la vie nocturne plus facile d’accès depuis ta sortie de la colonie, tu avais oublié les couleurs de la ville sous le Soleil, tu avais oublié la vie sous le Soleil. à peine réveillée, tu allumes une cigarette, regarde tes notifications, des rejets, des rejets et encore des rejets de candidatures. tu jettes ton rainphone sur ton lit, versant du café tiède dans une tasse. le rappel d’une “chasse au trésor, forêt NSK” sonne sur ton rainphone et il t’a fallu quelques instants pour te rappeler de quoi il s’agissait, n’ayant jamais perdu l’habitude de réserver des activités sur un coup de tête.

après un rapide petit-déjeuner, tu délaisses ton jogging pour mettre des habits confortables - jeans, chemise, veste au cas où -, des chaussures de marches - retrouvées enfouies parmi tant d’autres choses - et un sac à dos avec le nécessaire. tu arrives à l’orée de la forêt, te mélangeant au groupe de participants - certain.e.s te dévisageaient, reconnaissaient dans ta pâleur et tes cernes les couleurs de la Mort que tu renies encore et encore, tu es fille sans parent divin ! - et plus le temps passe, plus tu envisages de partir. quand tu fais enfin le premier pas vers la sortie, les animateurs vous appellent, vous regroupent, vous expliquent tout ce qu’il y a savoir et forment les groupes.

tu n’avais pas prêté attention à ton binôme jusqu’au moment où l’on vous remet les cartes, où tu te tournes vers elle, sa- où elle te parle. tu la dévisages incrédule - c’est vraiment avec cette taille qu’elle se moquait de toi ? dans tes souvenirs Max était plus grande… ça doit être toi qui a bien grandit. - eh bah ! avant t’étais un- une peste et maintenant t’as pris en audace en plus ! ponctué d’un rire sec tu te pointes comme une fleur après quoi ? 6 ans ? après m’avoir craché à la figure et tu t’annonces comme ça, comme si miraculeusement j’allais oublier le passé parce qu’on fait parti de la grande famille queer toutes les deux ? tu souffles du nez rêve toujours.

tu t’éloignes de suite vers une des animatrices, déjà tu ne voulais plus être là mais si en plus tu devais te coltiner Maxine ? tu préférais éviter. excusez-moi ? ça serait possible d’échanger de duo, s’il vous plaît ? la jeune femme semblait perplexe, c’était sûrement très rare que des visiteurs fassent ce genre de demande, non malheureusement Madame, ils ont été choisis et pour des raisons de sécurité et de traçage on ne peut pas vraiment faire ça… règles à la con oui, mais tu étais beaucoup trop flemmarde pour débattre. su-per… tu te tournes, regardant Maxine avant de souffler, puis adresse un sourire à l’animatrice merci tout de même.

tu reviens vers Maxine, te penche vers elle, la surplombant facilement bon. on va devoir se supporter toutes les deux donc faisons la simple - on avance en duo, j’te déranges pas, tu m’déranges pas et tout va bien. de toute façon j’m’en fiche de c’trésor. tu étais plus venue pour faire des photos et des sketchs de toute façon.

tu suis Maxine sans un mot, observant vos alentours - les jeux de lumières dans les feuilles, les formes que pouvaient prendre certains arbres, les diverses couleurs - avant de remarquer le regard de ta compagne sur toi. tu fronçes légèrement des sourcils, pas sûre de ce qu’elle voulait. et à peine voulais-tu lui dire “quoi ?” qu’elle te prend par la main et te plaque contre un arbre - dans d’autres circonstances tu aurais apprécié certes -, et cette prise la te fait grimacer légèrement de douleur, tu n’avais pas ses muscles, juste des os pour cogner contre l’écorce. il faut donc tu règles tout par la violence hein… et tu n’avais pas le choix que de l’écouter, comme avant, mais tu n’es pas aussi muette qu’à l’enfance, tu lui ries à nouveau au visage ça s’voit toi t’as grandi dans le camp des plus forts ! t’as grandi sans qu’on te dise un mot de travers - peut-être pour toi c’était des moqueries mais pour moi c’était beaucoup plus ! mets toi à la place des victimes pour une fois dans ta vie et tu verras. ferme avant qu’elle te lâche.

tu sors donc de son emprise, fait un, deux pas pour mettre un peu de distance entre vous sans commenter sur le fait que tu avais simplement la décence humaine de genrer correctement une personne, pas comme ces hommes tous muscles et sans cerveau du catch. puis son regard change alors que le tien reste ferme, parce que tu te préparais à une nouvelle attaque, à cracher, à sortir les crocs pourvu qu’on ne te violente pas. quelques larmes coulent sur son visage et ton expression se trouble, elle s’excuse et ton expression se trouve encore plus — hein ? tu ne pouvais pas y croire. tu vois, ça t’as pas écorché la gorge. de s’excuser. c’était tout ce que tu voulais entendre “pardon” pour le mal qui a été dit.

tu reprends ta marche aussi, cette fois aux côtés de Maxine, non, personne ne m'a réclamé. un sourire en coin se dessine sur tes lèvres, je suis née orpheline et je mourrais orpheline. avec une certaine fierté bien que sous ce masque se cache une tristesse profonde d’être seule. et elle parle, elle parle, ça, ça n’avait pas changé, oui bon j’avais pas besoin de tout ton historique, on est tous en colère contre quelque chose. tu marmonnes. toi aussi tu avais grandi en colère contre les dieux, contre ton Père sans nom, contre son abandon, tu avais voulu faire tes preuves mais Il n’a pas voulu te voir. tu l’avais reconnu dans tes pouvoirs mais lui n’a pas voulu de toi. mais maintenant tu n’as plus l’énergie d’être en colère, le cœur tantôt rempli par l’amour, la joie, la tristesse, la paresse, il n’avait plus la place pour ces fortes émotions. tu devrais tourner la page toi aussi, vivre ta vie. Déméter t’a engendré mais ça reste ta vie — tu dépends pas d’elle. tu lui dis avec un léger sourire. que Maxine en profite ! elle avait au moins un parent divin connu et respecté, une famille, elle vivait parmi ces groupes de demi-dieux respectables sûrement.
pas comme toi.
qu’elle profite de cet idéal à jamais inatteignable pour toi.

cette dispute était clairement inutile, tu le savais, tu le voyais bien ! cracher sa haine envers le monde était plus simple quand on pouvait viser quelqu’un. tu voulais être au-dessus de tout ça, car la colère n’était pas ton fort, mais Maxine savait où frapper pour faire mal. tu serres les dents, les poings, enfonçant tes ongles dans la chair de tes paumes — respire, reste calme, ce n’est plus l’époque de la colonie, tu peux laisser passer tout ça, tu peux ne plus écouter, ne plus prendre à cœur ces remarques.

tu pouvais laisser passer la remarque sur une supposée stupidité, mais une remarque sur ta condition d’orpheline ? jamais. tu veux faire de nos vies une compétition ou quoi ? parce que tu étais une très bonne adversaire pour la miss devant toi, toi au moins ton père et ton oncle ont daigné t’adresser la parole, parce que moi- tu te coupes dans ton élan, enfonce tes ongles plus profondément dans tes paumes — non. le fait d’être orpheline n'a jamais attristé Krista. Krista est orpheline et elle en est fière, elle n’a pas besoin de ça. tu ravales tes mots, ta colère. c’est pas important. c’est plus ma famille. ta mère et tes grand-parents n’ont pas voulu de toi et bien toi non plus.

ta vie est bien comme elle est, c’est ce que tu devais t’éfforcer à croire et à faire croire.

tu continues de marcher en écouter Maxine, tant mieux pour toi. un peu sèche. tant mieux pour elle d’avoir réalisé son rêve, d’avoir eu quelqu’un à ses côtés, parce que tu avais toujours voulu ça toi ! la simplicité d’une personne qui te soutienne, le sentiment d’accomplir un rêve. mais non. tu devais porter sur toi l’odeur de la Mort, tu devais porter en toi un vide monstre qui te font stagner, qui te font couler. de quoi se plaint-elle alors ? sa vie est belle !
sa vie était belle.
tu ralentis, tu ouvres la bouche, mais la referme de suite — que dire ? tu ne t’étais pas attendue à une telle nouvelle. mes condoléances. semble si vide de sens et pourtant te semblait la chose la plus judicieuse à dire, parce que les prières gravées dans ton esprit à l’enfance te font réciter intérieurement Seigneur, accueille Abby comme un père accueille en sa maison. donne-lui la paix et le bonheur que tu promets à tous tes enfants.

Maxine s’arrête et tu en fais de même, attentive à ne pas trop la regarder en face, lui laissant assez d’intimiter pour pleurer, pour vivre son deuil. t’inquiètes. parce que tu ne pouvais pas dire “oui soit désolée” ou “je comprends” parce que ça serait être gratuitement méchante ou mentir et tu n’avais pas le cœur pourri de cette façon.
ton cœur à toi était pourri par l’amour, par la mort, sans le savoir, sans le comprendre encore.

tu hoches la tête, ton expression sombre, attristée par cette histoire. tu ne pouvais pas comprendre ce que c’était que d’avoir une personne sur qui on pouvait pleinement compter, avec laquelle on se sentait en sécurité, avec laquelle on se sentait pleinement heureuse. tu lui enviais cette connaissance, mais tu sympathisais aussi avec sa douleur. tu sympathisais avec son sentiment d’être perdue, de n’avoir plus envie de rien, plus que sympathiser tu comprenais parfaitement ! tu étais née avec ce vide profond et le portait dans ta poitrine depuis.
tu aurais pu l’avertir des dangers de ce vide mais égoïstement tu voulais partager ce sentiment avec quelqu’un, malgré les torts passés, tu la voulais comme toi, naviguant ensemble un vide immense.

tu poses enfin ton regard bleu sur Maxine, pas du tout. sérieuse. tu aurais pu répondre que sa souffrance n’était que l’œuvre du karma, mais tu n’étais pas aussi méchante. pas quand il s’agissait d’amour, pas quand il s’agissait du deuil. viens on trace jusqu’à l’arrivée et on va boire un verre, une bouteille, ce que tu veux. j’aurais bien besoin de fumer, et on peut pas dans la forêt. tu prends Maxine par le bras et emboîte le pas je connais des bars sympa, mais si tu veux, on peut aller chez moi. tu proposes avec une certaine nonchalance malgré les torts passés, malgré les mots secs, tranchants d’il y a un instant, malgré l’état désastreux de ton appartement.

tu hôches la tête par contre je suis venue en tram donc faudra marcher un peu jusqu’à la station la plus proche. à peine avais-tu fini ta phrase que tu penses à ton appartement. il n’était pas des plus rangés, puis tu n’avais pas fait le ménage depuis un moment. puis tu regardes Max — bah c’est pas comme si elle allait remarquer.

ah oui ? tu hausses des sourcils, étonnée ça se voyait pas. le ton neutre, factuel. c’était vrai, vos échanges en une dizaine d’années pouvaient se compter sur les doigts de ta main et ils étaient simples, cordiaux, sans plus.

à la sortie de la forêt, des animateur.ice.s vous accueillent pensant que vous aviez trouvés le trésor, mais tu devais les décevoir, non on a rien trouvé désolée. en haussant des épaules vous voyez, elle est un peu mal donc je la ramène. mais en tout cas, merci pour l’expérience, courte mais intense ! puis la forêt est sympa ! bonne journée ! un sourire poli aux lèvres avant de continuer. et à peine fini, un jeune homme vous approche pour parler à Max. ne t’adressant pas la parole - un bonjour par politesse ne lui aurait pas écorché la gorge quand même ? -, tu restes simplement à ses côtés, écoutant à moitié leur courte conversation.

tu reprends doucement la marche, soutenant du mieux que tu pouvais Max, alors que des deux c’était elle la plus musclée. hm… un long moment de silence passe, et tu te dis que peut-être ta réaction était trop sèche. tu rajoutes donc le mariage c’est juste une tradition, une cérémonie, le plus important c’est que tu l'ai aimé, que tu l’aimes, que tu lui as montré, que tu étais avec elle. pour toi le plus important c’était les sentiments, les gestes, pas les conventions sociales.