait le sien à arpenter sans doute les ruelles les moins rassurantes de la ville - c’était pour son plus grand plaisir, alors il était bien évident qu’il ne daigne le sortir de là.

— C’est vrai, ça arrive à n’importe qui. Je ne serais pas la sinon. Un sourire naturellement formé qui s’étend contre ses lèvres alors qu’il lui adresse un regard presque trop doux - la vérité c’est qu’il s’imagine déjà comment il devra s’armer de patience pour le coincer. Rien n’était facile ici, peut-être aurait-il dû appeler Sophia pour l’aider à orchestrer une manœuvre, mais alors il devrait partager. C’était inconcevable - alors il patienter et fera comme d’habitude ; il se jettera et le dévorera entièrement, si le cœur lui en dit, ou alors il attendra, mais combien de temps ? Et si cet imbécile de Duke se jetait sur lui avant ? Je ne suis pas le genre de personne à avoir des problèmes. Il y a bien un sous-entendu à ces termes là, mais Ashe se doute qu’il n’y a aucune façon pour Niraj de déceler quoi que ce soit ; il lui a toujours semblé si amical et familier, comment pourrait-il croire quoi que ce soit de si horrible ? Évidemment, il était si grand et titanesque que personne n’avait l’envie de s’en prendre à lui. Mais avec moi, tu ne risques rien. Ou peut-être que justement, il risquait tout.

Et quand la question tombe, il rit ; c’est un rire moqueur face à la futilité des questionnements des mortels - un porte-clef ? Si ce n’était que ça, alors l’enfant de Poséidon était déjà emballé et pesé. C’était probablement l’occasion rêvée, s’il réussissait à le cerner. Tu ne peux pas simplement t’en acheter un autre ? C’est plus fort que lui, il trouve ça stupide. C’est plus fort que lui, les problèmes des humains sont si absurdes !

— On devrait retourner sur tes pas, dans ce cas. Sans se prononcer directement car c’était évident qu’il allait l’aider ; alors ils suivraient ses pas, un à un en espérant qu’ils les mènent dans les plus sombres recoins.